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Full text of "Oeuvres dramatiques de F. Schiller: traduites de l'allemand: précédées d'une notice biographique ..."

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ŒUVRES 



DRAMATIQUES 



DE F. SCHILLER. 



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TOME TROISIEME. 



IMPRIMËKIË DE FAIN, PUCE DE L'ODÉON 



ŒUVRES 



DRAMATIQUES 



DE F. SCHILLER. 



TRADUITES DE L'ALLEMAND; 



j_ f » 



PRECEDEES 

d'ORB ITOTICE BIOGRAPHIQUE ET UTTiHAI&E SUR SCHILLER. 



TOME III. 



A PARIS, 



CHEZ LADVOCAT, LIBRAIRE, 

AU PALAIS-ROYAL. 



M. DCCC. XXI. 



i — 



,«,«PMHP*^ 



LA 



PU CELLE D'ORLÉANS, 



TRAGÉDIE ROMANTIQUE. 



ToH. 111*. 



♦ 'm •» •* 



PROLOGUE. 



PERSONNAGES. 

CHARLES VII , roi de France. 

LA REINE ISABELLE , sa mëre. 

AGNÈS SOREL , sa maîtresse. 

PHILÏPPE-LE-BON , duc de Bourgogne. 

LE COMTE DE DUNOÏS , bâtard d'Orléans. 

LAHIRE, ) -A • j 1» r j • 

DUCHATEL, } ^«P^*«^^« ^« ^ *™^« ^'^ '•^*- 

L'ARCHEVÊQUE de Rheims. 

CHATILLON , chevalier Bourguignon. 

RAOUL, chevalier lorrain. 

TALBOT , général des Anglais. 

LIONEL, ) 

FALSTOLF, } <^P^t^^^« «"glais. 

MONGOMERY , chevalier du pays de Galles. 

DES CONSEILLERS de la ville d'Orléans. 

UN HÉRAUT anglais. 

THIBAUT D'ARC , riche paysan. 

MARGUERITE, 

LOUISE, y ses filles. 

JEANNE , 

ETIENNE , 

CLAUDE MARIE, \ leurs amoureux. 

RAYMOND , 

BERTRAND , autre paysan. 

UN CHEVALIER NOIR, ( apparition ). 

UN CHARBONNIER et sa femme. 

SoldaU, peuple, serviteurs de la maison du roi, évéques , ecclé- 
siastiques , maréchaux de France, magistrats , courtisans et 
autres personnages muets forment le cortège du sacre. 



LA 



PUCELLE D'ORLEANS. 



M«MAlMMfMMAAWMMIlAAA%M««M*««l[««MA%%'««%%'%W*«^«%«AiV^W^Mf^MWVM«MI^W%Wtl«%«%%<««MWWM«%« 



PROLOGUE. 



Le théâtre représente un paysage. Sur le devant , à droite , on 
voit nn petit oratoire ; à ganche , un grand bois. 

SCÈNE PREMIÈRE. 

THIBAUT D'ARC, avec ses trois filles et trois jeunes 

paysans leurs amoureux. 

THIBAUT. 

Oui^ mes chers voisins, aujourd'hui nous sommes 
encore Français ; nous sommes de libres citoyens , 
possesseurs des champs que nos pères ont autrefois 
labourés; qui sait à qui demain nous aurons à 
obéir ? Car l'Anglais commande partout , partout il 
déploie ses bannières victorieuses, et ses chevaux 
foulent aux pieds les campagnes fleuries de la 
France. Paris l'a déjà reçu en vainqueur , et a donné 
l'antique couronne de Clovis au rejeton d'une tige 
étrangère; le fils de nos rois, dépouillé et fugitif, 
est errant dans ses propres états; son parent le 



/ 



6 PROLOGUE, 

plus proche , le premier pair de son royaume, com- 
bat dans l'armée de ses ennemis, et sa mère déna- 
turée les excite. Autour de nous , les villes , les vil- 
lages sont consumés par les flammes ; Tincendie 
terrible s'aVance toujours de plus en plus vers ces 
vallées encore paisibles. C'est pourquoi , mes chers 
voisins , j'ai résolu , avec la permission de Dieu , de 
marier mes filles, pendant que je le puis encore. Ja- 
mais un protecteur n'est plus nécessaire à la femme 
qu'au milieu des horreurs de la guerre , et l'amour 
aide à supporter toutes les misères. ( Au premier 
paysan. ) Venez, Etienne, vous voulez obtenir Mar- 
guerite ; les champs sont voisins et les âmes se con- 
viennent, voilà de quoi fonder un bon ménage. 
( Au second. ) Claude-Marie, vous vous taisez, et 
ma Louise baisse les yeux. Séparerai-je deux cœurs 
qui sont unis , parce que vous n'avez pas de trésor à 
m'offrir ? Qui possède maintenant des trésors ? Mes 
biens et ma maison seront peut-être demain la proie 
des flammes ou des ennemis qui approchent; le 
cœur d'un brave homme est dans ce moment le plus 
sur de tous les asiles. 

LOUISE. 

Mon père ! 
Ma Louise ! 
Chère sœur ! 

THIBAUT. 

Je donne à chacune trente arpens de terre, une 
maison, une étable et un troupeau; Dieu m'a béni 
jusqu'à présent, qu'il vous bénisse de même. 



SCÈNE II. 7 

MARGUERITE, emhraasant Jeaima. 

Contente mon père ^ suis notre e:$:emple , et que ce 
jour voie trois mariages heureux. 

THIBAUT. 

Allez, occupez-vous des pr^aratifs : à demain 
les noces ; il faut que tout le yiUage les célèbre avec 
nous. 

SCÈNE IL 

THIBAUT, RAYMOND, JEANNE. 

THIBAUT. 

Jeanne, tes soeurs vont se marier; elles réjouissent 
ma vieillesse par leur bonheur. Toi, ma plus jeune 
enfant , veux-tu me causer des regrets et de la dou- 
leur? 

RAYM0I7D. 

Quelle est votre idée? ne faites pas de reproches à 
votre fille. 

THIBAUT. 

Tu vois devant toi un excellent jeune homme; il 
n'en est aucun dans le village qui soit plus aimable 
que lui ; il t'aime , il s'est donné à toi ; depuis trois 
ans , il te montre le plus tendre empressement et 
les désirs les plus humbles ; sa soumission ne trouve 
en toi que froideur et réserve ; , et pourtant aucun 
autre, parmi tous les jeunes gens, na pu obte- 
nir de toi seulement un sourire de bienveillance : 
je te vois briller de tout l'éclat de la jeunesse; te 
voici dans ton printemps, cette saison de l'espé- 



8 PROLOGUE, 

rance; ta beauté est dans sa fleur, et cependant 
j'attends toujours en vain que cette délicate fleur 
dépouillée son calice , pour se changer ensuite en 
des fruita dorés. Oh! cela ne me plait point , et 
me fait craindre une cruelle bizarrerie de la na- 
ture; le cœur qui ,* dans l'âge des sentimens, se 
renferme dans ï austérité et dans la froideur, ne 
saurait s'entendre avec le mien. 

RAYMOND. 

Laissez^ Thibaut; qu'elle m'exauce librement; 
l'amour de mon adorable Jeanne est un fruit noble 
et divin , il ne peut mûrir que peu à peu ; mainte- 
nant elle aime encore à vivre sur la montagne; 
elle craint de quitter les vastes bruyères pour s'a- 
baisser dans l'humble séjour des hommes , au mi- 
lieu des soins vulgaires qui les occupent. Souvent 
du fond de la vallée , surpris et immobile , je la re- 
garde s'avancer dans quelque prairie élevée. Je la 
vois au milieu de son troupeau avec sa noble conte- 
nance et abaissant son regard imposant sur l'humble 
sol que nous habitons ; elle m'apparait comme un 
être supérieur ; il me semble qu'elle appartient à 
un autre monde. 

THIBAUT. 

Et c'est cela qui ne me plait point. Elle fuit la 
douce société de ses sœurs; elle cherche les sommets 
déserts; long-temps avant l'aube ^ elle se dérobe de 
sa couche, et pendant ces heures d'effroi où l'homme 
s'enferme près des autres hommes , telle qu'un oi- 
seau solitaire , elle s'échappe vers les lieux sombres 
et terribles que fréquentent les fantômes. Elle s'é- 



SCÈNE II. 9 

carte des chemins traces et converse secrètement 
avec Tesprit de la montagne. Pourquoi cherche- 
t-elle toujours ce lieu? pourquoi y conduit-elle tou- 
jours son troupeau ? Je la vois pendant des heures 
entières y rêreuse ^ sous cet arbre antique des 
druides qu'évitent toutes les créatures heureuses ; 
c'est là que reviennent les esprits; un malin es- 
prit fait sa demeure dans cet arbre depuis les siè- 
cles antiques de Tidolàtrie. Les anciens du village 
racontent sur cet arbre des histoires effrayantes. 
Souvent du milieu de ses sombres rameaux ^ des 
accens funèbres^ des voix terribles se sont fait 
entendre; moi-même, en passant une fois à l'entrée 
de la nuit auprès de cet arbre , j'aperçus un spectre 
de femrme qui y était assis. Elle tira de son ample 
vêtement une main desséchée qu'elle étendit len- 
tement vers moi comme pour me faire signe : je 
pressai ma marche et je recommandai mon âme à 
Dieu. 

B A Y MO M D , montrant l'image qui orne Toratoire. 

La protection bienfaisante de cette sainte image 
qui répand ici la paix du ciel autour d'elle , attire 
ici votre fille ; ce n'est pas l'œuvre de Satan. 

THIBAUT. 

Non , non , ce n'est pas en vain que je suis averti 
par des songes et par d'inquiètes visions. Par trois 
fois , je l'ai vue assise- sur le trône de notre roi à 
RheimSy un diadème de sept brillantes étoiles or- 
nait sa tête ; elle avait en sa main un sceptre où 
fleurissaient trois lis blancs; et moi son père ^ ses 
deux soeurs, et auissi tous les princes, les barons, 



lo PROLOGUE, 

les archevêques , le roi même s'inclinaient devant 
elle. Et comment des prodiges si éclatans vien- 
draient-ils me chercher dans ma cabane? Ah ! ils 
présagent cpielqrue chute profonde ; ils m'instruisent^ 
par ces emblèmes^ des rêveries insensées oii son 
cœur ose se livrer. Elle rougit de son état obscur. 
Farce que Dieu Fa douée de la beauté ^ qu'il a bien 
voulu lui accorder des dons célestes par -dessus 
toutes ses compagnes , elle nourrit dans son cœur 
un orgueil coupable. C'est par cet orgueil que les 
anges de ténèbres sont tombés et qu'ils entraînent 
les hommes dans l'enfer. 

RAYMOND. 

Qui pourrait avoir des pensées plus vertueuses et 
plus pures que votre pieuse fille ? N'est-ce pas elle qui 
sert avec plaisir ses sœurs aînées ? Malgré les avan- 
tages qu'elle a sur toutes les autres^ ne la voyez-vous 
pas s'acquitter , comme une humble servante , avec 
une soumission muette des devoirs les plus pénibles ? 
vos troupeaux et vos cha^mps ne semblent-ils pas pro- 
spérer sous ses mains comme par miracle? Un bon- 
heur inespéré et surnaturel se répand sur tout ce 
qui reçoit ses soins. 

THIBAUT. 

Il est vrai , un bonheur inconcevable ; mais cette 
prospérité même m'inspire une terreur secrète. N'en 
parlons plus^ je me tais, je dois me taire. Est-ce donc 
à moi d'accuser ainsi ma chère enfant? Je lui donnerai 
des conseils seulement et je prierai pour elle. Cejîen— 
dant je dois te le dire, ne va plus sous cet arbre , n y 
demeure pas seule^ n'arrache plus aucune plante , ne 



SCÈNE III. Il 

prépare aucun breuvage , ne trace pas des carac- 
tères sur le sable; on pénètre facilement dans l'em- 
pire des esprits ; ils sont toujours là et se tiennent 
prêts dans q^uelqùe embuscade voisine; au moindre 
bruit I ils s'élancent tout à coup. Ne demeure pas 
seule ; car c'est dans le désert que Satan osa s'atta- 
quer au souverain des cieux lui-même. 

SCÈNE IlL 

BERTRAND entre avec un casque à la main ; 
THIBAUT, RAYMOND, JEANNE. 

RAYMOND. 

Silence ! Voici Bertrand qui revient de la ville : 
voyez ce qu'il tient à sa main. 

BERTRAND. 

Vous me regardez avec surprise , et vous êtes 
étonnés de me voir porter ce casque? 

THIBAUT. 

En effet, dites -nous comment il est venu entre 
vos mains ? Qu'annonce cette triste armure dans le 
séjour de la paix ? 

( J«auine, qui dans les deux tcèpes pxecédentts ittàt demeurée un peu & Técart sans 
prendre part au dialogue , se montre attentive et s'approche. 

BERTRAND. 

C'est à peine si je pourrai vous dire comment il 
se trouve en ma main. J'étais allé à Vaucouleurs 
pour acheter des instrumens de labour : une foule 
nombreuse se pressait sur la grande place ; des fugi- 



12 PROLOGUE, 

tifs venaient d'Orléans y apportant de funestes non- 
Telles; tout le peuple était en tumulte , et j'essayais 
de me faire jour à travers lapresse^ lorsqu'une bohé- 
mienne, au teint basané, est venue à moi avec ce cas- 
que. Elle m'a regardé fixement y et m'a dit : Mon ami^ 
vous cherchez un casque; je le sais, vous en cher- 
chez un : prenez celui-ci ; à un prix modique je vous 
le donnerai. Adressez-vous à un homme d'armes , 
lui répondis- je; je suis un laboureur, un casque 
me serait inutile. Mais , au lieu de me quitter , elle 
continua ainsi : Aucun homme ne peut dire à pré- 
sent qu'un casque lui soit inutile : la tête est plus 
en sûreté maintenant sous cet abri d'acier qu'entre 
les murs d'une maison. Parlant ainsi, elle me suit 
dans les rues, me forçant d'accepter ce casque, que 
je refusais. Je regardais cette armure éclatante et 
polie , digne d'orner la tête d'un chevalier ; dans 
mon hésitation je l'avais prise en ma main, songeant 
à cette singulière aventure : cette femme s'était dé- 
robée à ma vue , et s'était perdue dans la foule du 
peuple. C'est ainsi que le casque m'est demeuré. 

JE AN lïE, saisissant le casque avec empressement et curiosité. 

Donnez-moi ce casque. 

BERTRAND. 

Qu'en pouvez-vous faire ? ce n'est pas une parure 
de jeune fille. 

J E A N N E f lui arracliant le casque. 

Ce casque est à moi ; il m'appartient. 

THIBAUT. 

A quoi songe cette enfant ? 



SCÈNE IIL i3 

RAYMOND. 

Laissez-Ia faire : cet ornement guerrier lui sied 
bien , car son sein renferme une âme virile. Sou- 
venez-vous comment elle sut vaincre ce loup^ ce 
féroce animal qui semait la terreur et dévastait nos 
troupeaux ; seule , la jeune fille au cœur de lion 
lui arracha Tagneau que , dans sa gueule ensan- 
glantée, il emportait déjà. Ce casque ne saurait 
orner un front plus noble que le sien. 

THIBAUT. 

Parlez j quelles tristes nouvelles avez-vous sues? 
Que racontaient ces fugitifs ? 

BERTRAND. 

Dieu secoure notre roi , et prenne pitié du pays ! 
Nous avons été vaincus dans deux grandes batailles : 
l'ennemi occupe le centre de la France ; il a déjà 
conquis toutes les provinces jusqu'à la Loire. Main- 
tenant il a réuni toutes ses forces autour d'Orléans , 
qu'il assiège. 

THIBAUT. 

Dieu sauve le roi ! 

BERTRAND. 

Une artillerie innombrable s'est rassemblée de 
toutes parts. Tels que des essaims d'abeilles qui se 
pressent en nuages obscurs autour de leur ruche 
pendant un jour d'été ; tels que ces milliers de sau- 
terelles qui, poussées par un vent funeste, four- 
millent sur nos champs et couvrent des lieues entières 
à perte de vue ; telles se sont assemblées vers les cam- 
pagnes d'Orléans les armées de toutes les nations , et 



v 



i4 prologue; 

le bruit connus dé leurs langages divers retentit sour- 
dement dans leur camp. Le puissant duc de Bour- 
gogne y a conduit toutes les forces de ses vastes 
domaines ; Liège , Luxembourg , le Hainaut y ont 
envoyé leurs soldats : les peuples qui habitent l'heu- 
reux Brabant , ceux qui , dans l'opulente cité de 
Gand , s'enorgueillissent de leurs vêtemens de soie ; 
les villes élégantes qui ^ dans la Zélande , s'élèvent 
au milieu des flots ; les Hollandais qui s'enrichissent 
du lait de leurs troupeaux; Utrecht, la lointaine 
Ost-Frise , et même les contrées voisines des glaces 
du pôle , ont recruté cette armée : tous suivent les 
vassaux du redoutable seigneur de la Bourgogne , et 
veulent soumettre Orléans. 

THIBAUT. 

Oh ! quelle odieuse et déplorable discorde tourrife 
contre la France des armes françaises ? 

BERTRAND. 

On dit que la reine-mère elle-même, l'orgueilleuse 
Isabelle, cette étrangère, parcourt les camps à cheval, 
couverte d'une armure. Par des paroles envenimées, 
elle excite tous ces peuples contre le fils qu'elle a 
porté dans ses flancs. 

THIBAUT. 

Qu'elle soit maudite ! Et puisse le Seigneur la pti- 
nir quelque jour comme une autre Jézab^l ! 

BERTRAI^D. 

Salisbury, ce redoutable destructeur des villes , 
conduit le siège. Avec lui , on voit Lionel si digne 
de son nom , et Talbbt dont l'épée meurtrière abat 
les guerriers dans les combats. Dans leur rage exe- 



SCÈNE m. i5 

Crable , ils ont juré de déshonorer toutes les vierges 
et de sacrifier à l'ëpée tout ce qui peut porter Té- 
pée. Ils ont fait élever quatre hautes tours qui do- 
minent la ville. De là Salisbury , d'un œil avide 
de meurtres , observe tout, et compte jusqu'aux 
habitans qui traversent rapidement les rues. Déjà 
plusieurs milliers de pesans boulets ont été lancés 
dans la ville ; les églises couvrent le sol de leurs 
débris et la royale tour de Notre-Dame incline son 
sommet élevé. Us ont aussi creusé de profondes 
mines ; la ville maintenant repose sur ces cavernes 
infernales, et dans son anxiété craint à chaque 
heure de les voir s'enflammer avec le bruit de la 
foudre. 

( Jeaiui* écoute avec une avide attention, et place le casque sur sa tête. ) 

THIBAUT. 

Et que sont devenues les terribles épées de Sain- 
trailles , de Lahire , de ce bâtard au cœur héroïque, 
le boulevard de la France? S'ils étaient-là, l'ennemi 
pourrait-il ainsi pénétrer partout sans obstacle? et 
le roi lui-même reste-t-il oisif en voyant les mal- 
heurs de ses états et la chute de son royaume ? 

BERTRAND. 

Le roi tient 9a cour à Chinon ; il n'a plus de soldats, 
et ne peut tenir la campagne. Que sert le courage des 
chefs et le glaive des héros , quand la pale frayeur a 
glacé les soldats? Une terreur, qui semblerait envoyées 
par Dieu même , a saisi le cœur des pluB braves. En 
vain les princes convoquent leur arrière-ban. Die 
même que les brebis timides se pressent l'une con- 
tre Vautre , quand le hurlement des loups se fait 



i6 PROLOGUE, 

entendre ; de même les Français , oubliant leur an- 
tique gloire, courent s'enfermer dans les villes pour 
y chercher leur sûreté. Cependant on m'a conté 
qu'un chevalier va encore amener au roi le faible 
secours de quelques hommes, qui marchent sous 
seize bannières. 

JEANNE, vivement. 

Comment se nomme ce chevalier? 

BERTRAND. 

Baudricourt. Encore échappera-t-il difficilement à 
la recherche de l'ennemi qui le suit de près avec 
deux corps de troupes. 

JEANNE. 

Où est ce chevalier ? Dites-le moi si vous le savez ? 

BERTRAND. 

Il est à peine à une journée de Vaucouleurs. 

THIBAUT, à Jeanne. 

Que t'importe cela? Tu fais des questions, ma fille^ 
qui ne te conviennent point. 

BERTRAND. 

Voyant l'ennemi si puissant , et le roi si peu ca- 
pable de se défendre, ils ont formé à Yaucouleurs le 
dessein unanime de se livrer aux Bourguignons; 
ainsi , nous ne passerons pas sous un joug étranger ^ 
nous resterons unis à notre antique monarchie, et 
peut-être pourrons-nous revenir à nos anciens maî- 
tres , si un jour la Bourgogne et la France se récon- 
cilient. 

JEANNE, avec inspiratioi^ 

Non , point de capitulation ! point de traité ! Le 



SCÈNE III. 17 

libérateur va venir; il s'apprête déjà au combat. De- 
vant Orléans échouera la fortune des ennemis ; la 
mesure est comblée , et la saison est arrivée où ils 
seront moissonnés. La vierge va prendre la faux 
pour trancher leurs tiges orgueilleuses : elle est 
envoyée du ciel pour détruire leur gloire qu'ils 
croyaient avoir élevée jusqu'aux nues. Ne craignez 
plus , cessez de fuir; avant que les épis aient jauni, 
avant que le disque de la lune soit rempli , les cour- 
siers anglais ne s'abreuveront plus dans les flots de 
la riche et majestueiise Loire. 

BERTRAND. 

Hélas ! le temps des miracles est passé. 

JEAÎSI^E. 

Non, vous verrez encore des miracles. Une blan- 
che colombe, avec l'audace d'un aigle , attaquera, 
dans son vol , ce vautour qui est venu déchirer no- 
tre patrie : elle triomphera de cet orgueilleux duc de 
Bourgogne, traiti'e à son pays, de ce Talbot terrible 
et infatigable, de ce Salisbury le profanateur des 
temples, et de tous ces arrogans insulaires , aussi fa- 
cilement qu'elle chasse devant elle un troupeau d'a- 
gneaux. Le Seigneur, le Dieu des armées sera avec 
elle ; il choisira une tremblante créature , il se glor 
rifiera par une faible jeune fille, car il est le tout- 
puissant. 

THIBAUT. 

Un esprit se serait-il emparé de cette enfant? 

RAYMOND. 

C'est ce casque qui lui a inspiré ce transport guer*- 

ToM. m*. 2 



i8 PROLOGUE, 

rier. Regardez votre fille ^ son oeil étincelle | un feu 

subit a animé tous ses traits. 

JEANNE, 

Ce royaume doit-il tomber? Cette contrée glo- 
rieuse, la plus belle que le soleil éternel éclairé 
dans sa course, ce paradis sur la terre, que Dieu 
chérit comme la prunelle de ses yeux , pourrait por- 
ter les chaînes d'un peuple étranger ! N'est-ce pas 
celle qui la première abjura l'idolâtrie ? C'est là que 
fut plantée la première croix , et qu'on commença 
a révérer les saintes images; n'est-ce pas là que re- 
posent les cendres du saint roi Louis IX ? N'est-ce 
pas de là qu'on est parti pour conquérir Jérusalem ? 

BERTRAND, avec surprise. 

Écoutez-vous ses discours ? D'où lui viennent ces 
hautes révélations? Thibaut, Dieu vous a donné une 
étonnante fille. 

JEANNE. 

Eh quoi ! nous n'aurions plus de roi à nous , de 
souverain né sur notre sol ! le roi qui ne meurt ja- 
mais disparaîtrait de notre pays ! lui, qui protège la 
charrue sacrée, qui défend nos pâturages et rend 
nos terres fertiles , qui rend les serfs à la liberté , qui 
entoure son trône de cités florissantes , qui secoure 
les faibles et effraie les méchans , qui ne connaît 
pas l'envie parce qu'il est le plus grand, qui est 
homme et qui cependant est un ange de miséricorde 
parmi les animosités humaines ! Ce trône royal , qui 
étincelle d'or , est l'asile des infortunés : la force et 
la miséricorde y sont assises : le coupable n'en ap^ 
proche qu'en tremblant; mais le juste y aborde avec 



71 



SCÈNE lY. 19 

confiance^ et les lions qui entourent ce trône ne 
l'épouvantent pas. L'étranger qui veut régner sur 
nous pourrait-il aimer une terre oh ne reposent pas 
les dépouilles de ses ancêtres? Notre langage pour- 
rait-il être entendu de son cœur? A-t-il passé ses 
premières années au milieu d'une jeunesse fran- 
çaise , et peut-il être le père de nos enfans ? 

THIBAUT. 

Dieu sauve la France et le roi. Nous sommes 
de paisibles paysans ; nous ne savons ni manier 
l'epée , ni guider uji coursier belliqueux : attendons 
avec obéissance celui que la victoire nous donnera 
pour roi. Le destin des combats est dans la main de 
Dieu ; notre roi c'est celui qui recevra l'huile sa- 
crée et qui placera la couronne sur sa tête à Rheims. 
Retournons à nos travaux ; allons , et que chacua 
ne songe qu'à ce qui le touche de près. Laissoiis 
les princes et les grands de la terre se la disputer 
entre eux : nous pouvons tranquillement contempler 
les ravages de la guerre ; ils ne peuvent détruire 
cette terre que nous cultivons. Si la flamme réduit 
notre village en cendres , si nos moissons sont fou- 
lées aux pipds des chevaux , un nouveau printemps 
nous rendra de nouvelles moissons , et nos cabanes 
seront promptement reconstruites. 

( Ili •'» font, et IwMmt Jmum wnl*. ) 



ztt PHOLOGUE, 

• . . » 

SCÈNE IV. 

JEANNE. 

Adieu montagnes, et vous prairies que j'aimais ; 
vallée tranquille et solitaire , adieu ! vous ne me 
verrez plus promener ici mes pas : Jeanne vous dit 
un éternel adieu. Plantes que j'arrosais , arbres que 
j'ai plantés ; conservez votre douce verdure. Adieu, 
grotte chérie , et vous sources transparentes , et toi 
écho dont la voix a si souvent répété mes chansons ! 
Jeanne part, et elle ne reviendra jamais. 

Lieux témoins de mes innocens plaisirs , je vous 
quitte, et pour toujours. Agneaux, dispersez-vous 
sur la bruyère : vous êtes maintenant sans* pasteur j 
je vais guider d'autres troupeaux à travers les périls, 
au milieu des champs du carnage. Ainsi l'ordonne 
la voix qui s'est fait entendre à moi ; une passion , 
qui n'a rien de terrestre ni d'illusoire, m'y en- 
traine. 

Car celui qui, sur le sommet de FHoreb, des- 
cendit aux yeux de Moïse dans le buisson ardent 
pour lui ordonner de se présenter à Pharaon; celui 
qui jadis envoya au combat ce jeune berger, pieux 
enfant d'Isaï; celui qui fut toujours favorable aux 
bergers , celui-là m'a parlé à travers les branches 
de l'arbre : « Va , a-t-il dit , tu dois témoigner pour 
» moi sur la terre. 

» Tu enfermeras tes membres dans un rude vête- 
;) ment d'acier , et tu couvriras ton sein d'une ar— 
» mure. Que jamais l'amour d'un homme n'ose ap- 



SCÈNE IV. 21 

» procher de ton cœur ; repousse ses flammes cou- 
)) pables et ses plaisirs terrestres et vains : jamais la 
» couronne nuptiale n'ornera ta tête ; jamais ton sein 
» ne nourrira un doux enfant : cependant je répan- 
» drai sur toi la gloire des armes ; tu seras illustre 
» pàr-^lessus toutes les autres femmes. 

)) Quand les plus braves seront décourages au 
» milieu du combat y quand le destin de la France 
» semblera toucher à son terme , alors tu élèveras 
» mon oriflamme, et, comme les moissonneurs abat^ 
)) tent les épis , tu terrasseras les vainqueurs orgueil- 
» leux ; alors tu abaisseras la roue de leur fortune , 
» tu ranimeras les héros de la France , et tu cou- 
» ronneras ton roi dans Rheims délivré. » 

Le ciel m'a averti par un signe : c'est lui qui m'en- 
voie ce casque ; c'est de là qu'il me viei^t. En le tou- 
chant j'ai senti une force divine , et le courage des 
milices célestes a enflammé mon cœur. Je me sens 
entraînée dans le tumulte des armes ; j'entends 
qu'on m'appelle au milieu des orages de la guerre : 
la trompette sonne , et le coursier frappe la terre 
de son pied. 

( Elle sort. ) 



/ 



LA 



PUCELLE D'ORLEANS 



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ACTE PREMIER. 



La scène est à Ghinon , résidence du roi. 

SCÈNE PREMIÈRE. 

DUNOIS et DUCHATEL. 

DUNOIS. 

JNoNy je ne le supporterai pas plus long-*temps. 
Je TOUS le répète , je suis quitte envers ce roi qui, se 
laisse ainsi détruire sans gloire. Le cœur me saigne, 
et je pleure de rage en voyant des brigands se parta- 
ger, avec le glaive , le royaume de France ; en voyant 
nos nobles cités, contemporaines de la monarchie, 
présenter à l'ennemi leurs antiques clefs, pendant 
qu'au milieu du repos et de l'oisiveté , nous laissons 
passer le temps précieux qui pourrait nous sauver. 
J'apprends qu'Orléans est menacé , j'accours aussitôt 
des frontières de la Normandie , pensant que j'allais 
trouver le roi occupé de préparatifs guerriers à la 
tête de son armée; et je }e trouve ici entouré de 



24 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

bouffons et de troubadours » cherchant le sens cache 
d'une énigme , et donnant de galantes fêtes à Agnès; 
comme si le royaume jouissait de la plus profonde 
paix, he connétable est parti , il n'a pu supporter 
plus long-temps ce spectacle révoltant. Je l'aban- 
donne aussi • et le livre à son malheureux sort. 

/ » • • • • ■ • 

DDCHATEL. 

Le roi vient. 

SCÈNE IL 

Les précédensy LE ROL 

LE ROI 

Le connétable m'a renvoyé son épée, et refuse de 
me servir. Grâce à Dieu , nous voici délivrés de cet 
homme orgueilleux qui voulait dominer ici avec 
tant d'arrogance. 

DUNOIS. 

Un homme est précieux dans ce temps, et je ne 
vois pas sa retraite avec tant de légèreté. 

LE ROL 

t 

Vous parlez ainsi pour me contredire; tant qu'il 
a été ici, vous n'ayez jamais été son ami. 

nuNOis» 
Il esXi, Qf^gueillai^x. et diiilcile à vivre, et jamais il 
n'a su se. décider ; m^is enfin , cette fois il a pk*is une 
résolutip'h. au bon moment; il part, lorsqu'il n'y 
^vait aucune gloire à acquérir. 

LE rol' 
VomBétes de belle humeur aujourd'hui, et je ne* 



ACTE I, SCÈNE IL 25 

veux pas la traubler. Duchâtel j les envoyés du vieux 
roi René sont ici. Ce sont de fort habiles ckanteuts^ 
et de grande réputation ; il faut les bien traiter , et 
donner à chacun d'eux une chaîne d'^r. ( A Danois.) 
D'où vient que vous souriez ? 

DUNOIS. 

C'est à cause de ces chaînes d'or dont vaus disposez 
si facilement. 

DUGHAT^t. 

Sire y il n'y a point d'argent dand totre épajngtiè. 

LS ROI. 

Il faut s'en procurer. De nobles chanteurs ne peu- 
vent sortir de chez moi sans avoir été récompensés. 
Ils ornent de fleurs le sceptre trop pesant , et tressent 
un rameau immortel dans ta couronne stérile ; ils 
régnent à côté du monarque , assis sur un trône 
construit par leur imagination riante ; et leur pai- 
sible empire est fondé plus haut que le sol térr- 
restre; ainsi , ïh doivent ntarcher (ha pair avec les 
rois : les uns comme les autres habitent au««deS6ud 
de l'humanité. 

DUCHATEL. 

mon royal seigneur , j'ai épargné votre oreille 
tant que j'ai pu trouver des secours et des expédiens; 
mais enfin la nécessité me force à rompre le silence. 
Vous n'avez plus rien à donner ; il ne vous reste pas 
même de quoi suffire à la dépense de demain. Le 
cours de vos richesses s'est écoulé ,• et votre épargne 
est restée vide. La solde des troupes n'est pas payée; 
elles murmurent et menacent de se retirer; à peine 
puis-^je me procurer ce qui est njécessaire pour teniy 



â6 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

Totre propre maison , et encore d'une manière iné- 
gale à votre rang. 

LE ROI. 

Engagez mes revenus royaux^ et empruntez de 
Fargent aux Lombards. 

nUGHATEL. 

Sire , vos revenus royaux sont jdëjà engagés pour 
trois ans. 

DUNOIS. 

Et cependant le gage et la terre vont se perdre. 

LE ROL 

Il nous reste encore de riches contrées. 

DUNOIS. 

Oui , tant qu'il plaira à Dieu et à l'épée de Talbot. 
Quand Orléans sera pris^ vous pourrez aller garder 
les troupeaux avec votre roi René. 

LE* ROI. 

Vous exercez toujours votre esprit sur le roi René; 
cependant ce prince dépouillé^ aujourd'hui encore, 
m'envoiedes présensd'une magnificence toute royale. 

DUNOIS. 

Sur mon honneur , ce n'est pas sa couronne de 
Naples , car il cherche à la vendre depuis qu'il s'est 
mis à garder les troupeaux. 

LE ROL 

C'est un plaisir y un doux amusement, une jouis- 
sance qu'il .accorde à son cœur et à ses goûts. Au 
milieu de la réalité grossière et barbare , il s'est 
créé un moAde dégagé de soucis.et.de souillures : 



ACTE I, SCÈNE II. 27 

c'est un projet grand et royal que de vottloir rap- 
peler ces temps antiques où régnaient les tendres 
sentimens^ oii l'amour animait le cœur héroïque 
des chevaliers ; où de nobles dames , siégeant sur 
un tribunal y prononçaient sur mille subtilités avec 
un sens délicat. Ce yieillard aimable habite encore 
dans ces temps-là ; tels que nous les représentent 
ces antiques chansons^ tels il veut les établir^ comtne 
une cité céleste sur des nuages d'or au-dessus de la 
terre : il a institué une cour d'amour où doivent 
comparaître les nobles chevaliers^ où les chastes 
dames doivent régner en souveraines , où les purs 
sentimens doivent reparaître , et il m'a élu prince 
d'amour. 

DDNOIS. 

Je ne suis pas assez dénaturé pour insulter au 
pouvoir de l'amour : je tiens mon nom de lui ; je 
suis son fils f et mes droits sont établis sur son em- 
pire. Le duc d'Orléans fut mon père : le cœur d'au- 
cune femme ne fut invincible pour lui ; mais les 
remparts des ennemis ne lui résistaient pas noil 
plus. Voulez-vous mériter le nom de prince d'amour? 
soyez aussi le plus brave parmi les braves. £t moi 
aussi je connais ces vieux livres : on y lit que l'amour 
s'associait toujours aux actions chevaleresques ; c'é- 
taient des héros et non pas des bergers qui étaient 
assis à la table ronde. Celui qui ne saiirait pas dé- 
fendre courageusement la beauté^ ne mérite pas les 
précieuises récompenses quelle distribue. La lice 
vous est ouverte ; combattez pour la couronne de 
vos aïeux ; défendez ^ avec l'épée des chevalier^ , et 
vos droits et l'honneur des nobles dames : quand 



a8 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

yo.os aUfezi nu milieu des flot$ du sang ennemi ^ 
reconquis courageusement le sceptre paternel, alors 
il sera temps de couronner votre tête royale des 
myrtes de Tamour. 

ti£ HOÏ, à uA ^uyer qni èiitf^. 

Qu'est-ce ? 

L'àCtJYBA. 

Des magistrats d'Orléans sollicitent une audience. 

tE ROI. 

Faites -les entrer. (Vécujer sort.) Us viennent 
implorer des secours. Que puis-je faire pour eux , 
moi qui suis sans secours ? 

SCÈNE III. 

Les pr^cëdens , TROIS MAGISTRATS. 

1^9 ROI. 

Soyez les bienvenus , messieurs les envoyés d'Or# 
leans. Que devient ma bonne ville ? coDtinue-*t-ell€ 
à résister avec son courage accoutumé aux ennemis 
qui l'assiègent? : ^ 

Hélas \ sire , elle est daiïs la plus grande détresse. 
Chaque heure avance la ruine dé la ville. Nos ou*»- 
vrages extérieurs sont détruits. A chaque combat^ 
l'ennemi s'empare d'an nouveau poste. Les murs 
n'ont plus de défenseurs : la garnison combat sans 
relâche 7^ elle essuie la &tigue d^nn combat conti- 
nuel : quelques-uns gardent encore les portes in- 
térieures. La ville est a^nssi menacée des faorreafs 



ACTE I, SCÈNE III. 29 

de la faim : dans cette extrême nécessite y notre gou- 
verneur, le noble comte de Rochepierre, a promis, 
suivant l'ancienne coutume, de rendre la ville, si, 
dans Fespace de douze jours , une armée capable de 
la délivrer ne se montrait pas dans la campagne. 

( Dusoia laitie Toir une vive ^mplion. ) 
LE ROI. 

Le terme est court. 

LE MAGlSTilAT. 

Maintenant nous venons ici , avec un sauf-conduit 
des ennemis, supplier votre âme royale de délivrer 
notre ville , et de lui envoyer du secours avant le 
délai fatal; autrement, dans douze jours elle sera 
rendue. 

DUN0I9. 

Saintrailles a-t-il pu donner sa voix à ce traité 
humiliant? 

LE MAGISTRAT. 

Non , monseigneur ; tant que ce brave chevalier 
a vécu , personne n'eût osé parler de se rendre , ni 
de traiter. 

DW0I9. 

Ainsi , il est mort ? 

LE MAGISTRAT. 

Ce noble héros a succombé sur nos murs , en dé- 
fendant U <sa\ii^ dis son roi* 

LE ROL 

Saintrailles mort ! La mort d'une armée entière 
ne me serait pas plus rude. 

( Un cli«T«lter «ntra, «1 dit un mat i Toix banc à Dunoi», ^ partît affecté. ) 



3o LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

DUNOIS. 

Et encore cela ? 

LE ROI. 

Qu'est-ce ? 

DUNOIS. 

Le comte de Douglas envoie ici ; les soldats écos^ 
sais se soulèvent et menacent de s'en aller , parce 
qu'ils n'ont pas reçu leur solde. 

LE ROL 

Duchâtel?... 

DUGHATELt pliant let tfpaidM. 

Sire , je ne sais aucun moyen. 

LE ROL 

Promettez , engagez tout ce que vous pourrez , la 
moitié de mon royaume. 

DUCHATEL. 

Ressource inutile ; on les a bercés trop souvent 
d'espérances trompeuses. 

LE ROL 

Ce sont les meilleures troupes de mon armée. 
Elles ne m'abandonneront pas ; non , elles ne peuvent 
m'abandonner. 

LE MAGISTRAT se proitenuiat. 

Sire , secourez-nous ! Songez à notre situation. 

LE ROI, avec désespoir. 

P.uis-jë faire sortir une armée de la terre en frap- 
pant du pied ! Les moissons peuvent-elles naître 
dans mes mains ? Déchirez-moi en; morceaux j arra- 



ACTE I, SCÈNE IV. 3i 

chez-moi le cœur , si cela peut vous donner de l'or. 
Mon sang est à vous, mais je n'ai pas de trésor, ni 
même de soldats. 

( n Toit entrer Agnès, et s^trance f ert elle en loi tendant les brae. ); 

SCÈNE IV. 

Les prëcédens , AGNÈS SOREL une cassette à 

la main. 

LE ROI. 

mon Agnès , ma chère âme , tu viens m'arracher 
au dësepoir. Tu es à moi, ton cœur est mon asile. 
Rien n'est perdu puisque tu es encore à moi. 

AGNÈS. 

Cher prince ( elle regarde autour délie d'un œil 
curieux et inquiet). Dunois , est-il vrai? Duchàtel ! 

DUCHATEL. 

Hëlas ! 

AGNES. 

La détresse est-elle si grande ? Ne peut-OQ payer 
la solde? Les troupes veulent se retirer? 

DUCHATEL. 

Hëlas, oui, cela est ainsi. 

AGNES, lai présentant la caawtte. 

Voici de l'or , voici des joyaux j faites fondre 
mon argenterie. Engagez , vendez mes châteaux , 
empruntez sur mes terres de Provence , faites tout 
pour avoir de quoi apaiser les troupes ; allez , ne 
perdez pas de temps. 



32 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

LE ROI. 

Eh bien, Dunois ! Eh bien, Duchâtel ! Vous parais-jé 
encore si misérable , quand je possède le trésor de 
toutes les femmes ? N'est-elle pas aussi noble que 
je le suis par la naissance ; le sang royal des Valois 
est-il plus pur que lé sien ^ et le premier trône de 
l'univers ne serait-il pas embelli par elle? Cependant 
elle le dédaigne , et ne veut régner que sur mon 
cœur. Jamais elle n'accepte de moi un présent 
plus précieux que quelque fleur nouvelle , ou quel- 
que fruit , lorsque l'hiver leur donne le prix de la 
rareté. Elle ne reçoit rien de moi. et elle me donne 
tout. Elle risque généreusement ses richesses et ses 
biens pour rétablir ma fortune. 

DUNOIS. 

Elle n'a pas plus de raison que vous. Elle jette 
tout son bien dans une maison en feu. C'est vouloir 
remplir le tonneau des Danaïdes. Elle lïe pourra 
sauver ni vous, nielle-même. Seulement elle périra 
avec vous. 

AGNÈS. 

Ne l'écoutez pas. Il a dix fois risqué sa vie pour 
vous, et il ne veut, pas que j'expose mes richesses. 
Comment! ne vous ai-je pas sacrifié sans peine 
ce qui est plus estimé que l'or et les perles? puis- 
je maintenant songer seulement à mon propre bon- 
heur? Viens, renonçons à tous les agrémens super- 
flu» de la vie. Laisse-moi donner le noble exemple 
de la résignation. Change ta com^ en un camp, quitte 
l'or pour le fer , sacrifie tout pour ravoir ta cou- 
ronne. Viens, viens, nous partagerons le$ priva- 



ACTE I, SCÈNE IV; è^ 

lions et tes dangers. Je monterai un belliqueux 
coursier, et je livrerai la délicatesse de u^on teint 
aux ardeurs ëtincelantes du, soleil ; nous dormirons 
sur la pierre sans autre abri que le ciel , et le robuste 
soldat supportera ses maux ayec résignation , quand 
il verra son roi exposé comme lui aux fatigues et 



aux misères. 



LE ROI, souriant. 

Ainsi , je vois s'accomplir les paroles d'une vieille 
prédiction qu'une religieuse me prononça , d'un es- 
prit prophétique , autrefois dans Clermont : Une 
femme j disait cette religieuse , le, donnerez la vic- 
toire sur tous tes ennemis , et te rendra la couronne 
de tes pères. Long-temps j'ai cherché cette femme 
dans les rangs ennemis : j'espérais un jour adoucir 
le cœur d'une mère ; mais c'est ici qu'est l'héroïne 
qui doit me conduire à Rheimfi , et c'est l'amour 
d'Agnès qui me rendra victorieux. 

AGNES. 

Le glaive de tes braves amis te donnera la vic- 
toire. 

LE ROL 

Je compte aussi sur les discordes intestines de nos 
ennemis. J'ai eu la nouvelle assurée que mon cousin 
le duc de Bourgogne et ces orgueilleux seigneurs 
d'Angleteire n'étaient plus aussi bien unis qu'aupa- 
raTant. J'ai donc envoyé Lahire en message vers le 
duc , pour ramener, s'il est possible, ce vassal irrité 
à «on devoir ,.et le rappeler à sa foi. J'attends à cha- 
que heure le retour de Lahire. 

DUGHATEL, k la fenêtre. 

s U entre à Finstant même dans la cour. 

ToM. m*. 3 



^ LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

lA ROI-. 

Qu'il soit le bienvenu ! nous allons savoir sur-le- 
okamp s'il bous faut céder ou combattre. 

SCÈNE V. 

Les precédens , LAHIRE. 

liE ROI, altint à s« rencoiitre. 

Lahire , nous apportez-vous quelque espérance ? 
expliqiieK<**vous sans retard. Que dois-je attendre ? 

LAHIRE. 

Vonji ue deve^ plu^ r^^U: aittm^ ^t( dft votre 

épee. 

LS loz. 

L'orgueilleux dui; iH veiit polnltde rëconcilM^oii ! 
Ah ! parlez ; comment art^il reçu mon message ? 

L<ÀItIRB. 

Avant tout, avant même de prêter l'oreillç à vosf 
propositions , il demande que Ducbâtel lui soit livré : 
3 dît qu'il est ïe meurtrier de son, père. 

L& %(ns 

Et si 90U6 ^ou% |^«fi(MKS à eetM hcm teito eotti-* 
4itiaQ? 

Alc(rstlfi trmié 6s6 Boa»pa «mit a^êteQ dfétm CM»-^ 
mencé. 

LE ROI. 

Lui avezrvous , aijm q^ i% imii»:l'4t%k pTMCtit , 



ACTii I, SCÈNE V. 35 

prc^M)^ de eomb^ttp^e aT^c moi- sur ie poM dé Moii'^ 
tereau > au lîeix au s&ii' pèrs a pet*! ? 

J'ai jefë ^ottû gaffl* (fevant M , é€ fuî ai dit (jae, 
deseenidsEÉftf de Votre i^afng sttpï-éïùé , Vous vouliez ^ 
ainsi qu'un chevalier, défendre vos droits et dis- 
puter votre royaume. Il m'a repondu iqpi'il n'était 
pas btssorn de dôMbatfre pour ce çpii était de^à eo 
soft pttûVbîr j (Jue , si cependant tel était votre désir, 
il vous donnait rendez-- VcWs sous les murs d'Or- 
léw^ i o^ kxi-^n^nm vélff a)1^ âèà déinaiii ; ptijUà il 
&^t djétcnrné de nidi éil' sQhêÈÉ'iénf . 



LÉ ROL 



Et ià tôÎ3^ dé là justîiée se f*àît-eUe entendre ijfans 
mon parlement? 

Elle se tait df^vaoltla fofem^ desr purtîs^ Vùiî^ë par- 
lement vous a déclaré déc)iu 4^ trône , vous et votre 
race. 

Ï)TÎ50ÏS. 

< 

Iffepildèiicé d^giiëillévise de ces bourgeois dey ejDitô 

i^ttvéi^insf T . , 

Ht itoï. 

El tt'aVeîÈ-^ôTb f itetf téïité' auprès dé ma mère? 

• « 

Votre mère \ ' 

Oiû ; f^e vpus..Mt-^^ AphiUo à cdiletidffe 2 

Lorsque je suis enti^é^A Shint-Denis , c^ prépa- 
rait la cérémonie du couroilâl^rfC Pal^i^eKH'orné 



.1 



• 1 



'"Vy 






36 LA PUCELLE D'ORLÉAHS, 

comme pour un jour de fête : on avait élevé des arcs 
de triomphe dans les rues où passait le roi des Ân^- 
glais ; les chemins étaient jonchés de fleurs , et la 
populace ^ pressée autour du cortège , poussait des 
cris de joie ^ comme si la France célébrait la plus 
belle victoire. 

AGNÈS. 

Ils se réjouissaient ! ils se réjouissaient de déchirer 
le cœur du meilleur des rois, d'un roi qui les aime ! 

LAHIRE. 

Jai vu le jeune Henri de Lancastre , cet enfant , 
assis sur le trône de Saint-Louis ; ses oncles , les or- 
gueilleux Bedfort et Glocestre, se tenaient près de 
lui , et le duc Philippe , à genoux devant le trône , 
lui rendait hommage pour ses états. 

LE ROI. 

O déloyal seigneur ! indigne parent! 

LAHIRE. 

L'enfant, en montant les degrés élevés du trône, 
chancelait , et n'avait pas une marche assurée. Mau- 
vais présage , a murmuré le peuple ; déjà le rire 
commençait à se faire entendre ; la reine, votre 
mère s'est alors avancée^ et.... j'ai peine à finir ce 
récit. 

LE* ROI. 

Hé bien? 

LAHIRE. 

Elle a pris l'enfant datas ses bi^s, et elle-même 
l'a placé sur le trône de votre pèr^» 

L£ ROI. 

O ma mère ^ ma inière I . 



ACTE I, SCÈNE V. St 

LAHIRE. 

Les Bourguignons eux-mêmes , malgré leur rage 
et leur férocité^ rougissaient de honte en cet instant; 
elle s'en est aperçu , et se retournant vers le peuple^ 
elle a dit d'une voix élevée : Français , remercieis- 
moi; je* remplace une tige dégénérée par un plus 
noble rameau, et je vous délivre d'un roi qui puisa 
son sang dans les veines d'un père insensé. 

( Le roi se couvre le visage ; Agnès va à lui , et le terre dans se» bnis. Tout les assistant 

témoignent leur exécration et leur horreur. ) 

DUNOIS. 

Cœur de tigre ! détestable Mégère. 

LE ROI, après un instant de silence, s^adresse Jttx. magistrats. 

Vous avez entendu , vous voyez ce qui se passe 
ici. N'attendez pas plus long-temps; retournez à 
Orléans , et racontez ce dont vous ave? été témoins ; 
j'acquitte ma bonne ville du serment qu'elle m'avait 
prêté ; qu'elle cherche son salut ; qu elle se livre au 
duc de Bourgogne; il porte le surnom de bon^ il se 
montrera humain. 

DUNOIS. 

Quoi, sire! vous voulez abandonner Orléans? 

LE MAGISTRAT. 

mon royal seigneur , ne retirez pas votre main 
de nous; ne livrez pas votre fidèle cité à la tyran- 
nique seigneurie des Anglais. N'est-elle pas un des 
ornemens de votre couronne? en est-il aucune qui 
ait aussi religieusement gardé sa foi à ses maîtres , à 
Tos aïeux? 

DUNOIS. 

Sommes«nous donc vaincus? Est-il permis d'aban- 



38 LA PPCELIiE D'ORfJlAI^^S, 

donner cette ville avant d'avoir tiré l'e'pée pour la 
de'fendre. Voujez-vou$ donc, d'iw mot, prrâ(Ji^rà 
la France cette glQjrii|e],iise cité f ay^ml; qW le sang ait 
coulé pour la défejadre? 

LE KOI. 

• 
ti a déj&cpulé assez de sang inutilement. La main 
da cif 1 e^l appesantie sur inoi ; hion armée est vain- 
cue dans chaque combat; mon parlement me rc- 
nonce ; xa» capitale , mon peuple , reçoivent mon 
rival avec des cris de joie. Ceux qui me sont le plus 
près par le sang m'abandonnent, mç trahissent. 
Ma propre mère nourrit dans son sein le rejeton 
d'une race étrai^gère et ennemie; retirons-nous de 
laiitre côtié ^e Ifi I^î^^e ,- §t ^éfloiifi k la main toute- 
puissftote du cl^l qui epmha4i{M>ur lies Anglais. 

AGNÈS. 

Que IKeu nous préserve de nous livrer au déses- 
poir et d'abandonner ce^oyaun^ç-Une telle parole n^ 
peut sortir de ton âme généreuse. Cette action bar- 
bare d'une mère dénaturée a brisé le cœur héroïque 
den^onroi; mais il v^ se reconnaître^ il va reprendre 
son mâle courage, et résister avec une noble fer- 
meté au destin qui s'acharne cruellement sur lui« 

Oui , cela est assuré ; un sort funeste, np sert teiv 
rible s'est attacha' k la race dm Valois; DieA l'arejetee. 
Les crimes d'une mçre oi)} guidé les furies dams notre 
famille ; mon père a vécu vingt-ans privé de la raison . 
La mort a moissonné trois frères avant moi. C'est un 
décret du ci^, la famille deCharlesVI doit succomber . 



ACTE I, SCÈNE V. 89 

AGNES. 

Elle sera par toi rege'nére'e et relevée. Prends 
confiance en toi-même ; non y ce n'est pas en yain 
qu'an destin lavorable t'a éparjgnë parmi tous tes 
frères , et t'a conduit au trône que tu ne devais }}as 
espérer. Le ciel a réservé ton àme bienfaisante pour 
gumr tous les maux^ et pour chasser du royaume 
la fureur des partis ; tu éteindras ia flamme de la 
guerre civile ; oui , mon cœur me le dit y tu rétabli- 
ras la paix^ tu seras le nouveau fondateur du 
royaume de France. 

LE ROI. 

Non ; il fa^t pour ce temps cruel et orageux un 
pilote doué de la force. J'aurais rendu heureux un 
peuple paisible; je ne puis dompter un peuple féroce 
et rebelle. Je ne sais point m'ouvrir avec le glaive 
des cœurs jaliénés et fermés par la haine- 

À611ÈS. 

Le peuple est aveuglé ; une fausse opinion l'é- 
garé ; mais le jour n'est pas loin où cet enivre- 
ment se dissipera. L'amour que les Français ont 
pour leur roi légitime est profondément gravé dans 
leurs cœurs y et il se réveillera. L'antique haine ^ la 
rivalité qui a toujours divisé dent peuples ennemis 
se ranimera. Ces orgueilleux vainqueurs seront dé- 
truits par leur propre succès. N'abandonnez pas le 
champ de bataille avec précipitation ; disputez le 
terrain pied à pied; défendez Orléans, comhie si 
c'était votre propre vie; que tous les bateaux soient 
submergés; que tous les ponts soient rompus; ne 
vous réservez aucun moyen de passer dans une au- 



\ 



4o LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

tre partie de votre royaume , et de traverser la Loire 

qui serait pour vous le Styx. 



LE ROI. 



Ce que j'ai pu faire , je l'ai fait. J'ai proposé de 
combattre corps à corps pour la couronne , j'ai été 
refusé. Je prodigue en vain le sang de mon peuple , 
et je réduis mes villes en poudre. Dois-je, semblable 
à la mère dénaturée, laisser partager mon enfant 
par le glaive? Non, je dois plutôt lui laisser la vie 
et renoncer à lui. 



DUNOIS. 



Comment! sire, est-ce là le discours d'un roi? 
Abandon ne-t-on ainsi une couronne? Le dernier de 
vos sujets refuse-t-îl de risquer son bien et sa vie 
pour son opinion, pour sa haine, pour son amour? 
Quand s'élève l'étendard sanglant de la guerre civile, 
chacun ne voit plus que'sôn parti : le laboureur aban- 
donne sa charrue, et la femme ses fuseaux; l'enfant 
et le vieillard prennent les armes ; le bourgeois 
brûle sa ville de sa propre main , et le. paysan ses 
moissons , pour le servir ou pour te nuire , enfin 
pour assurer le succès aux vœux de son cœur. Quand 
il s'agit de l'honneur , quand on combat pour son 
dieu ou pour son idole , on n'épargne rien et l'on ne 
s'attend pas à être épargné. Chassez donc cette pitié 
de femme, qui ne sied pas au cœur d'un roi; laissez 
cette guerre répandre sa flamme , puisqu'elle est 
allumée, et que vous n'avez pas à vous reprocher de 
l'avoir légèrement provoquée. Le peuple doit .se 
sacrifier pour son roi : c'est la loi , c'est le destin du 
monde qui l'ordonnent; le Français le sait; et il y 



.A€TE I, SCÈNE V. 4i 

consent. Une nation qui ne saurait pas tout sacrifier 
avec joie pour son honneur ^ ne serait digne que de 
mépris. 

LE ROT, aux magûtrau. 

N'attendez point d'autre réponse. Que Dieu vous 
protège ! je ne puis rien de plus. 

DUNOIS. 

£h bien , le dieu de la victoire vous renoncera 
peur toujours y comme vous renoncez votre royaume 
paternel. Puisque vous vous abandonnez vous- 
même y moi aussi je vous abandonne. Ce ne sont 
pas les forces réunies de la Bourgogne et de l'Angle- 
terre qui vous reiiv«rsent du trône , c'est votre fai- 
ble courage. Si^ comme tous les rois de France, 
vous étiez né pour , être un héros ; mais vous n'avez 
pas été enfanté pour la guerre. {Aux magistrats.) 
Votre roi vous abandonne ; mais moi je vais me 
jeter dans Orléans, dans cette ville de mon père, 
et je m'ensevelirai sous ses ruines. 

( Il vent sortir, Agnès le retient.) 
AGNÈS, au roi. 

Oh !'De le laissez pas partir. dans son dépit : ses 
paroles sojnt rudes, mais son cœur, ce trésor de 
fidélité , est ^encore le même : il vous aime avec 
tendresse; sen sang a coulé souvent pour vous. 
Revenez , Dunois ; arrêtez : la chaleur d'une noble 
colère vous a emporté trop loin ; consentez à l'avouer. 
Et vous, pardonnez à un fidèle ami l'âpreté de ses 
discours. Arrêtez, arrêtez; laissez-moi réunir vos 
coeurs avant qu'un ressentiment vif et terrible se 
soit allumé entre vous pour ne plus s'éteindre. 

( Puttois a les yeax fix^s sur le roi , et semble attendre une r^pon«;o. ) 



4a la ÏUCELLE S'ORLÉANS, 

LE ROI, à Dachâtd. 

Nous traverserons la Loire ; faites tout préparer 
pour s'embarquer. 

Adieu. 

(Il sort brulquemcnt, les inagistrats le suivent. ) 
AGNES joint les mains avec désespoir. 

Oh ! il part ; ainsi nous sommes entièrement aban- 
donnes. Suivez-le, Lahire; ah ! cherchez à l'adoucir. 

SCÈNE VI. 

LE IlOl, AGNÈS, DtfCHATEL. 

LE ROI. 

La coiuroni!^ est^elle donc un si rare bonheur 7 
est-il donc si dur et si amer de s'en aëparer? Nen^ 
je sais quelque chose de plus difficile à supporter : 
se laisser maîtriser par ces guerriers arrogans et 
dominateurs ; vivre pur la gribce d'un vassal orgnbeil- 
leux et insoumis , eek est plus, irvide et plu$ amer 
p^ur un noble coeur, que de suceomber à.Ia des- 
tinée. (^ Duehééel qui hésite encore. ) Fai{:e6 ce que 
j'ai prescrit. 

DUCHATJSL sejetteàsespieds. 

Oh ! mon roi ? 

LE RO^, 

Cela est résolu ; n'ajoutez pas un mot. 

DUCHATEL. 

Taites la paix avec le duc de Bourgogne ; autre- 



4CTB I, SCÊÏl VT. 43 

ment ^ je ne vois pas d'autre moyen de salut pour 
vous. 

LE ROI. 

Vous me le conluAUoà^ et c^efit a^4c votre sang seu- 
lement que je puis signer le traité. 

Voici m.a têtiS- /e J'ai 90^wmti /^p^e pcmr vcms 
dans le$ bsitailles^ ^t la^^ilMt^apI ^ Ia porterai avec 
joie sur nn écha£auii. Apai$te )^ diic.; iivrcECi-mot à 
toiitf la |r}gui^iir d^ a^ ve9g$»M<^# H <fQue xftan sang 
apaise sa yjiaiU^ inimitié* 

LE ROI le regarde un mometit Aafu ^ Arfactp ^ré» 

Est -il bien vrai? Suis ^ je «i misérable , que mes 
^mis, içeuf qui Us^fit dsM jûmh ooeur, poissent me 
proposer {d'obtenir mos salut par Finfieimie ? Ah ! 
c'est naiofteniiDt que je roâs combien ma chute est 
profonde , piokque Tanû^tié ednspire contre mon 
honneur. 

DUCHATEL. 

Songez > sire 

liE ROI. 

Pas un mot de plus , ce serait m'irriter. J'aurais 
dix royaumes k pf^^nbre , que jamais j.e ne me rachè- 
terais avec le sang d'un ami. Faites ce que j'ai près* 
crit ; allez , faites embarquer mes équipages. 

DUCHATEL. 

Vous sqrez b^6ptô| obéi. 

( n se retire et sort. Agnès pleure doalpur<{isctM9t. ) 



44 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

SCÈNE VIL 
LE ROI, AGNÈS. 

LE RO I , prenant la main d'Agnès.' 

Ne t'afflige pas y mon Agnès ; de l'autre côte de la 
Loire nous trouverons encore la France : là , nous 
serons dans une terre plus heureuse , sous un ciel 
serein et sans nuages : là^ souffle un air plus doux 
et régnent des mœurs plus polies ; des chants har- 
monieux s'y font entendre; la vie et l'amour y fleu- 
* rissent avec plus d'éclat. 

AGNÈS. 

Ah ! sérai-je condamnée à voir ce jour de dou- 
leur?, à voir un roi s'en aller en exil, un fik aban- 
donner la maison de son père et fuir loin de son 
berceau ?. Heureuse terre que nous quittons , nous 
n'aurons plus désormais la joie de te retrouver sous 
pas 



nos T^QcT 



SCÈNE VIIL 

LE ROI, AGNÈS; LAHIRE rentre. 

AGNÈS. 

Il revient seul. Ne le ramenez-vous point? {^Elle 
Rapproche de lui et le regarde, ) Lahire , eh bien ! 
que dois-je lire dans vos yeux? Y a-t-il quelque nou- 
veau malheur ? 

LAHIRE. 

Le temps du malheur est passé : un astre plus 
heureux nous éclaire. 



ACTE I, SCÈNE Vlli: 45 

AGNÈS. 

Qu'est-ce , je vous prie ? 

LAHIRE, «uroi. 

tl faut rappeler les enyoyés d'Orléans. 

LE ROL 

Pourquoi? Qu'est-il arrivé? 

LAHIRE. 

Qu'ils reviennent ; la fortune a changé. Il y a eu 
un combat; nous avons eu la victoire. 

AGNÈS. 

Victoire ! Oh^ ^u'il est harmonieux le soti de cette 
parole ! 

LE ROI. 

Lahii'e^ quelque bruit fabuleux vous abuse. Vic- 
torieux ! Je ne crois plus à la victoire. 

LAHIRE. 

Ah ! bientôt vous croirez à un plus grand miracle. 
Voici l'archevêque qui entré ; il ramène le bâtard 
d'Orléans dans vos bras. 

AGNÈS. 

O victoire , noble fleur dont la paix et la concorde 
seront bientôt les célestes fruite ! 



46 LA rVCELLË D'OR&ÊANS, 

SCÈNE IX. 

LE ROI, L'ARCHEVÊQUi; KÉ RHEîMS , DUNOIS, 
DUCHATEL, LAHIRE j RAOUL , cWàlier revêtu 
de ses armes ; AGNÈS. 

L'ARCHE Y EQUE conduit Danois au roi, et met leurs mains Tune dans Tautre. 

Embrassez-vous , prîticcs ; abjurez toute colère et 
toul resseiiftiiiidi^i éar' léGiel sedédlafef pt)6ï* ïtous. 

( Dbàoi* etnitàssè le rôî. j 
LE BOL 

Tirez- moi de d<Hite et de supprime. %t# m'an- 
nonce cette démarche solennelle ? D'où vient e^ 
changement subit ? 

ÈAl^CMtyÉqO^ CMiaît lé «^«sValfér dfévSml lé rhi. 

Parle^. 

Nous conduisions seize b^nni^ies^oJbLottalÀeà 
votre armée : le chevalier BaudridNavi^eYbùcbii^ 
leurs nous commandait. Nous! avions alteîirt lés 
hauteurs de Vermanton^ et descendions dans la 
vallée qu'arrose l'Yonne, lorsque, devant nous, 
à l'endroit otr la plaîile â'élargjit , notus aperçûnies 
les ennemis , et en mé^e temps' nous vîmes aussi 
briller leurs armes derrière nous. Nous étions en- 
fermés entre deux armées , et nous n'avions aucun 
espoir de vaincre ni d'échapper. Le cœur des plus 
braves était abattu, et, dans notre désespoir, nous 
posions déjà les armes. Nos chefs tenaient conseil 
entr'eux , sans pouvoir rien résoudre , lorsqu'une 
merveille vient s'offrir à nos regards surpris. Du 



ACTE I, SCÈNE IX. 4^ 

fond de la forêt sort tout à coup une jeune fille ; sa 
tête est armée d'un casque : semblable à une divinité 
guerrière , elle parait à la fois belle et terrible ; se& 
cheveux noirs tombent sur son cou en longs anneaux; 
un rayon du ciel semble descendre siir elle el éclai- 
rer sa démarche majestueuse. Alors , élevant la voix ^ 
elle dit : Que craignez-voua, braves Français ? mar* 
chez aux ennemis.^ fussent^ ils plus nombreux que 
les sables de la mer i Dieu et Notre-Dame votis con- 
duisent. Aussitôt elle arrache la bannière dçs maixift 
de celui qui la portait j, et » d'un air audacieux , la 
guerrière se place à notre tête. Nous^ muets d'étou'- 
nemeMy iftous suivons la bannière et celle qui s'en 
est saisie , et , comme involontairement , nous nous 
précipitons sur les ennemis. Eux , immobiles et 
sidsis d^étonnementy fixent leurs regards attentifs 
sur le prodige qui s'offre devant eux : bientôt une 
terreur surnaturelle les saisit ; ils prennent la fuite , 
jetant leurs armures et fetrrs lances , et ïeur armée 
tonte entière se disperse dairs fa campagnfe. Les 
exhortations, les cris de leurs chefs ne peuvent dis- 
siper cette frayeur involontaiire ; stàn» regarder en 
arrière y hommes et chevaux se précipitei^ dans le 
courant du fleuve , ou se laissent égorger sans ré- 
sistance» C'était un carnage plutôt qu'un combat. 
Beux mille hommes restèrent sur le champ de. 
bataille : on ne sait combien la' rivière en a en- 
glouti , tandis que nous ne perdîmes aucun des 
nôtres. 

Grand Dieu, quel prodige ! jamais merveille fût- 
elle plus surprenante? 



48 LA PDCELLE D'ORLÉANS, 

AGNÈS. 

Et une jeune fille a fait ce miracle ? D'où vient- 
elle ? Qui est-elle ? 

RAOUL. 

Cest ce qu elle ne veut rëve'ler qu'au roi lui-même . 
Elle se dit prophétesse inspirée et envoyée de Dieu 
même; elle promet qu'Orléans sera délivré avant 
que la lune se renouvelle : le peuple la croit et de- 
mande à combattre. Elle me suit avec notre troupe , 
et bientét elle sera ici. ( On entend le son des cloches 
et le cliquetis des armes quon frappe Vun contre Vau- 
tre. ) Entendez-vous ce tumulte et le bruit des clo^ 
ches. C'est elle, le peuple salue l'envoyée de Dieu. 

LE ROIàDachàtel. 

Conduisez-la ici. ( A Tarchevêque. ) Que dois-je 
penser de ceci ? Au momeut où la main de Dieu 
seule semblait pouvoir me sauver , une jeune fiUe 
m'apporte la victoire ; cela est hors du cours de la 
nature, et dois-je oser, archevêque. •• dois-je croire 
à ce miracle ? 

( Des Tois derrière la tcène. ) 

Salut, salut, à notre libératrice. 

LE ROI. 

Elle vient. ( A Dunoîs ) Prenez ma place, Dunois^ 
il faut éprouver cette fille merveilleuse. Si Dieu 
l'inspii'e et l'envoie , elle saura bien distinguer qui 
est le roi. 

( Dunois s'assied ; ]e roi se tient debout i sa droite, «après de lui est Agnès ; TarcheTéqu* 
tt les autres personnages sont de Tautre côté de la scène, dont.le milieu reste vide.) 



ACTE I, SCÈNE X. 49 

SCÈNE X. 

* 

Les précédens-, JEANNE accompagnée des magis- 
trats et de plusieurs chevaliers qui occupent la 
scène î elle s'avance avec une noble contenance, et 
parcourt des yeux tous les personnages rangés 
devant elle. 

nUHOlS/ Avec une voix grave et solennelle. 

Vous êtes cette jeune fille si étonnante.,.. 

JEANNE le regarde avec noblesse et tranquillité. 

Bâtard d'Orléans , tous voulez tenter Dieu. Lais- 
sez cette place qui n'est pas la Totre; je suis envoyée 
à plus grand que vous. 

( Elle mal-che d'un pas assuré vers le roi, fléchit le genou devant lui, se relève, puis s« 
retire. Tous les assistans la regardent avee étonnement. Dunois quitte sou si^ge , et 
fait plaee au rei. ) 

LE ROI. 

Tu voyais mon vis*age aujourd'hui pour la pre- 
mière fois; d'im vient que tu m'as reconnu? 

JEANNE. 

Je vous ai vu dans un moment oii Dieu seul vous 
voyait. ( Elle s'approche du roi, et lui dit à iH>ix 
basse :) Souvenez-vous que pendant la nuit dernière, 
tandis que tout était enseveli autour de vous dans 
un profond sommeil , \ous sortîtes de votre couche, 
et que vous adressâtes à Dieu une ardente prière. Or- 
donnez qu'on se retire , et je vous répéterai les pa- 
roles de cette prière. 

LE ROI. 

Ce que je confie au ciel, je ne souhaite pas le ca- 

TOM. IIÏ*. 4 



I 
5o LA PUCËLLE D'ORLÉANS, 

cher aux hommes. Redis-moi les paroles de ma 
prière, et alors je ne douterai plus que Dieu t'in- 
spire. 

JEANNE. 

Vous fîtes trois prières; écoutez, dauphin , si je 
les répète exactement. Vous demandâtes d'abord que 
si quelque iniquité émanée de votre couronne , si 
même quelque autre tort commis soùs le règne de 
votre père et non encore expié, avait attiré cette dou- 
loureuse guerre, vous fussiez choisi pour victime au 
lieu de votre peuple, et vous suppliâtes le ciel de ré- 
pandre sur vous seul tous les fléaux de sa colère. 

LE ROI recule de surpriie. 

Qui es-tu, être. surnaturel? D'où viens-tu? 

(Chacun montre de réUmnement. ) 
JEANNE. 

Puis, vous fîtes cette seconde demande : Que, si 
par les décrets souverains et la volonté du ciel le 
sceptre devait être enlevé à votre race , si tout ce 
que vos pères avaient possédé en ce royaume devait 
vous être enlevé , vous désiriez seulement que trois 
choses vous fussent conservées : une conscience pai- 
sible^ lecoeur de vos amis, et l'amour de votre Agnès. 
( Le roi cache son visage pour dérober son émotion; 
les autres personnages laissent voir un profond étonne^ 
ment. Après un instant de silence ^ Jeanne continue. ) 
Doîs-je vous répéter la troisième prière? 

LE ROL 

Assez! je te crois! cela passe le pouvoir des hom- 
mes ! le Dieu tout-puissant t'a envoyée. 



ACTE I, SCÈNE X. 5ï 

. LARCHÈYiQDE. 

Qui es-tu , étonnante et* sainte fille? quelle heu- 
reuse terre ta vue naître ? Parle^ quels parens bénis 
du ciel t'oj:it donné le jour ? . 

JEANNE. 

Honorable seigneur^ on me nomme Jeanne. Je suis 
l'humble fille d'un berger de Donremi, d'un viljiage 
qui appartient à mon roi dans le diocèse de Toul. 
Depuis l'enfance , je gardais le troupeau de mon père, 
j'entendais parler de ces insulaires^ qui étaient venus 
sur leurs vaisseaux , pour nous faire reconnaître un 
souverain étranger qui n'aime pointle peuple. On ra- 
contait qu'ils s'étaient déjà emparés de la grande ville 
de Paris et du royaume ; j'allais prier la saiilte mère 
de Dieu de nous préserver de la honte du joug étran- 
ger et de nous conserver notre roi français. Au de- 
vant du village ou je suis née, est placée une anti- 
que image de Notre-Dame que viennent adorer 
beaucoup de pieux pèlerins , et non loin de là on 
voit un chêne consacré que beaucoup de miracles 
ont rendu célèbre ; j'allais souvent par un penchant 
involontaire m'asseoir à l'ombre de ce chêne pen- 
dant que mon troupeau paissait : si un de mes 
agneaux s'égarait sur la montagne , toujours un 
songé me le montrait revenant à moi, quand je 
m'endormais sous cet arbre. Une fois que, pendant 
une longue nuit, j'étais venue dans de saintes pensées 
me placer sous ce chêne, sans ^'abandonner au 
sommeil, la sainte Vierge se. montra à moi; elle 
portait une épée et un drapeau ; du reste , elle était 
comn^e moi vêtue en bergère ; elle me parla ainsi : 
« Cest moi ; lève-toi , Jeanne , laisse ton troupeau , 



Wr^^'BfL' -. JiW _ >* 



5» LA PUCELtE D'ORLÉANS, 

)) le Seigneur t'appelle à d'autres soins ; prends cette 
» bannière^ c^infi cette epée; tu t'en serviras pour 
^ eiitermîner îles ennemis de mon peuple ; tu con^ 
» duiras à Rheims le fils de ton roi ^ et tu placeras 
» la couronne royale sur sa tête. » Jere'pondis : Conji* 
ment une jeuAe ûlle <jui ne connaît point l'art ter- 
rible des btitailles pourra-t-elle accomplir de telles 
choses? et elle ajouta ; « Une» vierge pure^ qui sait 
» résister à l'amour terrestre, se rend digne d'un 
>^ pouvoir suprême. Regarde-moi ! j'ai été comme 
» toi une simple et chaste fille , et j'ai donné le 
>\ jour au divin Sauveur ; moi-même je suis divine 
» maintenant. ;> Elle toucha ma paupière ; alors, je 
vis au-^essu9 d'elle le ciel rempli d'anges qui por- 
taient dan^ leurs mains des lis éclatans, et j'enten*^^ 
dia ui\e douce harmonie se répandre dans les airs« 
Pendant trois nuits consécutives la sainte Vierge se 
montra à moi , toujours disant : « Lève-toi , Jeanne ^ 
>j le Seigneur t'appelle à d'autres soins. » La troi- 
sième nuit qu'elle m'apparut , elle me parla avec re- 
proche et sévérité , et me dit : « Le devoir d'une 
n femme sur la terre ^ c'est l'obéissance; des devoirs 
>i pénibles sont le lot qui lui est échu : elle doit être 
» éprouvée par une pén-ible soumission ; mais celle 
M qui obéit ici-bas sera grande dans l'autre vie. » 
Ainsi disant , elle se dépouilla de ses vêtemens de 
bergère , et , semblable à la reine du cidi , resplen— 
dissante de lumière ,« ellC' s^éleva sur des nuage* 
dorés > et regagna lentement le séj^ir de la féli-^ 
qité- ,» r^- ■ 

{ Toli5 les assr^t&ns âOBt éinus ; Â^nès ne peut retenir ses pleura, et cache son iisajj^e suri 
• . . » .le »«$, du roi. ) 



/ 



\. 



AinTE I, SCÈNE X. 53 

L'ARCHEVÊQUE, «prè» m tsiM hMig sUmm. 

Tous les doutes de la raison humaine doivent se 
taire devant ce divin témoignage. L'événement con- 
firme qu'elle dit vrai. Dieu seulpeut produire un tel 
miracle. 

DUHOI». 

Ses yeux me persuadent plus que ee prodige. 
Quelle pure innocence se montre dans ses traits ! 

LE ROI, 

Et moi , pécheur , suis-je digne d'une t6Ue grâce? 
Toi qui vois tout et dont l'œil ne j)e\it êtr? ir^Ompd p 
tu connais mon cœur ^ tu sais quelle est mon humble 
soumission. 

JEANNE. 

L'humilîtë de» grands de la ferre tst âgi'éatile au. 
Seigneur , et il vous élève parce que. YOtts' vous 
abaissez* 

LE ROL^ ' J 

Aiiksi ^ J6 pourrai résister' L me& ennemis? 

JEANNE. 

J'amènerai à vos pieds la France sounîisf . . 

Et tu dis fju'OrM^^i^^ ^^ ' ^yx^cpmb^ra pas ? 
: Vous îverwcsfc plutôt la Ijoire refnjrttoter k é^' sefurcfe* 



LE ROI. ' • ' ' 



J'entrerai à Rheims eA vainqueur? 

JEANNE. 

Je vous V conduirai à travers des milliers d'enne- 



r-f 



54 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

( Tous les chevaliers agitent bruyamment leurs lances et leurs boucliers , en ttiontranC 

une ardeur guerrière. ) 

jDUNOIS. 

Que Jeanne se mette à la tête de larmée, nous 
suivrons aveuglément cette guerrière céleste. Son 
regard divin nous guidera, tandis que mon épée 
sauta la. défendre. ; 

LAHIRE. . , ' ■ 

Nous ne craindrions pas les armes de la terre en- 
tière, si elle marchait devant nos bataillons; le 
dieu des "batailles marche à ses côtés. Aux armes! 
l'héroiïie nous conduit. 

( Les cbevaliers font retentir leurs armes , et se réticent. ) 

LE ROI. 

« 

Oui, sainte fille , tu commanderas mon armée , et 
les princ^^ obéiront à tes ordres. /C^te épée, signe 
de la plus haute dignité militaire , cette épée , qiie 
le connétable a quittée dans son dépit, passe dans 
de plus dignes mains. Reçois-la , favorite de Dieu , 
et qu'à l'avenir.... 

jpANNE. . 

Je ne le puis, noble dauphinf; ce n'est pas avec 
ce signe d'uiie grandeur^ terrestre que Je dois obtenir 
la victoire-poui^-monroi. 'Je sais linè'autré^épée avec 
laquelle je dois combattre; je vais vous l'indiquer, 
d'iiprès.c^ que l^prit ^^mt m'ac'^enteigiië^joirdonrfez 
qu'on aille la chercher. . , , ,. 

Dites, Jeanne. . ,^ 

,. JEANNE. , . . 

Il y aune ancienne cité , nommée Fierbois. Là, 



ACTE I, SCÈHE X. 55 

dans un cayeau de l'église de Sainte-*Catherine , est 
un amas d'armes, antiques dépouilles guerrières. 
En ce lieu est l'épée que je dois porter; on la recon- 
naîtra à trois fleurs de lis d'or gravées sur la lame. 
Faites apporter cette arme , car c'est elle qui tous 
donnera la victoire . é 

LE ROI. 

Qu'on y envoie , et qu'on se conforme à ce qu'elle 
dit. 

JEANNE. 

Je voudrais aussi une bannière blanche entourée 
d'une bordure de pourpre. La reine du ciel doit y 
être représentée tenant l'enfant Jésus dans ses bras> 
ets'élevant au-dessus du globe de là terre. Car telle 
était la bannière que Notre-Dame m'a montrée. 

LE ROL 

Que cela soit comme tu le prescris. 

j . » . ». . • j ♦ ' • 

JEANNE, à rwh«Têq¥i«' 

Respectable prélat, étendez sur moi votre main 
consacrée , et donnez la bénédiction à votre fille. 

( Elle se met k genoux. ) • 
L*ARCHEVÊQtJE.. 

" Vous êtes venue apporter la bénédiction, non la 
recevoir. Que la force de Dieu vous accompagne j 

mais nous, nous sommes d'indignes pécheurs. 

- . , , i / - • j • • . * i ' ■ * ' ' " ■ • 

(Elle se lève.) 
UN ÉCUYER. 

Un héraut des capitaines anglais vient d'arriver. 

< » 

JEANNEl 

• Faites^le eBtrei;,'t:a]i^ c'est .Dieu ^i l'envoie. ; 

( Le roi fait un signe 4 Ncifyer ; il sort . ) . 



56 LA PUCEltE H'OHLÉANS, 

SCÈNE XI. 

> 

Les précedens, LE HÉRAUT. 

LE ROI. 

Héraut , , qu apportes-tu ? Dis , quelle est ta mis- 
sionr - 

LE HÉRAUT. 

Quel est celui qui porte ici la parole pour Charles 
âe V^loî§ , c(>mte de PontWeu ? 

DUNOIS. 

Iqsoleiit liémut^ pûaéraUe, oses-^u bien méeon^ 
naître le roi de Frçinp^i ({uaA4 tu pars^is dç^i^oft lui- 
même ? L'habit que tu portes te protège ; autrement. . . 

LEHÇRAUT. 

La France ne reconnaît qu'un seul roi, et il est 
dans le camp des Anglais. 

. . LE RQI. 

• • • ' ■ » • 

Soyez calmé, mon cousin. Quelle est ta 'mission? 



LE HERAUT. 



, Moj4 noble ehef^ gémissant sur le sang qu^ a 
coulé,, et qui peu); coi^v^r. encore, retîept dans le 
fourreâif l^'^pée de s^p. soldats , et avant de donner 
lassant à Orléans , il veut bien encore t oÔVïr dés con- 
ditions indulgentes. ' i. ] 

LE ROI. , 

Qu on 1 écoute. 

J%A9NE. A 

Sire , laissea9-mç à vofre place f parier» a^^er tolé- 
rant, i ^ 



x 



ACTE I, SCÈNE XI. 57 

LÇ ROI. 

Parlez , Jeanne ^ vous pouvez de'çic^çr ou U paii 
ou I4 guerre. 

JEANNE, au héraut. 

Qui t'envoie, et au nom de <jui parles-tu?' 
h^ ç#mb^ de SalWlmfy , général des Anglais* 

JEANNE. 

Tu te trompes, Héraut, tu ne peui parler au nom 
du comte ; les vivans seuls peuvent parler, et noi| 
pas tfes morts. 

L« HÉRAtlT. 

Afenr général est plein de force èf de santé, et il 
vit pour votre perte à tous. 

' ' JEANNE. 

Oui, il vivait lors de ton départ; mais ce matin 
un boulet l'a frappé devant Orléans , tandis qu'il 
regardait du haut de la tour des Tournelles. Tu 
souris parce que je t'annonce ce qui se passe loin 
d'ici. Mais tu en croiras tes yeux, si tu ne te fies pas 
à mes discours: tu rencontreras son convoi funèbre 
à ton retour. Cep'CÎïdânt, parle; expose le sujet de 
ta mission. 

LE HÉRAUT. 

Puisque tu sais bien découvrir ce qui est caché , 
tu dois, le savoir avant que je l'expose. 

J^EANNE. 

Je ne désire pas le savoir; mais, toi, écoute ce 
que je vais te dire, et rapporte mes paroles aux 
princes qui t'ont envoyé. Roi d'Angleterre, et voua 



■ 



58 LA PUGELLE D'ORLÉANS , 

ducs de Bedford et de Glocester qui gouyernez en sa 
place y faites raison au roi du ciel du sang qui a été 
yersé ; rendez les clefs des ailles que tous possédez 
contre le droit divin : la Pucelle vient de par le roi 
vous proposer ou la paix ou une sanglante guerre* 
Choisissez^ car je vous le dis pour que vous le sachiez; 
jamais la possession de Motre belle France ne vous 
sera accordée par le fils de Marie. C'est au dauphin 
Charles, mon seigneur, que Dieu l'a donnée, et il 
entrera dans Paris environné de tous les grands de 
son royaume. Cependant, pars, héraut, et fais di-r 
ligence ; car, avant que tu sois rentré dans ton cainip 
pour rendre compte de ton message, la Pucellë 
sera déjà à Onléanç , et y plantera l'étendard de la 
victoire. • /^ 

( Elle sort ea laissant tous les assutant dans Fagitation. La toile tombe. ) \ 



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FIN DU PREMIER ACTE, » 



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ACTE II, SCÈNE I. 5g 



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ACTE DEUXIEME. 



Le théâtre représente un paysage borné par des rochers» 

SCÈNE^ PREMIÈRE. * 



f 



TALBOT et LIONEL, capitaines anglais; le duc 
PHILIPPE de Bourgogne, le chevalier FASTOLF 
et CHATILLON; des soldats, dçs porte -ban- 
nières. 

TALBOT. , 

Arrétons-nous ici. Il faut établir notre camp sous 
ces rochers, pous y rassemblerons peut-être les 
fuyards qu'une première- terreur a dispersés. Qu'on 
place une bonne garde sur la hauteur. La nuit , il 
est vrai, nous met à l'abri des poursuites; et les sur- 
prises ne seraient à craindre que si l'ennemi avait 
des ailes : n'importe , on doit user de précaution ; 
nos ennemis sont audacieux, et nous sommes battus. 

(Le chevalier Fastolf s'ëloigne avec quelques soldats. ) 
LIONEL. 

Battus! ami, ne prononcez plus ce mot. Je n'ose 
seulement y. penser;. les Françalis ont vu fuir les An^ 
glais. Orléans! Orléans! tolnbeau de notre gloire! 
rhonneur anglais est tombé dqvftnt lès murailles! 
Honteuse et méprisable défaite! L'avenir. pourr^-tTil 



6« LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

le croire? les vaincjueurs de Crécy, de Poitiers, 

d'Azincourt^ ont fui devant une femme. 

LE DUC. 

Cela doit nous consdler; ce n'est pas par des 
hommes que nous sommes vaincus, c'est le démon 
qui est auteur de notre défaite. 

TALBOT. 

Oui, le démon de notre inhabileté. Comment, 
duc! les <;hiiiière$ qui .éppavanteiit le p^ple effraient 
aussi les princes! La crédulité est une mauvaise 
«xcuse de lâcheté. Vos troupes ont fui les premières. 

LE riuc. 
Personne n'a tenu pied; la fuite a été générale. 



TALBOT.. ^ 



Non , seigneur , la déroute a commencé de votre 
côté; vo« gens se sont précipités dans le camp en 
criant : L'enfer est contre nous , Satan combat pour 
les Français ; et c'est ainsi qu'ils ont mis le désordre 
dans les autres bataillons. 

LIONEL* 

Vous ne pouvez le nier, votre aile a plié d'abord. 

us ©ne. 
Parce qu'elle a été attaquée la première. 

TALBOT. 

La Pucelle connaissait l'endroit faible de nôtre 
c^tap; ejULe savait où la frayeur pouvait se répandre. 

m 

î LEDUC. 

Gomment! les Bourguignons sont donc coupables 
de ce malheur? 



ACTE II, SCÈNE I. 6i 

LIONEL. 

Si les Anglais eussent été seuls^ certes ils n'eussent 
jamais perdu Orléans. 

LE DUC. 

En effet, car Orléans n'eut jamais paru à vos yeux. 
Qui vous a ouvert un chemin dans ce royaume? qui 
vous a tendu une main amie quand vous avez voulu 
descendre sur cette côte étrangère et ennemie ? qui 
^. couronné votre Henri dans Paris , et lui a soumis 
le cœur des Français ? Ah ! par le Ciel , si ce bras 
puissant ne vous eût conduits ici, vous n^eussiez 
jamais aperçu la fumée d'une ville française* 

XIOMEL. 

Duc , si les paroles pompeuses prouvaient les ac-* 
tions , vous auriez conquis la France à vous seul. 

LE DUC. 

Vous êtes irrités de ce qu'Orléans vous échappe , 
et vouâ tournez votre dépit contre moi, cofitre votre 
aâlié ; cependant si nous perdons Orléans , n'est-ce 
pas votre avidité qui en est la cause ? La ville était 
prête à se rendre à moi , mais vous et votre jalousie 
l'avez empêché. 

TALBOT. 

. Ce n'était pas pour vous que nous l'assiégions. 

LE DUC. 

Et si j*emmenais mon armée , cela vous serait 
indifférent sans doute ? 

LIONEL. 

Tout autant y croyez-moi, que lorsqu'à Azincourt 
iious eûmes à combattre et vous et toute la France. 



62 LA PCCELLE D'OULÉANS, 

LE DUC. 

Cependant mon alliance vous parut nécessaire ^ 
et votre régent l'a achetée chèrement. 



TALBOT. 



Oui chèrement^ et aujourd'hui plus chèrement 
encore, car nous l'avons payée de notre honneur 
devant Orléanâ. 

LE DUC. 

N'en dites p4s davantage , seigneur iTalbot , il 
pourrait vous en repentir. J'ai abandonne la ban- 
nière de mon légitime souverain ; j'ai chargé ma 
tête du nom de parjure pour me voir ainsi traiter 
par des étrangers ! Que fais-je ici, et pourquoi com- 
battre la France ? puisque je suis destiné à servir des 
ingrats , je préfère obéir à mon roi véritable. 

TALBOT. 

Vous négociez avec le dauphin, nous le savons; 
mais nous trouverons un moyen de nous garantir 
de la trahison. 

LEDUC. 

Par la mort et l'enfer ! on ose ainsi me parler î 
Châtillon , faites préparer mes troupes pour le dé- 
part, n<#as retournons dans nos provinces. 

( Châtillon s^éloigne. ) 
LIONEL. 

Je vous souhaite un heureux retour. Jamais la 
gloire de l'Anglais n'éclate plus que lorsque, se 
fiant à son épée seulement, il combat sans auxiliaire. 
Chacun doit défendre sa propre cause; toujours il 
en a été ainsi. Jamais l'Anglais et le Français ne 
pourront sincèrement unir leurs cœurs. 



1 
1 



ACÎE H, SCÈNE II. 63 

SCÈNE II. 

La reine ISABELLE accompagnée de plusieurs 

pages; les prëcédens. 

LA REINE. 

Qu'enténds-je, chevaliers? arrêtez; quel astre 
funeste égare votre raison ? Maintenant que la 
concorde seule peut nous sauver , voulez-vous vous 
livrer à la haine et préparer votre ruine par la 
discorde? Je vous en conjure, noble duc, rétrac- 
tez cet ordre donné dans votre colère; et vous, illus- 
tre Talbot, apaisez un allié irrité. Lionel, aidez- 
moi à calmer ces esprits orgueilleux , et à assurer 
leur réconciliation. 

LIONEL, 

Non, madame ; j'ai les mêmes sentimens. Je pense 
que, lorsqu'on ne peut vivre réunis, le meilleur 
parti est de se séparer. 

I4A REINE. 

Eh quoi! les artifices déFenfer, après nous avoir 
vaincus dans le combat, viennent-ils ici troubler nos 
pensées et nous ôter la raison? Qui commença cette 
querelle? parlez. (À Talbot.) Noble seigneur, serait- 
ce vous qui, inéconnaissant les services d'un précieux 
allié , auriez pu le blesser? que pourriez-vQus faire 
sans le secours de son bras ? Il peut à son gré vous 
élever ou vous détruire; son armée vous soutient, 
et son nom bien plus encore; toute l'Angleterre, 



\ 



64 LA PUGELLE D'flftLÉAHS , 

vomît-elle sur nos côtes tous ses concitoyens, ne 
pourrait rien cont|*e ce royaume si l'union y régnait. 
La France ne peut être vaincue que par la France. 

TALBOT. * 

' Nous savonsi honorer une alliée fidèle ; mais se 
séparer d'un traître est une loi de la prudence. 

LB DUC. 

Celui dont la mauvaise foi s'affranchit de toute 
reconnaissance, peut bien montrer le front auda«- 
cieux du mensonge. 

LA REINE. 

Comment! noble duc, pourriez-vous ainsi, re- 
nonçant à l'honneur, et abjurant toute honte, 
unir votre main à la main qui fit périr votre père ! 
Seriez-vous assez insensé pour espérer une réconci- 
liation sincère avec le dauphin, vous qui l'avez 
poussé jusqu'au bord du précipice? Quand il est si 
près de sa chute, vous voulez le retenir, et dans votre 
transport insensé vous voulez détruire Votre ou- 
vrage. Ici sont vos seule amis ; votre salut dépend 
de votre étroite alliance avec l'Angleterre. 

LE DUC. 

Je suis loin de penser à faire la paix avec le dau- 
phin; cependant je ne puis supporter l'orgueil et 
l'indolence des superbes Anglais. 

LA REINE. 

Venez , calmez-le par des paroles douces ; vous le 
savez , la colère d'un guerrier est toujours violente , 
et le chagrin rend injuste. Venez, venez, calmez- 
vous^ laissez-moi fermer et guérir promptement 
cette plaie avant qu'elle s'envenime pour toujours. 



ms 



ACTE II, SCÈNE IL 65 

TALBOT. 

. Duc, que vous en semble? un noble cœur cède 
volontiers à la raison. La reine a parle sagement : 
donnez-moi la main; et que cette blessure, pro- 
duite par ma langue indiscrète , soit effacée. 

LE DUC. 

Oui, le discours de Madame est raisonnable, et 
ma juste colère cède à la nécessité. 

LÀ REINE. 

Bien ! Qu'un fraternel embrassement scelle ce rc- 
nouyellement d'alliance, et puissent les vents em- 
porter le souvenir de ce différent ! 

( L« duc et Talbot s embrassent. ) 
LIONEL les regarde; et dit A part. 

Honneur à cette paix conclue par une furie. 

LA REINE. 

• Chevaliers, noils avons perdu une bataille; le 
bonheur nous a cette fois abandonnés, mais votre 
noble courage ne doit pas en être abattu. Le dau- 
phin , désespérant de la protection du ciel , a eu re- 
cours aux artifices de Satan; cependant il aura^en 
vain livré son âme à la damnation , et tout le secours 
de l'enfer ne pourra le relever. Une femme victo- 
rieuse guide l'armée ennemie, je veujX conduire. la 
vôtre; je serai votre guerrière et votre prophAesse^ 

LIONEL. 

Madame, retournez à Paris. Nous vaincrons avec 

le secours de nos épëes , et non avec le «ecours des 

femmes. 

Ton. III. 5 



m LA PUGELLE D'OALÉANS, 

TALBOT. 

RetourneaL, retournez. Depuis que vous êtes dans 
le camp la fortune nous a quittes, et nos armes 
sont noaudites. 

LE DUC. 

Votre présence n'est point utile ici , le soldat ne la 
trouye pas convenable. 

LÀ REINE, les regardant tous troU avec sorprÎM. 

Vous aussi , duc , vous prenez contre moi le parti 
de ces ingrats ? 

LE DUC. 

Retournez y madame , nos guerriers se découra- 
gent quand ils croient combattre pour votre cause. 

LA REINE. 

J'ai à peine rétabli la pais entre vous , que vous 
vous unissez contre moi. 

TALBOT. 

Au nom de Dieu ^ madame ^ quittez l'armée ; 
quand vous serez partie nous ne craindrons plus 
aucune malédiction» 

LA REINV. 

SJb quoi I Jie suisse pas rotre iidcle alliée? votre 
M«M jn'est^e pas la mienne? 

^ tALBOT. 

' Cependaiit la vôtre diffère de celle que nous dé- 
fendais. Nous' sommée engagés dans une bonne et 
honorable guerre. 

Je venge la mort sanglante de mon père; la 
piété filiale a sanctifié mes armes. 



ACTE ir, SCÈNE ÎL 67 

TALBOT. 

Allons plus loin. Votre conduite envers le dau- 
phin est méchante aux yeux des hommes j injuste 
aux yeux du ciel. 

LA REÏNE. 

Qu il soit maudit , lui et sa race, jusqu'à la dixième 
génération ; il a osé outrager sa mère. • 

LE DUC. 

Il yengeait un père et un époux. 

LA REINE. 

11 s'est fait le juge de ma conduite. 

LIONEL. 

Cela est contraire au respect qu'un fils doit à sa 
mère ! 

LA REINE. 

Il m'a envoyée en exil. 

TALBOT. 

C'était obéir à la voix publique* 

LA REINE. 

Si je lui pardonne, que je sois maudite, et plutôt 
que de le voir régner sur le trône de son père.... 

TALBOT. 

Vous préférez immoler l'honneur de sa mère ? 

■ 

LA REINE. 

Vous ne savez pas, âmes faibles^ jusqu'où va le 
courroux d'une mère offensée. J'aime celui qui me 
fait du bien ; je hais celui qui me fait du mal ; et si , 
ce dernier est mon fils, lé fils que j'ai enfanté, ma 
kaine est d autant plus grande. Il me doit l'exil 



68 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

tence, je voudrais qu elle lui fût ravie; son insolence 
impie n'a pas craint d'outrager le sein qui l'a porté. 
Mais vous qui faites la guerre à ce fils , quel droit ^ 
quel motif avez-vous pour le dépouiller?. de quoi 
le dauphin est-il coupable à votre égard? S'est-il 
écarté de ses devoirs envers vous? L'ambition , une 
secrète envie, vous excitent. Pour moi je le hais, par- 
ce que c'est à moi qu'il doit le Jour. 

tALBOT. 

Ainsi , il reconnaîtra sa mère à ses fureurs. 

LA REINE, , 

Misérable hypocrisie ! Combien je méprise ceux 
qui veulent s'abuser eux-mêmes , en cherchant à 
tromper le vulgaire! Vous, Anglais, c'est la rapine 
qui vous attire dans ce royaume, où vous n'avez 
ni droit ni prétexte plausible à posséder un pied de 
terre. Et ce duc , qui se fait surnommer le Bon , il 
a vendu sa patrie, le royaume de ses ancêtres, à 
des maîtres étrangers, à des peuples ennemis; ce- 
péndj^nt vous avez la justice sur les lèvres. Pour 
moi je dédaigne l'hypocrisie. Ce que je suis , il m'est 
indifférent de le paraître aux yeux du monde 

LE DUC. 

11 est vrai , vous avez soutenu votre renommée 
avec fermeté d'âme. 

LA REINE. 

Comme une autre j'ai des passions et de la cha- 

^leur dans le sang, et si je suis venue en ce pays 

avec le nom de reine , c'est pour y être ce que je 

suis, et non pour chercher d'autres apparences. 

Quoi! parce que la malédiction du sort avait livré 



m^^mmasss^m^maess^BSS^SSSSS!9r 



ACTE II, SCÈNE HT. 69 

à un époux insensé ma vive et ardente jeunesse» 
devais-je mourir à tous les plaisirs? J'aime plus que 
ma vie, mon indépendance , et quiconque veut y at- 
tenter.... Cependant pourquoi disputer avec vous 
sur mes droits? Un sang glacé coule lentement dans 
vos veines ; vous ne savez ce que c'est qu'éprouver la 
la joie ou le courroux. Ce duc, qui a passé sa vie à 
hésiter entre le bien et le mal , ignore ce que c'est 
que de haïr du cœur ou aimer du cœur. Je vais à 
Melun (^montrant Lionel) : donnez-moi ce cheva- 
lier , il me plaît , sa société me divertira. Faites ce 
que vous voudrez. Je ne demande plus rien ni aux 
Bourguignons, ni aux Anglais. 

( Elle fait signQ à ses pages , et s'éloigne. ) 
LIONEL. 

Comptez sur moi. Je vous enverrai à Melun les 
beaux jeunes Français que je ferai prisonniers. 

LA REINE se retourne. 

Un Français sait aussi bien que vous combattre 
avec son épée^ et de plus il a de la courtoisie dans 
ses paroles. 

SCÈNE IIL 

LE DUC, TALBOT, LIONEL. 

TALBOT. 

Est-ce là une femme? 

LIONEL. 

Maintenant, chevaliers, quel est votre avis. 
Continuerons-nous notre retraite > ou retourneronsr- 



■h -T" 



70 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

nous effacer promptement laffront d'aujourd'hui 

par un combat audacieux? 

LE DUC. 

Nous sommes affaiblis , les troupes sont disper- 
se'es. L'armée est encore frappée d'une terreur trop 
récente. 

TALBOT. 

Une crainte aveugle y la rapide impression d'un 
moment^ est la seule cause de notre défaite. Exami- 
nés de plus près ^ les fantômes d'une imagination 
effrayée s'évanouiront par les réflexions de la nuit. 
Mon avis est donc qu'au point du jour nous rame- 
nions l'armée au bord du fleuve pour combattre. 

LE DUC 

Réfléchissons-y. 

Avet votre permission , il n'y a pas à réfléchir j 
nous devons promptement réparer notre désastre , 
ou en subir la honte pour toujours. 

TALBOT. 

Cela est résolu; demain nous combattrons. Les 
illusions de la peur qui aveuglaient et énervaient 
nos soldats se dissiperont , et nous pourrons lutter 
corps à corps avec ce démon qui a revêtu la forme 
d'une jeune fille. Si elle ce trouve à portée de mon 
épée , croyez qu'elle nous aura nui pour la dernière 
fois ; si je ne puis la rencontrer c'est qu'elle évitera 
le combat • et alors l'armée sera désabusée. 

LIONEL. 

Ainsi soit. Chevaliers ^ confiez*moi un combat 
facile j et qui ne répandra pas de sang ; si je trouve 



ACTE H, SCÈNE IV. 71 

le fantôme encore vivant, je veux, sous les yeux du 
Mtard y je veux , dans ses bras , enlever ses amours, 
et les conduire dans le camp anglais pour divertir 
nos soldats. ' 

LE DUC. 

N'aye£ pas trop de présomption. 

TALBOT. 

Si je l'atteins , je ne compte pas la traiter si dou- 
cement. Cependant allons, par un léger sommeil, 
réparer nos forces épuisées , et demain nous parti- 
rons dès l'aurore. 

( Ils sortent. ) 

SCÈNE IV. 

JEANNE avec sa bannière; elle a un casque et une 
cuirasse; du reste elle est vêtue en femme. DU- 
NOIS, LÂHIRE, Chevaliers et Soldats. Us parais- 
sent sur un rocher, s'avancent en^ilence, et puis 
arrivent ensemble sur la scène. 

JEANNE, aux cbeYali«n ^i Tentourent, pendant «pie lea autres continuent toujours 

à monter et à s'avancer. 

Le mur est franchi, nous sommes dans le camp. 
Il est temps de déchirer le voile qu'une discrète 
nuit a jeté sur vous pour cacher votre troupe silen- 
cieuse. Que des cris de guerre apprennent aux en- 
nemis votre redoutable approche : Dieu et la Pucelle ! 

TOU s. Ils crient et font retentir lenra armes. 

Dieu et la Pucelle ! 

< Bruit (le tambours et de trompette». ) 



7a LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

LA SENTII^ELLE , derrière le théâtre. 

L'ennemi ! l'ennemi ! l'ennemi ! 

JFA.NNE. 

Apportez des flambeaux^ embrasez les tentes; que 
l'ardeur des flammes accroisse le désordre f et que 
la mort menaçante les environne de tous côtes ! 

(Les soldats s'empressent , elle veut les suivre. ) 
DUNOIS la retient. 

Jeanne y vous avez maintenant fait tout votre 
devoir; vous nous avez conduits au milieu du camp, 
vous avez livré l'ennemi en nos mains; à présent 
demeurez en arrière de la mêlée, retirez-vous du 
carnage. 

LAHIRE. 

Vous avez montré à l'armée le chemin de la vic- 
toire; vos mains pures ont porté devant nous la 
bannière : qu'elles ne se servent point du glaive 
meurtrier. Ne tentez point le dieu des batailles ; il 
est aveugle et infidèle, et dans sa course il n'épargne 
personne. 

JEANNE. 

Qui ose me prescrire de m'arreter ? Qui ose com- 
mander à l'esprit qui me guide ? La flèche ne doit- 
elle pas frapper où on l'a dirigée ? Où le danger 
est, Jeanne y doit être. Ce n'est ni en ce jour, ni en 
ce lieu, que je suis destinée à succomber; je dois 
voir la couronne sur la tête de mon roi. Tant que je 
n'aurai pas accompli tout ce que Dieu m'a ordonné , 
aucun ennemi ne peut m'ôter la vie. 

(Elle sort.) 
LAHIRE. . 

Viens, Dunois! suivons l'héroïne, et allons lui 
faire avec courage un rempart de nos corps. 

(Ils sortent. ) 



ACTE II, SCÈNE V. 7? 

SCÈNE V. 

DES SOLDATS ANGLAIS traversent le théâtre en 
fuyant; TALBOT vient ensuite. 

UN SOLDAT. 

La Pucelle^ elle est au milieu du camp. 

UN SECOND SOLDAT. 

Impossible, comment y serait-elle venue? jamai&- 

UN TROISIÈME. 

A travers les airs. Le diable la protège. 

UN QUATRIÈME ET UN CINQUIÈME. 

Sauvons-nous , sauvons-nous ! Nous sommes tous 
morts. 

( Us s'en vont. ) 
TALBOT arrive. 

Ils n'écoutent rien Je ne puis les arrêter; ils ne 
reconnaissent pas plus le frein de la discipline y que 
si l'enfer avait vomi contre eux toutes les légions 
des esprits de ténèbres. Le vertige, l'égarement 
pressent à la fois les braves et les lâches, et je ne puis 
réussir à opposer la plus petite résistance au torrent 
des ennemis, dont la foule pénètre à grands flots 
dans notre camp. Suis-je donc le seul de sang-froid , 
et tout ce qui m'entoure est-il en proie à cette fré- 
nésie? Eh quoi, faut-il fuir devant ces faibles Fran- 
çais, après les avoir vaincus dans vingt batailles? 
Quel est donc cette femme invincible , cette déesse 
de l'effroi, qui change en un instant le sort des ba- 
tailles f et qui fait une armée de lions d'un troupeau 



74 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

'de cerfs timides. Une comédienne , à qui l'on ferait 
jouer des rôles d'he'roïne , pourrait-elle épouvanter 
des héros véritables? Comment, une femme me 
ravira tout l'honneur de la victoire ! 

UN SOLDAT, en fuyant rapidement. 

LaPucelle! fuyez, fuyez, chevalier. 

TÀLBOT, le frappant. 

« 

Fuis aux enfers; cette épée punira quiconque 
osera me proposer une indigne fuite et prononcer le 
mot de frayeur. 

(II se retire. }, 

SCÈNE VI. 

(Le fond du théâtre s^onvre. On Toit le camp des Anglais en proie aux flammes; on 
entend les tambours. On aperçoit des fuyards et ceuit qui les poursuivenL AprAa ofe 
moment , Montgomery arrive. ) 

MONTGOMERY seul. 

• Où dois-je fuir? L'ennemi et la mort nous envi- 
ronnent : là, notre chef irrité nous ferme de sa 
menaçante épée le chemin de la fuite, et nous 
repousse vers la mort ; ici , une femme aussi ter- 
rible , aussi impitoyable que l'ardeur des flammes > 
nous poursuit. Je n'aperçois aucune caverne, au- 
cun buisson qui puisse m'offrirun asile. Oh! pourquoi 
ai-je traversé la mer pour venir en cette contrée? 
Ah ! malheureux , une vaine présomption m'a en- 
gagé à venir acquérir en France une gloire facile , 
et maintenant le sort implacable me conduit dans 
cette sanglante mêlée. Ah ! que ne suis-je loin d'ici , 
sur les bords fleuris de la Saverne , dans la tran- 



y 



ACTE II, SCÈNE VII. 7$ 

cpiillé maison de mon père^ oii j'ai laisse dans le 
chagrin ma mère et ma douc§ et tendrç fiancée! 
( Jeanne parait dans h fond du théâtre. ) Malheur 
à moi! qui Tois*-je Tenir? C'est la terrible guer* 
rière? je distingue le sombte ëclat de ses armes 
au milieu des flammes éclatantes , ainsi qu'on voit 
un esprit nocturne se montrer à travers la lueur 
ardente des portes de l'enfer. Où fuir? Elle a fixé 
sur moi ses yeux enflammés, et déjà je me sens 
saisi; je suis enchaîné par les regards qu'elle lance 
sur moi! L'enchantement retient plus fortement 
mes pas à chaque instant, et me rend la fuite impos- 
sible; quoique mon cœur s'y oppose avec force, 
ma vue ne peut se détourner de ce fantôme de la 
mort. ( Jeanne Jait quelques pas- i^ers lui, puis s*ar^ 
Tête un peu en arrière. ) Elle approche! je ne veux 
pas attendre qu'elle vienne à moi la première, je 
vais en suppliant embrasser ses genoux et lui de^ 
mander la vie ; elle est femme , peut-être mes larmes 
parviendront à l'attendrir. 

{ Pendanl q[a*il Mturche pour Taliordftr, «Ue Ti«at k lui furieuse. ) 

SCÈNE VIL 

JEANNE, MONTGOMERY. 

JEANNE. 

Tu appartiens à la mort! n'est-ce pas une mère 
anglaise qui t'a donné le jour? 

MONTGOMERY tooJ»* è «es pMs. 

Arrête, guerrière redoutable. N'égorge pas un 



76 LA PU€ELLE D'ORLÉANS^ 

malheureux sans défense : j ai jeté mon bouclier et 
mon épëe; je tomly à tes pieds ^ désarmé et sup- 
pliant. Laisse-moi la lumière du jour ; accepte 
une rançon ; mon père , possesseur de riches dor- 
maines, habite le beau pays de Galles ^ oà: la. 
Saveme roule ses ilôts argçnti^s en serpentant dans 
les prairies. Cinquante villages le reconnaissent pour 
seigneur.» Sitôt qu'il apprendra que je vis encore , 
prisonnier dans le camp des Français, il rachè- 
tera ^ au prix de beaucoup d'or , son fils chéri . 



JEAI^NE. 



Espérance vaine et insensée! Tu es tombé sous la 
main implacable de la Pucelle; il ny a plus ni 
délivrance, ni salut à espérer. Si le malheur t'avait 
mis en la puissance du crocodile ou sous la griffe 
du tigre impitoyable, si la lionne t'avait saisi après 
t'avoir vu enlever ses petits , peut-être trouverais-tu 
la. clémence ou la pitié ? La mort est assurée pour 
celui qui rencontre la Pucelle. Une promesse ter- 
rible et inviolable m'engage à l'esprit puissant et 
invincible qui me conduit. Cette épée doit donner 
la mort à tous ceux qfue l'arbitre suprême du sort 
des combats envoie devant moi. 

MONTGOMERY. 

Tes paroles sont cruellçs ; cependant ton regard 
est doux. De plus près ton œil n'inspire pas la 
terreur, et mon cœur est attiré par cette aimable 
apparence. Au nom de la tendre affection de tes 
parens, laisse-toi fléchir ; prends pitié de ma jeu- 
nesse. 



^mwm^^mmm^^fmmmifm^mmmmmmi 



ACTE II, SCÈNE VII. 77 

JEANNE. 

'N'implore pas le nom de mes parens; ne dis pas 
que je suis une femme. Semblable à ces esprits 
incorporels qui ont cependant une apparence 
humaine^ je ne tiens à aucune famille parmi les 
hommes , et sous cette cuirasse^ il n'est pas de cœur. 

MONTGOMERY. 

Oh! par cette loi sacrée et souveraine, par cette loi 
d'amour à laquelle tous les coeurs rendent hom- 
mage , je t'implore ; j'ai laisse dans ma patrie une 
^aimable fiancée , belle comme toi, et brillante de 
tous les charmes dé la jeunesse; elle attend dans 
les pleurs le retour de son bien-aîmé. Oh ! si tu as 
l'espoir ^de connaître un jour l'amour, si tu espères 
y trouver le bonheur, ne sois pas assez cruelle pour 
séparer deux cœurs qu'unit un lien sacré d'amour. 

JEANNE. 

Tu réclames des dieux terrestres et étrangers qui 
n^ont rien de sacré ni de respectable pour moi. J'i- 
gnore ce que sont les liens de l'amour , au nom des 
, quels tu me conjures; jamais je ne connaîtrai ce vain 
esclavage. Défends ta vie, car la mort t'appelle* 

MONTGOMERY. 

Ah 1 prends pitié du désespoir de mes parens , 
que j'ai laissés dans la maison paternelle. £t toi 
aussi, sans doute, tu as abandonné des parens que 
ton absence fait gémir d'inquiétude. 

JEANNE. 

Malheureux ! pourquoi viens-tu me rappeler que 
dans ce royaume de nombreuses mères pleurent 



78 LA PUCELLE D'ORLÉAMS, 

leurs ènfans^ que de tendres enfans ont perdu leur 
père, que des épouses chéries sont dans le reuvage, 
et que vous en êtes la cause ! Les mères anglaises 
éprouveront aussi le désespoir ; elle apprendront à 
connaître les larmes qu'ont versées les tristes épouses^ 
françaises ! 



MONTGOMERY. i t 



Ah ! qu'il est dijr de mourir , sans être pleuré , sur 
une terre étrangère. 

JEAMfE. 

Qui vous a appelés dans cette terre étrangère pour 
y détruire les travaux d'une heureuse industrie ^ 
pour nous enlever nos fidèles troupeaux , pour ré-* 
pandre le feu de la guerre dans les asiles paisibles de 
nos cités ? Dans les vaines illusions die votre cœur ^ 
vous songiez déjà à précipiter dans un honteux es- 
clavage les libres habitans de la France ^ et vous 
comptiez régir ce vaste royaume comme une barque 
enchaînée à votre orgueilleux navire. Insensés ! les 
lis de la France sont attachés au trône de Dieu , et 
vous auriez plutôt arraché une étoile à la constella-* 
tien du chariot céleste , qu'un seul village à ce 
royaume dont le destin éternel est de ne pas être 
divisé. Le jour de la vengeance est arrivé; vous né 
repasserez plus vivans cette mer sacrée que Dieu a 
placée comme barrière entre vous et nous ^ et que 
vous aviez injustement traversée. 

MONTOO MERY quitte la main de Jeanne qu'il avait saisie. 

Il faut donc mourir ! Déjà la cruelle mort s'em- 
pare de moi. 

JEANNE. 

Meurs ^ ami ! pourquoi se montrer ai timide^ et 



ACTE II, SCÈNE VIIL 79 

trembler devant la mort et Finévitable destin ? Re- 
garde-moi! je ne suis qu'une jeune fille, qu'une 
simple bergère ; ma main n'est pas accoutumée à' 
porter le glaiye ; elle n'a jusqu'ici soutenu que la 
douce et innocente houlette ; cependant , abandon- 
nant les embrassemens de mes sœurs chéries*, les 
caresses de mon père, et ma vallée natale, je suis 
venue ici : il le faut; la voix de Dieu, et non pas mon 
propre choix m'y a conduite^ Pressés par un fan- 
tôme terrible, nous sommes venus, toi pour ton 
malheur, et moi sans espoir de bonheur, répandre 
la mort, et ensuite lui serrir de victime; car jamais 
je ne verrai le jour heureux du retour. Je donnerai 
le trépas à beaucoup d'entre vous encore. Je ferai 
couler encore les larmes de plus d'une veuve, et 
enfin , moi aussi , j'aurai achevé et accompli mon 
destin. Achève aussi le tien. Prends ton épée, et 
voyons à qui restera la vie, le plus doux prix des 
combats. 

MONTGOMERY se relevant. 

Eh bien , puisque comme moi tu es mortelle , 
et que le glaive peut te blesser, c'est peut-être à 
mon bras quHl est réservé de t'envoyer aux enfers 
et de terminer le malheur des Anglais. Je confie 
mon destin aux mains bienfaisantes de Dieu ; toi , 
réprouvée, appelle à ton secours tes esprits infer- 
naux ; défends ta vie. 

( n reprend son ëpëe et son bouclier, et fond sur elle. On entend dans le lointain les sons 
d'une musique guerrière. Après un instant de combat, Montgomery tombe.) 



8o LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

SCÈNE VIII. 

JEANNE seule. 

Tu chancelles vers la mort. C'en est fait. ( Elle 
s'éloigne de lui et s'arrête penswe. ) Vierge divine f 
tu as mis ta force en moi ; tu armes ce faible bras de 
ta puissance; tu remplis ce cœur d'une inexorabl<& 
rigueur. Mon âme se révolte de pitié, et ma main 
tremble lorsqu'il faut détruire dans sa fleur la vie 
d'un adversaire. Je frémis comme si j'allais violer 
le sanctuaire d'un temple , et je suis émue même 
avant de tirer l'acier étincelant de son fourreau. 
Cependant s'il faut qu'il en soit ainsi , ta force s'em- 
pare de moi , et le glaive , de lui-même , comme 
animé d'un vivant esprit, guide ma main trem- 
blante et frappe des coups certains. 

SCÈNE IX. 

UN CHEVALIER caché par sa visière , JEANNE. 

LE CHEVALIER. 

Fuis ! ton heure est venue ; je t'ai cherchée dans 
tout le champ de bataille; fantôme terrible, re- 
tourne aux enfers dont tu es sorti. 

JEANNE. 

Qui es-tu , toi que ton mauvais ange amène de- 
vant moi.^ Ta démarche annonce un prince j je ne 
vois rien d'Anglais en toi , et je reconnais les cou- 



ACTE II, SCÈNE X. 8i 

leurs du àiic de Bourgogne ; devant ces dignes j'a- 
baisse* m6n ë{>ée:' • 

« 'Fuis t^prcMiV^ ! tu ne mentes pas de mourir de la 
noble main d'un prince. Ta tète infernale doit être 
abattue par la hache du bourreau, et non par la re- 
doutable ëpée du royal duc de Bourgogne. 

JEANNE. 

Ainsi, tu es le Duc lui-niéme. 

LE CHEVALIER, levant sa visière. 

Je le stiisy malheureuse ; tremble et n'espère plus. 
Les artifices de Satan ne peuvent plus te secourir , 
tu n'as vaincu jiisqu ici que de timides enfans ; c'est 

un hommie qui est devant toi.' 

1 . . . ' • . ' 

■ . SCÈNE X. 

I 

DUNOIS et LAHIRE , les préçëdens. 

4 

DUNOIS. 

Duc» tournez vos armes vers moi: combattez 
avec des hommes , et non contre une femme. 

LAHIRE. 

Nous venons protéger la tête de notre he'roïne , 
et ton éyée doit traverser motf cœur avant de l'at- 
teindre. • 

■ . ' . , LE nue. 

- Je ne combats point cette dan|;ereuse Circé ; mais 
je veux bieen encore lutter avec vous , qu'elle a si 

honteusemeiit- dasrkonorés. Hongis^ex^ Dunoîs , et 

ToM, m. 6 



^ LA PUCELLE D^RI/ÈANS, 

TOUS, aussi , Lahirf^ , d'à v^oir allie votre, (woticjue va^ 
leur aux artifices de l'enfer , et dç^v^i^^w^e £Mt^ 
les écuyers d'un agent infernal. Approchez l je tous 
défie tous» Il désespèM de la protèctma .de Slieu, 
celuiqui implore oelle du démon, r • • <• 

- JEANNEl r' •'• ' .'* '"'*'' '-'''' 

Arrêtez. 

tE DtiCi . i -.^ .: r 

Trembles-tu pour ton favori ! je ^ais à tes yeux... 

( Il s'avanct «ut- Dunoin. ) i 

JEANINE. • ,. '.;'j,, , : 

Arrêtez! Lahire^ séparez-les : lëjsaiig fisA4çai^ 
ne doit pas couler. C^ n'est pas Iç glaive qui doit 
décider de cette querelle ; les astres en ont autre-^ 
ment ordonné. Séparez-vous , vous dis-je , écoutez 
avec respect l'esprit qui s'empare de moi, et qui 
parle par ma bouche. 

<Dt)KOI^. 

Pourquoi retiens-tu mon bras déjà levé ? Pour- 
quoi suspendre le jugement sanglant du glaive. 
Le fer est tiré, lalsi$é-moi frapper, et que la Frâtace 
soit vengée dès offenseis qu'elle ^- reÇufes. 

JEANNE. Elle se place entre les combattansl et les sépare par un asses vaste inter- 
valle, pAU s'ad^esiant a J^unoi^ : , . . 

Retirezrrvouç 4^ ^ ÇÔ^é» ( -4 Lif^U'e. ) ^Nç nie 
troublez pas , j'ai à m'entretenir avec le diijç, ( Le 
calme est rétabli. ) Que veux-tu faire , duc de Bour- 
gogne? Quels sont les ennemis à qui tu veux donner 
la mo^t. Regarde ! ce noble prince est edmmie tQÎ 
fils def rancef jceJ»*aTegaerrie!^ est tosice«ipa0OQii 



ACTE W,îSC^]SE X. / 83 

.4'arwfsp^ ton £OiM;itoy<e« j;l0i>îr^inêi»e ne nud-^rpas 
fi^le d^ lA p^trî^ ? iiom i»n$9 <fii«e t(iiTt'ieâbrcesf4'eiH 
. terminer i lums spiiime$ àftt>l. MôisÏME*Kfieiit.otti?>erts 
^fQW t'e^br^sser i 99^. gi^pous: "vontiléchir dcvai^t 
toi; IMS opëes ne situraîiaiit dîôrigQr ieu^ paitiiés 
coptr^^ tf. poitrine, liîoe korâmages âaM d|is h vm: Vi- 
dage pù.nq^us recemaissoEOs les traits ^kéms Ae mxtt^ 
roi , même sous un casque eanemi. 

LE pue. 

. Avec ïf^es. doujces f^aii^l^ et ce ton flatteur > tu 
veux, ;sir,èn^., attire^ jta victime? To«i ïa^esse ue 
pourra me séduire. Mq|i weille saura se garder 4e 
tes discours artificieux. Une impénétrable cuirasse 
garantira mon cœur des traits enflammés de tes 
yeux. Aux armes ^ JDunois , nous 4eYK>a$ combattis 
avec le fer^ et non pas avec les paroles. 

DUNOIS, 

D'abord les paroles, çit puis les armes. Crains-tu 
de t^expliquer par des discours? Çesti aussi une là-* 
chetë, et la marcnie d'une mauvaise cause. 

.J£ftKl»E. 

Ce n'est pas L'impérieuse nédessitë qui nous amène 
;à te$:pieds.y et nous ne paraissons «pas devant toi 
. comme supplians. Regarde autour Àe 4oi , le camp 

des Anglais est en cendres, et les^corpsdevos^ol-- 
-dats couvrent la campagne. Ëntend^tu retentir les 

trompettes dé nos Français; Dieu a prononcé, la 
. victoire eat à nous. Le noble laurier (fue 'nous ve-* 
. nous de conquérir , nous sommes prêts à le partager 
. avec un ami. Reviens à nous , abandonne noble-* 
. ment ton parti pour passer dans celui de la justice 



84 LA PUCf;^LLE D'ORLÉANS, 

et de la victoire. Moi-mêuate , Fenvdyée de Dieu , je 
te présente une main fraferAelle. Je veuï te déli- 
Trer et t'attirer dans la^ bonne cause.' Le ciel est 
pour la France ;^ des anges ^ que tu ne tois pas côfti- 
battent pour te roi; tous portent des lis à la main. 
Cette blanche bannièren'esl pas plus pur^ qixe le but 
de nos efforts : c'est une pudique vierge qui orne la 
bannière des Français. • 



tB D0C. 



Les paroles trompeuses du inensonge o'ilt toujours 
quelque chose d'èmbarasse', inais le discours d'un en- 
fant ne serait pas plus simple que le tien, et si l'esprit 
malin dicte des paroles, il sait imiter parfaitement 
l'innocence. Je ne t' écoute plus ; aux armes ! mon 
oreille, je le vois, serait plus faible que mon bras. 

JEANNE. 

Tu m'appelles une magicienne, et tu m'accuses 
d'employer des ruses emprunte'es au démon. La paix 
rétablie, la haine oubliée, sont-ce là les pièges de 
l'enfer? La concorde vient-elle des gouffres éter- 
nels? Qu'y a-t-il donc d'innocent, de sacré, d'hu- 
main f de bon, si l'on craint d'être coupable en ces- 
sant de combattre sa patrie ? Depuis quand la nature 
estrelle assez en désordre pour que le ciel abandonne 
la bonne cause, et que l'enfer vienne la protéger? 
Si la justice parait dans mes paroles , d'où pourrais- 
je les tirer , si ce n'est d'en haut ? Qui aurait pu son- 
ger à me ravir à mon troupeau , pour consacrer une 
humble bergère à défendre la cause du roi? Ja- 
mais je n'ai habité auprès des princes ; ma bouehe 
est étrangère à l'art des discours. Toutefois, à pré- 



1 1 ■iCi 



■X 



ACTE II, SCÈNE X; 85 

sent que je cherche à te persuader , ma Tue embrasse 
la connaissance des yastes intérêts; le destin des 
princes et des royaumes apparaît clairement devant 
mes yeux sans expérience , et ma voix tonne ayec 
élomience. 

LE DUC, yivemeiittoiicli^, h regarde fixement avec tftonnement et émotion. 

Quesepasse-t-il en mon âme? Quai-je senti? Est- 
ce un Dieu qui pénètre en moi pour changer le fond 
de mon cœur ? Ah cette touchante figure ne saurait 
tromper! Non! non! je suis aveuglé par un puis- 
sant enchantement^ par ràutorité du ciel. Oui, 
mon cœur me l'assure, elle est l'envoyée de Dieu. 

JEANNE. 

Il est ému! Oui je le vois. Ce n'est pas en vain 
que j'ai supplié , les nuSges de colère disparaissent 
de son front et s'écoulent en pleurs; ses yeux bril- 
lent du doux éclat du sentiment, et annoncent la 
paix. Laisse^-vos armes , pressez votre coeur sur le 
sien. Il s'attendrit, il est vaincu. Il est à nous. 

( Elle jett« flontfpée et sa banniir», s'avanoe vers lai lei bnu ouverts, et reubrane avee 
niM vivacitë paasioppée. DuB«is «t Lahire abandonnent auati knr ëpëe , et Tiennent 
Temlnrasser. ) 



FIN DU DEUXIÈME ACTE, 



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LA PnCELLE D'ORLÉANS, 






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• V 



ACTE TROISIÈME. 



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Ld scène est à Chalons-siur-lMfame , dans ïe palais du roi^ 

SCÈNE PË.EMÏ]ÈiaE. 



• 1 II 



DUNOIS et LÀHIRE. 

Noos S^oùimés amis, frères d^itines'j nos brà^ sont 
ariri^s potir défendre la hrême càuâe, liou^ aitôns 
fcraté ensettiliflé et Icf ïùàlhetif iét la' mort. Que 1 a- 
riioùr d'iihe femme ne rplnye paiÉ un lien ^uî à ré- 
sisté & tbiis lés cdùps du' ^olrt. • :* 

Prince , écoutez-moi ! 

DUNOIS. 

Vous aimez cette merveilleuse fille ^ et je sais bien 
quel est votre projet. Vous voulez aller de ce pas 
prier le roi de vous accot'der Jeanne. Il ne peut re- 
fuser à votre valeur une récompense si bien mé- 
ritée. Sachez cependant qu'avant que je la voie 
en d'autres bras 



LAHIRE. 



Ecoulez-moi, prince! 



\ 



ACtE 111, SGÈNB I. « 87 

Ce n'est point TefFet soudain et passager de âa' 
l)eauté qui m'attire vers elle. Aucune femme n'avait 
encore troublé le calme inëbrànlâblë de mon cœur, 
jusqu'au jour où je Vis cette fille miraculeuse , qu'un 
deWet de Dieu» destinée à être ta libëratHcod^ la 
Vràûcmy et à être aussi mon épousa^ daHs l'iastupt 
même , je me promis, ayec un serfoeM sÂct'ë , que je 
l'unirais à moi. Le guerrier vaillant doit avoir une 
vaillante amie ; son cœur ardent né |>eut éé Re- 
poser que sur un cœur qui lui ressemble et qui 
puisse affermir et souteaîi* son eourage. 

LAHIRE. 

Coniment pourrais-^jë; prlfic4, nié liÀsaMlgi* dé 
comparer mes faibleè services 'à* là gléite de votre 
nom héroïque. Lorsque le comte de Dunois se pré* 
sente dans la carrière, tout autre prétendant doit 
se retirer. CependsLhi une hutuble bergère eit-èlle 
digne de paraître titijji*ès de Vous cohinie ëpotlse;^ 
et le sang royal qui coule, dans vos veines ne doit-il 
pas déd^igqei^ce^^f^Uiaoce.inégale;; , 

EUe^ est née mon égale j^ eUe eét eonunè'mot nn 
f afoint de Dieu et ide la facture bienfaisante/ et quel 
prince ne serait pas honoré <d6 irieéevoir là tnaid à^ 
celle qui est l'innocepte lancée des anges, dont 
la tête est ornée d'une couronne céleste plus bril— 
lante que les couronnes de ce monqe ^ qui voit au- 
dessous de ses pieds les plus grands, les plus élevés 
de la terre. Tous les ttônes amoncelés l'un sur 
l'autre juscju'aui étoiles ne p<Nii>i»tfaeiit égaler la 



\ 



88 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

hauteur de celui où elle est assise^ dans son ange* 

lique majesté. 



^ LAIIIRE. 



Le roi pourra prononcer. 

» 

Non, c'est elle-même qui : doit prononcer. Elle à 
rendu la France libre, et son cœur ne pourrait dis? 
poser de lui-même! 

■ I.AHIRE. , ". 

/Le roi vient. 

SCÈNE II. 

liE ROI, AGNÈS, L'ARCHEVÊQUE, DUCÇATEL, 
CHATiliLON, les préce'dens. 

LE ROI, iChâtiUon. " 

Il revient! Il veut, dites-vous, me reconnaître 
pour son roi et me rendre hommage. . 

• ' GHATILLON. t 

Oui, sire ; le Duc, mon maître ,' veut ici même 
dans votre royale ville de Châlons , se jeter à vos 
pieds. Il m'a ordonne d'aller vous saluer comme 
mon seigneur et mon roi; lui-même suit -mes pas^ 
et bientôt il va s'avancer. 

• • * • ■ * 

/ ' *AGNÈâ. 

Il revient! ô jour heureux, tu nous amènes la joie 
avec la paix et la concorde. 

; CHATILLON. , 

Mon maître arrive ayec deux ceii.ts ch^vaUei^,; il 



\ 



ACTE 4|;I.^SCȫEr, I^. , . ^ 

se prosternera à vos pieds ; ce{>endant il espère que 
vous vous opposerez à cet Kiimble mouvement,^ et 
que vous embràSssei^ëz* votre co'u^ih â vec àniitie. ' 



LE ROI. 






Je brûle de le presser sur mon cœur. 

•Le Due deivfcande aussi que, dans: cette; premvèrti 
entrevue 9 aucun laot ne soit proac^fteé^qui- ait raj^ 
]M)rt aux s^nqieunes discordes. 

Que le passé soit pour toujours n^yé.datUdl'oubU; 
nous ne voulons songer qu'aux jours sereins de l'a- 
venir. 

CHATILLON. . . 

>'•■*■ • ' • 

Tous ceux gui ont combattu avec le Duc .dpiyent 
être compris dan^ cette réconcilia lion.f . , [ 

Par-là je vois doubler le nombre de messiija^î 

GHiTILLOIï. 

La reine Isabelle doit être associée à ce traité^ si 
elle veut y accéder. 

LE ROI. 

Elle fait la guerre contre moi ^ et je ne la fais pas 
contre elle. Notre combat sera fini du moment 
qu'elle suspendra l'attaque. 

Douze chevaliers servirontc: d'otage pour . gârautir 
votre parole. . : , ; :. . , ... 



LE KOL 



Ma parole est sacrée. 






§a LA PVCELLE D'ÔRLit:AI^, 

Et Farcbeyqque. partagera rhostiç .OTitre yo^s ;.e;t 
mon maître , comme sceau et comme gage d'une ré- 
conciliation sincère. , , 

lÉ ROI. ' 

Que mes droits au'^alttt éternel répondent de la 
Â^ncérité.de moffeocuPetdeiiiesremirt-akeiâens^ Le 
Djaciled^tiiandeaucuii^ atttre'gage*. - ' 

CHATILLON, en jetant un regard sur Duchâtel. 

Je vois ici quelqu'un dont la présence pourrait 
troûMdr oétté première efatrevuè. » 

• ■ • « ' i • 

( Dudiàtel sort en silence. ) 

LE ROI. 

Va, Duchâtçl, jusquà ce que le Duc puisse sup- 
porter ta vue, il convient que tu te retires. (// 
le suit des yeux, puis court à lui et Vembràsse.) 
mon fidèle ami ! tu as Vdulu faire encore davan- 
tage : pour :mdn répoBi 

(Dttchâteltort.) 
éflÂtitLON. 

Les' autres articles sont contenus dans cette dé- 
]^che. 

LE ROI, à rarcheréque. 

Vous prendrez soin de les régler. Je consens à 
tout; pour acquérir un ami, il n'est point de trop 
grands sacrifices. Vous , l)unois , prenez avec vous 
cent nobles chevaliers', et allei recevoir le duc. Que 
lets soldats^ se coui^ehnent de feuillages pour aller 
au-devant de leurs frères. Que toute la ville &'drnfe 
pour cette fête, et que le son des cloches annonce 
que la France et la Bourgogne s6nt de noutea^ 



ACTE m; SCÈNE II. gr* 

unies. (JJn écuyer entre ^ on entend les trompetles.) 
Qu'entends-je! qu'amioncent ces trompettes? 

• . • • • 

LÉGUYER. 

E)Ues annoncent Ventrée du du^ç (|le BourgQgxi.ç. . , i 

, (ntoK.> • • 



t ' 



' IHTRMS sert ftvtoc'IiÉliiM et GAâtUlbii 

Allons k sa rencontre. ' 

LE BOI. 

Agnès, TOUS pleurez? Et moi aussi je manqué 
presque de force pour riésister à ce changement. Ah l 
comÛen la mort a pris de victimes ;y avant qu<e j'aie 
pu réussir à obtenir cette réconciliation. Mais enfiiv 
la rage de la tempête s'apaise ; le jour succède à 
la nuit obscure , et une heureuse saison vient mûrir 
dé» frtiit9 trop tardifs. 

L'ARCHEVÊQUE, à U fe^i^tre. 

Le tiiic fend la presse , on le porte en trk>iipphe f, 
on baise ses vétemens et la trace de ses pas. 

LE ROL 

C'est un bon peuple , ardent et vif 4^ns son 
amour comme dans sa fureur. Comme ils ont vite 
oublié que c'est là ce même duc dont la main a 
frappé ou leurs pèr^s on leurs enfans. Cet ifn^ânt a 
efface toute sa vie. Prends courage, kpkèêf fàtvvé 
joie pouii*afît blesfser son âme. Rien fei ne Aoit Yàf^ 
tàg^r cm l'humilier. 



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'jî.'j-. j I 



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fta, LA PUCELLE; D'ORLÉANS, 

SCÈNE ni 

Les pi^'cëdens, le duc dé BÔURGÔGWÉ, DUNOIS, 
LÂHIRE , CHATILLON et d'autres ckevaliers de 
la suite du duc. 

(Le Duc s'arrête un instant à Tentrëe. Le roi s'avance vers lai. Aussitôt le Dac s appro- 
che , et au moment où il se dispose à mettre le genou eu terre , le roi le serre dans ses 
iras.) '- - ♦ ' ' 

LE ROL 

Vous nous avez surpris; nous comptions aller à 

Totre rencontre. Votre marche a été' rapide. 

> 

LE DUC. 

Je me rendais à mon devoir. ( // s^twani^ vers 
j4gnès et F embrasse au front* ) Vous permettez., cou- 
sine; c'est un droit dû au seigneur d'Arras , et au- 
cune belle ne s'est encore refusée à cet usage. 

LE ROL 

Votre capitale est , dit-on , le siège des amours et 

rassemble mille beautés. 

• ■ . • . ' -fi 

. LE DDC. . . » 

Sire, nous sommes un peuple commerçant, toutes 
les choses précieuses qui croissent dans les divers 
climats sont étalés à nos yeux et pour notre jouis- 
sance sur le marché de Bruges. Et qu'est41 de plus 
précieux que la beauté des femmes ? 

AGNÈS. 

Leur fidélité est estimée à un plus haut prix 
encore, cependant on ne la voit pas sur ce marché. 



AGtE m, SCÈNE III. • 93 

, . L£ ROI. • < 

Mon couisîii^^ Youç avez une xn^aurais^ renommée : 
on dit que vous faites. p^u de cas «4^ la., plw bdAt 
vertu 4es femnpies. , ,\ , , > • 

^ LEDUC. 

Ce serait une. hérésie qui trouverait en elle-même 
une dure punition, Vous êtes heureux., sire, le 
cceùr vous apprend de bonne Jieîare ^ ce qu'une yie 
agitëe ne m'a laissé' connaître que bien tard. ^(// 
aperçoit ràrchei>ê^ue et lui prtnd la, niûm.^pignig 
homitne de Dieu, le vous demande votre viïéné- 
diction ; toujours on vous trpuve dans le chemin dû 
devoir , et quand oioi. veut vous voir , c'est là^ qu'il 
faut revenir. 

L'ARCHEVÉQUÊ. 

Que le seigneur m'appelle à lui , si telle est sa 
volonté* Mon cœur est comblé de joie et je mourrai 
content puisque mes yeux ont pu voir ce jour. 

LE DUC, hfk^U. 

On dit que vous vous êtes privée de vos pierreries 
pour fournir des armes contre moi. Quoi donc! 
auriez-vous des idées si guerrières ? était-ce à vous 
de me poursuivre avec tant de chaleui: ? Maintenant 
que le combat est fini, chacun doit retrouver ce qui 
a été perdu, et vos joyaux se sont retrouvés* Vous 
les aviez destinés à me . faire la guerre , recevez-les 
de ma main en gage d'amitié. 

(n prend, de laàiaia d^on de set.suiyaas^.rtfcrra qn'il présente tout ouvert à Agaès.^lle 

re^rde le roi, qui parait surpris. ) 

^ LE ROL * 

Acceptez ce présent , c'est un gage que l'amour et 
la concorde me rendront doublement cher. 



94 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

LE DUC plaçant dans lesWherev&d^ Agnès an« rose de brillans. 

» 

- >Que «'«srt-HCe la ccmrpnne de France'? je la' place- 
ircâà^d'tifn ^otfîit aussi Mêle sur cette, tété charmante. 
(// s'incline et lui preij^ Id main.) Et comptez sûr 
moi, si quelque jour vous ayez hesoip ,4Mn .^r^ii* 
'{/fgnès se (détourné ibut en pleurs j. le rçi pflri^ft/qirt 
e)nà. TqUs ' les àssisians resard&it le^ iieii^prmç€f 
av^c .attendrissement. I^ Duc y aprfs avoij;^ j^ fe* 
yéix sur toutes les phjrsionçmies, se jette, 4aw l^ 
bras (ht roi.) ô mon rôi ! (^w mêtne instqnt J{e^ irfiff 
clievaliers bourguignons . embmssent Varçh^y^i^ ^ 
[iflinoîjs et Lahire. Les Seux princes restent un in^t/i^ift 
en silence daris les bras Vun de Vautre.^ Ppuvais-jp 
TOUS haïr! pouvais-je vous renoncer! 

»LE JlOI. , , .; 

As3ez, à§s^ez ! n!iijoufez rieo »d^ pJus. 

« * 

îm: buc. ' 

J'aurais pu courimaer cet Anglais ! engager ma 
foi à un ëtriuiger ! .précipiter pton^roii/daais tô*zv£be! 

Î/E Ror. ' 

Tout est oublié , tout est effacé. Ce seul ' instant a 
tout réparé. Lé reste â été Teffét du sort et des astres 
funestes. • 

LE ;9U0« luiMtrtntlaiMitf. ^ * < 

J^'irëparerai mes ^^Hd, -croyefc-ncnoî , je les répa- 
rerai. Votre royaume- entier ^ddit l'entrer en Votre 
pouvoir y sans qu'il en manque un seul village. • 

LE ROI. 

Nous sommes unis, je ne crains plus aucun 
ennemi. 



.HGtBTtr; SCÈNE ÏIl. ^ t 



f 

L.£.DUa. 



de porter les armes exy^\rfir^ons^'{MiA^^nii^^è9']) 
Mais pourquoi ne me 1 avez vous point envoye'e ? Je 



tant que nos coeurs se sont serres L un contre i ai 
tre. Maintenant j'ai^ti!*b!ivé une véritable place; c'est 



f ^ ; !pi;i«»V ' ^ua^ '«tos lankië f iat ^FMiitft !,' ^écMihfe ii^é 
pWfiîx rfeaAissimlt. y * ira- k(mip^ dè[ ^' Wdi4s'\^ ^ûtk 
^vf^nif krîdftt se nnuntrê àiqotidv Iè4 ^kte§ i)i-6li^è4 
dcrAcKri pa.yb Timtv6e^iiir9l(i»>ilkâ!etl teé vhlsf^éi 
dévastes vont sele^ooriembdiMè^ leut^'^iiitâ^l té& 
champs vont se couvrir d'une verdure nouvelle. 
Cependant ceux qwronif.- p^'^ûptimes de vos dis- 
cordes ne pourront reniaître a la vie , et les larme»^ 
que vos combats pnt f^^t «oi^^ .se. fpj^rrùfit, vet 
monter , \Bts leurs sources ; la race, i ;i^aj^Qt;Q i)^- 
rira, tariditf que cèllè-ci a été' flétrie par la souf- 
france. L'ange du boâhÉut» ne saurait réveiller les 
pè^es, , ^}^ lejw i t^m^l^^* >Tel8 « spat . les' fruifs dç 
ïry^,4^ftnj^fW¥ '^•^JfliffiflUteiiiJi 5 ;qi«ic«ci v6«fc'8oi| 
une leçon : tremblez d^v^pt le génie du glaive, 




le, cp/nmç 

îe faûcota^'qûl', clù naut des airs , revient au prémi^jc 
signal s'abattre sur le poing dû chasseur; la main cé- 
leste ne viendra pas deux fois prêter comme aujour-^ 
d'hlû.aoa'aasifilaace; i>i ^i-'j ^'t^'- ' ' ' •* " 



, ^ LAiPUCElLE DfORLÉA'NS, 

LB DUti. 

• • • • ^ 

rc&rey -un' dbge ke tieht à ydsMcôtës: Où est-ellé / ^t 






pourquoi né le vois*-je pas ici ? 

' . LE ROI. 

ûh est Jeanne? Comment nous manaue-t^Ue dans 
cet neureux moment que nous lui dcvpijsc , t 

Sire^ le l<Msif;d'u^e, court joi^véïrçonTièQt/malnà 
cette sainte fille; • Quand l'ordre de Dieu ne l'appelle 
pas à paraîtra d^l^^.l'é^l^t jdwL motnie^ koi^teuseî^' elle 
éy^ite^l^ Xf^r^ prpfanQS(du.Tu}gaÂrede8 konimek; 
]t4or$q;u'^lle n'est pals paoupëé de&rsuiecè&delà F»ânce> 
^aAs dçute çUe â'ciDtx^i^ent ayec Diea i à<m% k ^béué^ 
dJK:tioi^.acçonip«igi;ieil(ltis.ae8 pas.:.i - i * *-' ' ' ^ 

^ '': fil f. il J J < '^ ••' ♦* ....... j • , 



« • « • ft 



Les précédéns j ' JfEÂlSfNTÊ. Elle est armée , mais sans 
casque; ses cheveux sont ornes d^une guirlande. 

■ -LP »0ï.- tl 1)! ^ ^i' ' 

Noble Jeanne I ne Yeness-vMs- pâ^ / comblé ùné 
• prêtresse y consaprer^ïunibn qui est votre ouWage? 

LE DUC. 



il ,• 



' Cette vierge, si terrible dans le combat,^ com7 
bien elle semble embellie, par la paix f Ai-je tenu 
ma parole , Jeanne ?* Etes - vous contente , et yo» 
ordres ont-ils été suivis ? . 






JEANNE, .,....,,, / • 

M'en recueiUez«-vous pas la plitti;giâDdc vrécom** 



ACTE III, SCÈNE IV. 97 

pense? Maintenant \(^v^ bjpillez de l'ëclat le plus 
pur. Auparavant "votre gloire était âen^labt^ à 
un astre de terreur qui xao%tre dans le ciel une 
lueur sanglante et sombre. (Elle regarde autour 
d'elle. ) Que de nobles chevaliers sont ici rassem- 
ble's ! tous les yeux brillent d^ joie. Je n ai ren- 
contré qu'un seul affligé , qui est obligé de se cacher 
quand les autres se réjouissent. 

ht ntJc. 

Et qui peut se croire assez coupable pour déses- 
peirer de notre bienveillance ? 

JEANNE. 

Peut-il approcher? dites > doît-il l'oser? Quç la 
gi'âce soit complète; il n'est pas dé réconciliation 
quand il reste encore quelque chose sur le cœur. 
Une misérable baine , quand on la* laisse au fond 
de la coupe , convertit en poison la libation sainte. 
Il n'y a pas de tort û sanglant qui lie puisse obtenir 
aujourd'hui le pardon du duc de Bpu^^ogne, 

Le (ddc. 
Je vous comprend§, Jeanne, 

Eh bien ! ne voulcz-^vous pas pardonner, Bucj ne 
le voulez-vous pas ? Avancez:^ Ikichàtel. (Elle ouvre 
laporte^ et fait entrer jDuchdtef, gmxdem&ireSoii^*) 
Le Duc se réconcilie avec tous <3es ^an^mi^^ plM^m 
vous aussi , Duchâtel. 

( n avance ^ uel^Oie pats , et cherche > lire daas \9} rem 4a Xhtic. ) 

Tost. IIL 7 



j> 



^8 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

lE DUC. 

Que voulez-vous tle moi, Jeanne? Sàvez-vous 
bien ce que yous demandez ? 

, JEANNE. 

Un notle seigneur ouvre sa porte à tous les hôtes, 
et n'en. exclut aucun. Pareille au firmament dont 
l'enceinte environne la terre entière, la clémence 
doit envelopper a la fois amis et ennemis ; les 
rayons du soleil s'étendent de toutes parts dans un 
espace sans bornes, et la xosée du ciel vient au 
secours de toutes les plantes desséchées ; les bontés 
célestes sont générales et sans restriction. 

LE DUC. 

Elle dispose de moi suivant sa volonté ; mon cœur^ 
comme une cire flexible, obéit à sa main. Embras- 
sez-moi, Duchâtel, je vous pardonne. Ombrç de 
mon père, ne t'irrite point de ce que je presse anjii- 
calement la main qui të donna la mort ; tes mânes 
. ne me reprocheront pas d'avoii' brisé le serment de 
vengeance , là-bas , dans ces demeures de l'éter- 
nelle nuit , où le cœur n'a plus de mouvement , où 
tout est pour toujours , rien .ne peut changer : 
mais il en est autrement sur cette terre qu'éclairent 
les rayons du soleil ; l'homme , la créature vivante , 
est la faible pro|e des circonstances impérieuses. 

LE AOI, A Jeanne. 

Pourrais-je te témoigner, noble fille , une assez 
haut« reconnaissance? Combien tu as déjà surpassé 
tes promesses ! combien rapidement tu as changé 
mon destin ! Tu m'as réconcilié avec mes amis , tu 



ACTE III, SCÈNE IV. ^ 

as pi^ëcipité mes ennemis dans la poussière > tù aâ 
délivre' mes villes du joug e'tranger ; toi seule as fait 
ces prodiges. Gomment puis -je m'acquitter en-* 
vers toi ? 

Conserve toujours dans la prospérité la douceti:^ 
que tu avais dans le malheur ; au faite de la grandeur 
n oublie pas que , dans Finfortune, tu as éprouvé 
ce que vaut un ami. Ne refuse ni justice ni grâce 
ménie âù dernier de tes sujets; n'est-ce pas une ber- 
gère ^ué fiièu t a envoyée pour libératrice ? Tu réu- 
niras toute la France sous un seul sceptre , et tu de- 
viendras l'aïeul et la tige de princes plus grands et 
plus brillans de gloire que ceux qui t'dnt précédé 
sur le trône. Ta race fleurira aussi long-tempâ (Qu'elle 
conservera des droits à Tamour de son peuple; l'or- 
gueil seul pourra amener sa chuté ; et du fond de 
ces humbles cabanes , d'où est sorti ton sauveur , un 
sort mystérieux menace peut^tre de leur ruine tes 
descendans coupables. 

LE BtJC. 

Fille prophétique, qu'inspire l'esprit saint, dont 
les yeux percent l'avenir > dis-moi ^ qu'adviendra-t-il 
de ma race? doit-elle, ainsi qu'elle à commencé, ac^ 
croître encore sa grandeur souveraine ? 

JEANNE. 

Duc de Bourgogne ! tu t'es assis à la hauteur 
du trône, et ton cœur superbe aspire plus haut en- 
core I Tu voudrais élever jusqu'aux nues l'audiacieux 
édifice de ta grandeur. Mais la main d'en haut va 
bientôt arrêter ces progrès ; ne crains pas cependant 



loo LA PUGELLE D'ORLÉAîlS, 

la chute de ta maison , elle surviTrâ plus brillante 
en la personne d'une fille ; et il sortira de son sein 
des monarques ornés du sceptre et puissans sur les 
peuples; ils régneront sur les deux empires les plus 
puissans du monde connu, et aussi sui* un monde 
nouveau, que la main de Dieu tient encore caché, 
dans des mers inconnues aux vaisseaux. 

JLE ROI. 

parle! puisque Tesprit saint t'éclaire. Cette 
union fraternelle que nous venons de renouveler 
unira-t-elle aussi nos derniers neveux? 

JEANNE, après un insUnt delilence. 

Rois et souverains , redoutez la discorde. Gardez* 
vous de la réveiller quand elle sommeille dans son 
antre. Si une fois elle en sort, il faudra long-temps 
pour Tapaiser. Elle fait naiti^e une race au cœur 
de fer , et l'incendie allume sans cesse un nouvel 
incendie. Ne solihaitez pas en savoir davantage; 
jouissezdu présent, et laissez-moi tenir l'avenir caché. 

'i:GNSS. 

Sainte fille , tû connais mon coeur , tu sais s'il 
aspire à de vaines grandeurs. Dis^moi aussi quelqub 
oracle consolant, 

JEANNE. 

L'esprit saint ne me révèle que le sort des empires; 
les révolutions de ton sort se passeront dans ton 
pi^opre V:dé?ur. 

DDNOIS. 

Mais toi , fille sublime, quel sera ton sort, toi que 
le ci^él chérit? Sans doute le plus grand bonheur de 
la tsevte éôt piromis à celte qui eàt pieuse et sainte. 



ACTE III, SCÈNE IV. loi 

JEANNE. 

Le boaheur n'habite que là-haut dans ie spin rde 
l'Éternel. 

LE ROÏ. 

ff 

Ton bonheur Stera désormais \^ soîq le pli^ çkep 
de ton roi. Je veiix élever ton nom, eu Fr^pce. Quç 
la dernière postérité sache ce quç j'ai £ait pouv tpi ; 
ma reconnaissance va éclater sur-^e-ch^mp^ : meta 
un genou en terre. (Il tire son épée et en touche 
Jeanne. Y Je t'ennoblis. Ton roi t'élèye au-dessus de 
la poussive d'une naissance ol)scurej et tes ancêtres 
mêmes qui sont dans le tombeau^ je les ennoblis. 
Tu porteras le lis dans tes armes , tu seras égale en 
noblesse aux premier^ de la France ^ et le sang royal 
de Valois sera seul plus noble q^ie le tien. Les plus 
grands parmi les grands de n^a cour se tiendraient 
honorés de ta main , et je m'occuperai à te choisir le 
plus illustre époux. 

' ^ ' DANOIS s'avance/' 

Je 4'avats choisie avant son éléTation. Les noii- 
Teaux honnetkfs qui fouillent sur sa tète ne peuvent 
augmenter ni sa ^gloire ni mon amour ; ici , en pré- 
sence de mon roi et de ce saint archevêque, je lui 
présente ma main comme à la princesse mon épouçe, 
si toutefois elle me croit digne d*aspirer à cet hon- 
neur. 

Ï.E RO^. 

Rien ne peut te résiis}:er; tu ajoutes des miracles 
aux miracles, et je commence à croire qu'il nVst 
rien qui te soit impossilile. Tu as vaincu ce cœur 
orgu^iUeusL qu^ jusqu'à cette heunefivait méprisé le 
pouvoiride l'amour* , 



I02 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

LAHIRE s'avance. 

Le plus bel ornement de Jeanne^ je la connais 
bien , c'est la modestie de son cyoeur ; elle est digne 
de la grandeur, mais jainais elle n'aurait porté si 
haut ses désirs. Elle n*aspire point à unç y aine élér 
vation. Le dévouement sincère d'un èœur généreux; 
saurait la satisfaire , et c'est ce ti^anquille bonheur 
que je lui otFre avec ma main^ 

LE ROJ[. V 

Et toi aussi, Lahire? quoi, deux rivaux pareils en 
gloire et eu héroïsme ! Après m'avoir réconcilié aveq 
mes ennemis, aîprès avoir apaisé i^on royaume, 
teux-tu divi^çr entre eux mçs plus çhers,amis? Puis- 
que tu ne peux appartenir qu'a uq seul ^ çt que tous^ 
deux sont dignes d'un tel prix, parle j( c'est à ton, 
cœur de proqoncer entre eux. 

AGNÈS a*approcli«^ 

La noble Jeanne est interdite, et son visage se 
colore d'ui^e rougeur modeste. Laisçea^-lu^ le temps 
d'interroger son cœur, de* se confier k une amie , et 
d épancher les secrets que cache sa pudeur. C'est k 
moi ^ en ce moment^ d'îjior.d.er , comme une tendre 
soeur, cette fière héroïne, pour lui offrii' une dis- 
crète confidente. Laissez d'abord le secret d'une 
femme se révéler à une autre femme, et attçndça^ 
ce qui sera résolu entre nous. 

LE KO i parait prêt- à s éloigner. 

Qu'il en soit ainsi. ''^ ' 

• |EANl4i; . •• . • 

•Non, sire; si j'aLj.'ougi ^devant; votas, w n'eit point 
par le trouble d'une pudeur timide. Je n'arrien \ 



V 



ACTE HT, SCÊNÊ IV. n io» 

Confiçr à cette noble dame que je ne puisse dire de-* 
Tant TOUS, sans blesser la, modestie. Le choir de ces 
illustres chevaliers m'honore ^ mais je n'oublierai 
point que je jsui& une simple bergère. Est-ce donq 
pour acquérir de Tains et frivoles honneurs ^^ ept-cc^ 
donc pour orner ma tête de la couronne nuptiale 
que j'ai revêtu cette armure d'airain ? C'est à d'au- 
tres œuvres que j'ai été appelée ^ et une chaste 
vierge peut seule les accohiplir. Je suîs la guen'ière' 
du Tout-Puissant, et je ne puis être Tépouse d'urf 
homme. 

Lst femme est née pour êtgie la tendre compagne 
de l'hômn^e ; quand elle obéit à la nature , elle n'eu 
est que plus digne du ciel. Quand vous aurez satisfait 
à l'ordre du Tout-Puissant qui vous avait envoyée 
sur les champs de bataille., il sera temps de déposer 
vos armes, et de. retourner à la vie paisible que 
vous aviez abààdôhhée ; votre sexe n'est pas destînç 
aux oeuvres satiglantes cïe la jgueîTe^ 

JEANNE, : 

Vénérable, seigneur^ je ne sais point encore ce que 
Vésprit saint m'ordonnera d'accomplir; quand le 
méînent sera venii, sa voix ne sera point. muette 
pour moi, et je saurai lui. obéir. Ilm'ordcfiine.maî^n-* 
tf^^ut«de terminer ma. mission:; Ifi.frontde mon 
souverain n'.ai point encore reçu la couijoUnefrjfhuUe 
sainte n'a ^ point encore été. répandue aurâaitète,: U 
n'est entK>re q»t mon seigQdur> et non jwsi moiî xfik- 

Nous^uivons là route qui ccfiiduit à Rh^lti^^^^*^ 



to4i LA FUCELLE D'O&LÉAItS, 

Ne (îemetirwîs point trancpiîlics^, tandis <jué les 
ennemis nous entourent et s'occupent à vous fermer 
lé iditemin. Cependant je saurai: tous conduire à tra- 
fers tontes leurs armées. 

DUNOIS. 

.Maïs lars<jue tout sera terminé, lorsque nous* 
$erans entrés victorieux à Rheims, alors, noble té- 
raine p. voudrez-Tous m'agréer pour époux? 

JEANNE. 

Fasse le ciel que , couronnée jpar la victoire , je 
^ui^e m'^ék>îgtier de ^s champs de cafMige ! Alors 
#ta vocotion sera finie, et la bergère n'aura plus af-* 
faire dans le perlais des rois. 

LE ROI lui preoattt la main. 

Tu obéis maintenant à la voix de Tesprit saint ; et 
ton cœur, plein d'un amour divin ^ est sourd à 
Tamour terrestre. Mais> crois-moi, il l'éçoutera 
quelque jour. Le bruit des armes cessera; la vic- 
toire nous ramènera la paix , alors le bonheur s'em- 
fëttPû dtf tbirtés les àmes^, et un déiîdeui scmtîment 
i$'év<âiUet!à dans totxs les cœurs : tu réprouveras aussi, 
et ^Sf cNsb^ enchanteurs remplirent tes yeux des 
piM douces larm^» qu'ils aient versées. Ce ccrar^ 
qu6< Fàmour du ciel oeeupe tout entier, se laissera 
enf ràibet< à un atitre amour. Ta ditifiie assistances 
a i^endii te bonheur à des miliierS' cPhommeis : v9U-< 
^is-^tu finip^ par Caire te kialheur d'iuA seul ? 

Dauphin*, es-^tu ^onedéja lassé de Is }j>r(^lectioBt 



ACTE IV, SCÈNE IV. io5 

du ciel , puisque tu veux briser son vase d'élection , 
et forcer la chaste yiérg^è que ïlieu a envoyée de des- 
cendre dans la foule du vulgaire ? Cœurs aveugles , 
hommes de peu dre foi^ U toute-puis9abce du ciel se 
manifeste à vous ; ses miracles ont frappé vos yeux , 
et vous ne savez rien voir en moi qu'une femme ! 
Une femme eût-elle osé se couvrir de ce vêtement 
de fer et se mêler parmi les combattans? Malheur 
à moi si^ tandis que ma ntôin porte ^eglavve ven- 
geur de mon Dieu , mon frivole cœur ^e laissait, en-* 
traîner à un sentiment qui aurait pour objet une 
créature terrestre î II vaudrait mieux pour moi que 
je ne fusse jamais née. Que de semblables paroles 
ne soient jAns pronoriéées , car vous irriteriez l'es- 
prit sa^nt qui s'indigne en moi : les regards des 
hommes et leurs désirs sùiA à mes yeux un horri- 
&le^$éml^e. 

Finissons^ c'est FirrUer vainement. 

Ordonnes^ qube l'on âéûne la.trosnpcilte i^uerrière. 
Ce repos me pèse et tm tourmente; il faut que je 
sorte de cet oisif loisir^ iJrfaut qi^e^ j'^pçp9)piis$e pi» 
mission, il faut quç j'ol)éîsi^j^ au M^ff impériaux 
qui me conduit. 



1 



J a • V , , ■ . , j , 

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ïo6 LA PUCELLE D'OHLÉAT»S, 

• - ■ » - 

-= ' SCÈNE V. 

, ■.'■■*' r 

Les> précëdens. Un CHEVALIER entre ^àvec 

précipitation. ' 



LE ROI. r 

Qu'est-ce? 

LE CHEVkLIER: ' 

• • • • 

L'ennemi a passé la Marne; il dispose ses batail- 
lons pour le combat. 

: ' r. : ' < ' . 

J&âNVE, avec enthouafasine. . 

Aux arme^I aux armes l maintenant l'ame peut 
rompre ses liens. Armez-vous, je vais tout regle^ 
pour le combat. , , 

* . (ÉUê'sort. ) 

• LE ROL • . t 

Lahire^ suivez-la. Veulent-ils nous disputer fc 
couronne même aux portes de Reims ? 

ôtîNOiè;'.' "^ \ 
Ce n'est pas là un vrai coiirage , c'est le dernier 
effort d'uD espoir furieux et impuissant. 

tE ROr. ' 

* Duc de Bourgogne , 'je n'ai rien à vous dire ; vbicî 
le jourqftti peWréparéï'beaucou^l " ' ' ' 

LE DUC. 

Vous serez satisfait. 

LE ROI. 

Je marcherai devant vous dans le chemin de la 
gloire; et devant la ville qui renferme ma couronne, 
je combattrai pour la conquérir. Mon Agnès , ton 
chevalier te dit adieu. 



ACTE Iir, SCÈNE VI. lo^ 

AGNES Tembraue. 

Je ne pkure pas, je ne tremble pas pour toi; ma 
confiance s'assure aux bontés du ciel ; il ne nous a 
pTas donne tant de gages de sa faveUr pour noud 
abandonner après. Bientôt, mon cœur me l'assure, 
j'embrasserai mon roi couronne par la victoire dans 
les murs de Rheims. 

(Les trompettes font retentir un air brillant et aninatf , qui devient peu à peu' terrible et 
gi)e;rrier. Pendant ce temps I^ scène change , puis Torchestre accompagne les trom- 
pettes plac^e^ derrière lâ scène.) 

SCÈNE VI: 

La scène change et représente une plaine découverte , temii'née 
par des arbres ; la musique continue et l'on voit des soldats 
traverser rapideçtient le fond du théâtre. 

TALBOI" soutenu par FALSTOLF ; des soldats les 
accompagnent. LIONEL survieht bientôt aprèè. . 

TALBOT. 

~~ . , . • 

Déposez -moi sous ces arbres et retournez au 
combat. Je p'ai besoin d'aucun secours pour mourir* 

FAL3.T0LF. ., . 1 

. jour de- ffia^be^ir pt. de désespoir! (^Lionel s'apr 
proche.) Jisins q\j^el n^oment vous aririvçi&j Lionel !> 
voici notre c^ipijtaiiii^ jfrappé à morf^ > ' 

Dieu nous préserve de ce malhfeiîr !• 'ftelevez-votiS,' 
nbble \^vd, ce n'est pas le mohietrt 4^ succomber f 
ne cédez poitit k la mort, ^ue ïfi^ forcer dé tOtM 
vplôtot^ conti*aigiie la nature à' vous lai^dei* vivre/» - 



io8 tA PUCELLE D'ORLÉAHS, 

TÀLBOT. 

C'est en vaija , le jour fetal est arrivé ; notre trône 
4oît 3 écrouler en Frsince. Inutilement jai^ jus-i' 
qu'au dernier moment ^ essayé de le soutenir dans 
ce C(»mbat désespéré ; frappé de U foudre , je suc- 
combe iei pour ne plus me relever. Rheims est 
perdu ; hàtez-Yous d'aller au secours de Paris. 

LIONEL. 

Paris s'est livré au Dauphin; un courrier vient 
de nous en apporter la nouvelle. 

* 

TALB O T, afracbaiiâ Tappueil de ia blessure. 

Ah ! que les flots de mon sang s'écoulent , je suis 
las de la lumière dix jour. 

LIONEL. 

Je ne puis demeurer davantage. Falstolf , portez 
notre général dans un lieu plus sûr; noi;is ne pou^ 
voBS ixouiS maintenir plus long-temps dans ce poste. 
Nos gens fuient déjà de toutes parts ; la Pucelle les 
chasse devant elle. 

TALBOT. 

La déraison triomphe^ et c'est moi qui succombe. 
La divinité elle-même serait contrainte de céder à 
la >foiie. Suprême raison , toi qui est la filte brillante 
des puissances célestes , la sage conservatrice dé 
l'univers et le guidé du cours des astres, qu'est-ee 
donc que ton pouvoir? Attackée à un cheval furieux, 
t.U'€^yj^aJigré {tes. cris impuiss^s^ entraîiatée avec des 
J^Qifime!^ awugles et iv;re$, dans lla^in^e ^iie vfiin 
nem^nt tu aperçdis. Majeur k <çcïmi qui, ayant 
çonaaci^é \§m vie à 1^ jgloire , . c^o^erteot * pouri y 



ACTE 111, SCÈNE VI. lôg 

parvenir des plans dictes par la prudence. Cçst au 
plus insensé qu'appartient l'empire du monde. 

XIONEI.. 

Mylord y . vous n'ayez fduB que peu d'instans à 
vivre ; songez à votre créateur. 

TALBOT. 

Si nous étions vaincus en braves guerriers, par 
d'autres guerriers , nous pourt^îons nous conioler en 
songeant que c'est le destin commun et que la for- 
tune est journalière. Mai^ succomber par l'effet d'un 
grossier prestige ! Était-ce donc ia récompense due 
à une vie pleine -àe giorietix travaux ? 

tiIOllŒL luiprçndlamdin. 

Mylord, adieu. Après le combat, si je survis , je 
verserai sur vous les larmes que vous^ méritez. Mais 
maintenant il faut que je retourne suï* le cliamp 
de bataille ; lé sort y flotte encore incertain , 0t tout 
n'est pas décidé. Au revoir dans un àfiitre ihbnde , 
Mylord ; recevez l'adieu rapide d'un ancien ami. 

(Ilq^art.) 
TALiBOT. 

Bientôt c'en sera fait ; je vais rendre à la terre et 
au soleil éternel 1^ atomes i(u4 s^étai^nf assemàlés 
ea iB^ï pour la <louleUr ou le |>laisir , et de oe^^- 
sant Talbot, dont la renommée remplissait le 
monde , il ne restera qu'une poignée de poussière^ 
Telle est la 'fin de Thomme. La seule conquête qui 
nous revienne du combat de la vie, c'est la perspec^ 
tive du néant , et le mépris îritérieur de tout ce qiû 
nous avait paru grand et digne d'envie. 



110 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

SCÈNE VIL 

LE ROI, LE DUC, DUNOIS, DUCHATEL et des 

Soldats entrent gur là scène. 

LE DtJC. 

Le fort est emporté. 

DUNOIS. 

La journée est à nous. 

LE ROI, apercevant Talbot. 

Voyez quel est ce guerrier qui semble quîttei* si 
douloureusement la lumière du jour; son armure 
annonce un guerrier distingué. Allez , et quon lui 
donne des secours , s'il en est temps encore. 

( Des soldats de la suite du roi s'avancent pour emporter Talbot. ) 

PALSTOLF. 

I 

, Arrêtez , n'approchez pas : tout mort qu'il est^ 
respectez celui que vous vous gardiez bien d'appro- 
cher tandis qu'il' était vivant. 

LE DUC. 

Que vois-je? Talbot baigné dans son sang ! 

( Il s avance vers lai, Talbot le regarde d'un œil fixe et meurt. ) 

FALSTOLF. 

Retirez-vous , duc de Bourgogne ; que la vue d'un 
parjure ne souille pas le dernier regard d'un héros. 

DUNOIS. 

Terrible et indomptable Talbot, quel petit es- 
pace te suffit maintenant! et le vaste territoire de la 
France ne pouvait satisfaire ton ardeur insatiable ! 
Maintenant, sire^ je vous salue comme roi; tant 



^ ♦ 



ACTE m, SCÈNE VII. m 

que ce corps a renferme une âme , votre couronne 
n'était pas assurée sur votre tête. 

LE ' R 01, après avoir regarde Talbot pendant un instant. 

Il a été vaincu \ non par nous ^ mais par un pou- 
voir suprême : il est gissant sur la terre de France, 
comme un héros sur son bouclier qu'il n'a pas 
voulu abandonner. Qu'on Fempopte. ( Des soldats 
obéissent et emportent le corps.) Que la paix soit avec 
sa cendre ! Un honorable monument lui sera élevé 
au milieu de la France, et ses restes y trouveront le 
repos après une carrière et une mort héroïque. Nul 
ennemi n'a porté plus loin ses armes; et le lieu même 
où sera placé sa sépulture lui servira de glorieuse 
épitaphe* 

F ÀL ST OL F présente son épëe au roi. 

Seigneur, je suis votre prisonnier. 

LE ROI lui rend son tfpée. 

Non ; la guerre , dans sa rudesse, respecte cepen- 
dant les pieux devoirs. Soyez libre pour conduire 
au tombeau les restes de votre général. Maintenant, 
Duchâtel, hâtez-vous; mon Agnès tremble. Allez 
terminer ses angoisses; allez lui apprendre que 
nous vivons , que nous sommes vainqueurs , et ame- 
nez-la en triomphe à Rheims. 

(Dachâtdaoft.) 



112 LA PU€ELLE D'OULÊANS, 

SCÈNE VIII. 

LAHIRE^ les precédetis. 

DUNOIS. 

Lahîre, où est Jeanjxe? 

Comment! j'allais vous la demander ; je l'ai lais^ 
see combattant à Tos c^tés. 

Dimois. 

Quaïid j'ai coliru au secours du roi^ je la croyais 
protégée par votre bras. 

LE DUC. 

J'ai aperçu y il y a p6u d'iostans , «a blimdbi^ ban- 
nière s'élever au plus épais des rangs ennemis. 

DUBOIS. 

Malheur à n&as 1 Ok -est-eUe ? Malédiction sur 
moi ! Yen^^ oouxoas promf)tement la délivirer ; je 
crains <|a'usie vaillance téméraire ne l'ait emportée 
trop loin) qu'6ntoHrée d'enacmis elle coonbatte 
toute seule 9 «tiqu'eUe succombe sans secours au mi- 
lieu de la foule. 

LE ROL 

Courez; délivrez-la. 

LâHIRE. 

Je vous suis; partons. 

LE DUC 

Allons ; tous. 

(Ht parlent.) 



ACTE III, SCÈNE IX. ij3 

SCÈNE IX. 

Le théâtre représente une autre partie écartée du champ de ha- 
taill«v On aperçoit dans le loiiftain. les tours dé Rheims éclai- 
rées J»ar les rayons du soleil. 

Uû CHEVALIER revêtu d'une afïnure noîre; sa 
visière est baissée. JEANNE le poursuit jusque 
EUT le devant de la seène; il s'arrête et Fattend. 

JEANNE. 

Fourbe ^ je démêle maintenant ta ruse. Par , ta: 
fuite trompeuse , tù as voulu m'écartef du champ 
de bataille, et dérober à leur sort une foule des fils 
d'Angletet^re. Mais le trépas ta maintenant t'at- 
teindre toi-même. 

LÉ CHEVALIER NOÏR. 

Pourquoi nie poursuis-tu ainsi ? Pourquoi f 'aojiar-' 
ùer sur mes pas atec tant de fureur? Je ne suis pas 
destiné à tomber sous ta main. 

JEANNE. 

Je sens au fond du cœur que tu in'es odieux au-^ 
tant que la nuit dont tu portes la funeste couleur; 
j'éprouve un désir invincible de te ravir la lumière; 
qui eà-tu? Lève ta visière. Si je n'aVais vu le ter- 
rible' Talbot tomber dans le combat, je ci^oif*ai$ q\ié 
tu es Talbot. 

LE CHEVALIER NOIÀ. 

Eh quoi! l'eiprit prophétique ae te fait plus en- 
tendre sa voix ! 

Tow. III. ' S 



ii4 LA PUGELLE D'ORLÉANS, 

JEANNE. 

Il me crie , au plus profond de mon âme , que 
mon malheur est attaché à toi. 

LE CHEVALIER NOIR. 

Jeanne d'Arc! Jusqu'aux portes de Rheims, tu as 
marché sous les ailes de la victoire. Tant de gloire 
te suffit. Ne tente plus le destin qui jusqu'ici fa 
servie en esclave. N'attends pas qu'il se révolte et 
t'abandonne. Souviens-toi qu'il ne connaît pas la 
constance, et que nul n'a été par lui favorisé jus- 
qu'à la fin. 

JEANNE. 

Que veux-tu dire ? Au milieu de la carrière , j^ 
m'arrêterais et je laisserais mon ouvrage imparfait» 
Je vais poursuivre et terminer ma mission. 

LE CHEVALIER NOIR. 

Rien jusqu'ici n'a pu résister à tes efforts tout- 
puissans, tu as vaincu dans chaque combat, mais 
ne retourne plus dans les batailles; écoute cet 
avertissement. 

JEANNE. 

Ma main ne quittera le glaive que lorsque l'or- 
gueilleuse Angleterre sera abattue. 

LE CHEVALIER NOIR. 

Kegarde. Devant toi s'élèvent les tours de Rheims; 
c'est là le but et le terme de ta course. Tu voi^ 
briller le sommet de cette haute cathédrale; tu dois 
y entrer avec une pompe triomphale; couronner 
ton roi et termin^er ta mission. Ne va pas plus loin, 
retourne sur tes pas ; écoujté cet avertisseiQiQQt. 



ACTÇ III, SCÈNE IX. ti5 

■ 

JSÂÏCNfi. 

Etre fourbe et dissimulé , qui eis-tu pour Touloir 
ainsi m'e'pou vanter et m'égarer? Pourquoi oses-tu 
m'aunoncer un oracle imposteur. (Le chevalier noir 
veut se retirer^ elle se place devant lui.) Non , tu ré- 
pondras à m€s demandes, ou tu périras de ma 
main. 

( Elle veut eagager le combat avec lui. ) 
LE CHEVALIER NOIR. Il la toachede samara, eteUedemeareimmolMlc. 

Tu ne peux donner la mort qu'aux mortels. 

( La scène s'oWurcit , des ëclairs brillent, le tonnerre se fait entendre, le chevalier di«- 

paratt. ) 

JE A N NE demeure interdite, mais se rtwure bifntftt après. 

Ce n'est point un êtr.e vivant. C'est un fantôme 
trompeur échappé de l'enfer, un esprit rebelle sorti 
des gouffres ardens, pour troubler mon cœur et 
mon courage. Qu'ai-je à craindre tant que je porte 
le glaive de mon Dieu. Poursuivons et achevons 
glorieusement ma route ^ et quand l'enfer lui-même 
s'opposerait à moi , mon cœut ne serait ni effrayé 
ni affaibli. 

( EUe v«at se retirer. ) 

SCÈNE X. 

LIONEL, JEANNE. 

UONEL. 

. Misérable, prépare*toi à combattre. Un de nous 
laissera sa vie en ce lieu. Tu as frappé les plus 
braves de mes concitoyens ; le noble Talbot a exhalé 



ii6 LA PUCEILE D'ORLÉANS^ 

sa grande &me sur mon sein. Je vengerai ce héros, 
. ou je partagerai son sort ; et pour qiîe tu saches avec 
qui tu as la gloire de disputer la victoire et la vie, 
je suis Lionel , le dernier des chefs de notre armée, 
et dont le bras n'a pas encore été vaincu. (// VcU- 
laque; et après, un instant de combat, elle fait tom- 
ber Tépée de Lionel. ) Sort perfide ! 

( Il lutU avec elle.) 



JEANNE saisit par derrière le cimier de son casque , le lui arrache avec force : le 
que tombe ; le visage de Lionel reste découvert. Jeanne lève son tfpëe sur lui. 

Souffre la mort que tu es venu chercher. {En ce 
moment elle aperçoit le visage de Lionel , son regard 
s'attache à lui ; elle demeure immobile et laisse len^ 
tement retomber son bras.) La sainte Vierge t'immole 
par ma main. 

I LIONEL. . . 

Pourquoi suspendre et retarder le coup de la 
mort? Ote-moi la vie, comme tu m'as ôté la gloire. 
Je suis en ta main, et je ne demande point de grâce. 
(^Elle lui fait signe de s'éloigner.) Que je fuie, que 
je te doive la vie... non , plutôt mourir ! 

JEANNE. 

Je veux ignorer que ta vie est en mon pouvoir. 

LIONEL. 

Je hais toi et ta clémence ; je ne veux point de 
grâce. Frappe ton ennemi , celui qui te déteste , qui 
voudrait te donner la mort. 

JEANNE. 

Eh bien , donne-la moi et fuis. 

LIONEL. 

Qtt'entends-je ? 



. . . ■,^,» m^mmmm^^mt^f^gB i "^ ~- JM. -a. ^ ,^,; ' .■WJ">. 



ACTE III, SCÈNE X. 117 



JE ANN E se cache le visage. 

Malheur à moi ! 

LIONEL. 

Tu égorges , dit-on , tous les Anglais qui sont 
vaincus par toi dans le combat. Pourquoi m'épar- 
gner ? 

JEANNE lève «m «ptfe sur lui avec uo mouvement rapide; mais quand Vtfpëe apprcv- 
clie du visage de Lionel , Jeanne la laisse de nouveau retomber. 

Vierge sainte! 

LIONEL. 

Pourquoi invoques-tu les saints? Quel rapport 
ont-ils avec toi ? Ce n'est pas le ciel qui te protège. 

JEANNE, dans une douloureuse agitation. 

Ah ! qu'ai-je fait? J'ai manqué à mon vœu. 

( Elle se tord les mains avec dàespoir. ) 
LIONEL la regarde av^c compassion, et s'approche. 

Malheureuse fille; je te plains , tu m'attendris. 
Envers moi seul tu te montres généreuse ; je sens que 
ma haine s'évanouit et que ton sort m'intéresse. 
Qui es-tu? d'où es-tu Venue? 

J3EANNÇ. 

Fuis ^quitte-moi . 

LIONEL. 

Ta jeunesse y ta beauté me touchent; ton regard 
pénètre jusqu'au fond de mon cœur. Je veux te 
sauver; dis-moi^ comment le puis-je. Viens, viens^ 
abjure tes horribles ser mens. Laisse là tes armes. 

JEANNE. 

Je ne suis plus digne de les porter. 

'lionel 
Rejette-les promptement et suis-moi. 



ii8 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

JEANNE égarée. 

Te suivre! 

LIONEL. 

Je te sauverai. Suis-moi. Oui, je veux te sauver; 
m^is ne tardons pas davantage. «Tëprouve pour toi 
la plus tendre compassion, et un dësir ardent de 
te sauver. / 

( Il prend 1» imdn de Jea^aiM. ) 

JEANNE. 

Dunois approche; les voici, ils me cherchent. 
Ah s'ils te rencontraient! 

LIONEL. 

Je te défendrais. 

JEANNE. 

Ah ! je mourrais &i tu tombais £K)us le«rs coups. 

LIQNEL. 

Je te suis donc cher ? 

JEANNE. 

Puissances du ciel ! 

LIONEL. 

Te reverrai-je? Entendrai-je de ta bouche.... 

JEANNE. 

Jamais, jamais. 

LIONEL. 

Cette épée sera le gage de notre réunion. 

( Il lui prend son épée. ) 
JEANNE. 

Que fais-tu, malheureux? 

LIONEL. 

Maintenant, je cède à la force, mais je te re- 
verrai. 

(Bs'<loigBe. )r 



ACTE III, SCÈNE Xï. 119 

SCÈNE XI. 

DUNOIS et LAHIRE , JEANNE. 

LAHIRE. 

Elle vit, c'est elle. 

DUNOIS. 

Jeanne^ ne craignez plus rien; vos braves amis 
sont à vos côtés. 

LAHIRE. 

N'est-ce pas Lionel qui fuit ? 

DUNOIS. 

Laisse*}e fuir. Jeanne, la juste cause triomphel 
Rheims ouvre ses portes. Tout le peuple se préci»- 
pite avec allégresse aurdevant de son roi. 

LAHIRE. 

Qu'est-ce, Jeanne pâlit ,^ elle e^ défaillante. 

( Jeton* 68t préfM 4 s'évÉHoaif. ) 
DUNOIS. 

Elle est blessée ; arrachons sa cuirasse. Ah ! c'est 
son bras qui a été atteint, la blessure est légère 
sans doute. 

LAHIRE. 

Le sang coule. 

JEANNE. 

Puisse ma vie s'écouler avec lui. 

( Elle tort appuyée «ur les hn» de Lakirt « ) 

FIN DU TROISIÈME ACTE. 



po LA PUGELLE^D'ORLÉANS;, 



f%/t99i^ ! iV^ifi w ii/ivtMm*mnmn^tni¥%^tti^^t i 9t ui i»iMivy9^âivv* mi %l» ^ ^^t(»^^ 



ACTE QUATRIÈME, 



Le théâtre représente une salle ornée pour une fête. Les colon-» 
nés sont entourées de g^irlau^es. Perrière la ticèi^e <^ eptienj 
les flûtes et les hautbois. 

SCÈNE PREMIÈRE, 

JEANNE seule. 

Ije bruit des armes a cesse, le tumulte ^e la 
guerre s^est apaise. Aux combats sanglans ont suc- 
ce'dé les chants et les jeux ,• des accens joyeux reten- 
tissent dans toutes les rues. Les temples et les autel$ 
brillent de leurs ornemens de fêtes ; des arcs de ver- 
dure s'élèvent , des guirlandes ornent ces colonnes , 
et la vaste enceinte de la ville ne peut contenir Ig 
foule ^ui vient assister à cette solennité. 

Le même sentiment de joie anime tous les coeurs^ 
tous sont saisis de la même pensée. Ceux qu'une dis-t 
corde sanglante divisait il y a peu de temps encore, 
goûtent ensemble l'allégresse commune. Tout Fran- 
çais s'enorgueillit aujourd'hui de ce nom; le trqne 
retrouve son antique splendeur. La France rend 
hommage au fils de ses rois. 

Moi, cependant, à qui l'on doit ce beau jour, moi 
je ne ressens pas le bonheur universel. Mon cœur 
est distrait et égaré ; il fuit de cette solennité pour 



ACTE IVi SCÈNE I. 121 

errer dans le camp des Anglais. C'est veH les enne- 
ipis que se portent mes regards , et je me dérobe 
de cette joyeuse reunion pour cacher la peine cruelle 
qui agite mon sein . 

Qui , moi ! je porte dans mon cœur l'image d'un 
homme ; ce cœur que remplissait la gloire céleste est 
trouble par un amour terrestre. Moi, la libératrice 
de mo» pays, la guerrière du Tout*Puissant , je brûle 
pour un ennemi de la France , et j'ose le dire à la 
face du ciel sans mourir- de honte ! (La musique 
fait entendre une mélodie douce et des sons affaiblis.) 

Malheur, malheur à moi. Ces sons séduisent mon 
preille ; chacun me fait entendre sa voix , me rap- 
pelle son image comme par enchantement. Âh! que 
le bruit des armes revienne affermir mon cœur; 
que le cliquetis des lances au milieu de la fureur 
des combats vienne me rendre mon courage. 

Mais ces doux sons, ces voix mélodieuses s'em- 
parent de mon cœur. Toutes les forces de mon âme 
s affaiblissent par degré , et s'évanouissent en faisant 
couler de mes yeux des larmes mélancoliq^es. (Elle 
se fait w} moment , puis reprend avec plus de vivacité. ) 

Devais-j6 donc l'égorger? Et le pouvais^je après 
que mes yeux ont rencontré les siens? L'égorger! 
Àh }> plutôt enfoncer dans mon sein l'acier homicide.; 
9uis-je donc coupable pour n'avoir pas été inhu- 
maine? la compassion est-elle une faute devant 
Dieu? La compassion !. et l'écoutais-'tu cette voix de 
la compassion et de l'humanité , quand ton épée 
immolait les autres victimes ? Pourquoi ne s'est-elle 
pas fait entendre pour ce malheureux Gallois , ce 
tendre enfant qui te conjurait pour sa vie ? Oh , as- 



laa LA PJJCELLE D'ORLÉANS, 

tuc€& du cœur ! tu veux mentir à la lumière éter- 
nelle. Non 9 ce n'est pas à la yoix de la pitié qtte tu 
as obéi. 

Pourquoi ai-je vu ses yeux? Pourquoi ma Vue 
a-t-elle rencontré les traits de son noble visage? 
Ah ! malhenreuse , tout mon crime vient d'un re- 
gard. Dieu t'avait choisie comme un aveugle instru- 
ment de sa puissance ; tu. devais lui obéir aveuglé- 
ment. Tu as voulu voir, IHeu a retiré son bras |n*otec- 
teur j et tu es tombée dans les liens de Fenfer . ( Les 
Jlikes font entendre des sons tranquilles et tendres. ) 
Humble houlette y ah ! pourquoi t'ai-je quittée 
pour prendre le glaive? Chêne sacré, pourquoi ai-je 
entendu le murmure de tes feuilles agitées? Divine 
reine des cieux, pourquoi t'es-tu montrée à ma vue? 
Reprends ta couronne, reprends-la, je ne puis la 
mériter. 

Hélas ! j'ai vu les cieux ouverts , les bienheu- 
reux se sont laissé voir à mes yeux , et cepen- 
dant mes désirs se portent vers la terre et non pas 
rer» le ciel. Ah ! pourquoi ai-je été chargée de cette 
terrible mission ? Pouvais-je endurcir un cœur que 
le ciel a créé sensible ? 

Puisque tu voulais , ô mon Dieu, manifester ta 
puissance ^ tu devais choisir ceux qui , exempts de 
péché, siègent dans la demeure éternelle; tu de- 
vais envoyer un de tes esprits purs, immortels, qui 
ne sont poiiitëmus, qui ne sont point attendris; 
mais fallait-il choisir une tendre fille, une bergère 
va fatible cœur. 

Que m'import^iit lé sort des combats et les dis- 
cordes des rois? Tranquille et innocente je condui- 



ACTE IV, SCÈNE II. Î23 

sak^mes agiteaux sur le dommet de la montagne. Tu 
m'as entraillée au milieu de la cour *et des palais 
orgueilleux des prin€es> où je devais me rendre cou- 
pable. Hélas! tel n'eût pas été mon choix. 

SCÈNE IL 

AGNÈS, JEANNE. 

( Agnès entre avec ant vive émotion ; dès qu^elIe aperçoit Jeanne, etU court à eHe ^ la 
presse dans ses bras ; pais rëfiicbiasant , elle se mtft k geiioux devant éUe. )' 

AGNÈS. 

Oui , oui, ainsi prosternée devant toi. 

JEANNE veut la relever. 

Relevez-vous , vous oubliez qui vous êtes et qui je 
suis. 

. . AGNÈS. 

Non, laisse-moi à tes pieds, c'est l'excès de ma 
joie qui m'y précipite. Mon cœur trop plein a besoin 
de s'épancher devant Dieu et j'adore en toi celui 
qui est . in visible à mes yeux. N'es-tu pas l'ange qui 
a conduit mon roi à Rheims et qui orne son front 
de la couronne ? Ce que je n'aurais pas osé manie 
rêver dans mes songes est accompli ; la pompe dm 
couronnement s'apprête, le roi a revêtu ses orne- 
mens solennels. Les pairs et les grands du royaume 
sont rassemblés, ils portent la couronne et tous les 
signes de la royauté. La foule du peuple afflue vers 
l'antique cathédrale , le son des cloches se mêle aux 
chants d'allégresse. Ah ! pourrai-je supporter tant de 
bonheur l (Jeanne la relève doucement. Agnès s^ar^ 



124 I^A PUCELLE D'ORLÉANS, 

rête un instant , elle examine les jeux de Jeanne. ) 
Cependant tirdemeures toujours sérieuse et sévère. 
Tu répands le bonheur et tu ne^saurais le partager ; 
ton cœur reste froid , tu ne ressens pas notre plai»* 
sir ; tu as entrevu la gloire céleste , tu ne peux être 
émue des joies de la terre. (Xeanne saisit s^ivement 
la main d'j^fgnès, mais Habandorme tout de suite 
après.) Ah ! peux-tu être femme et n'être point 
sensible! Dépouille cette armure , la guerre est 
maintenant finie; entre dans une con4ition plu$ 
paisible. Mon cœur qui veut te chérir s'éloigne 
timidement de toi tant qu'il te voit semblable à 
l'austère Pallas» 

JEANNE. 

Quexigez-YQus de moi? 

AGNÈS. 

Désarme-toi, laisse ton armure; l'acier qui coU'^ 
vre ton sein épouvante l'aniour. Redeviens une 
femme et tu aimeras. 

JEANNE. 

Me désarmer maintenant; maintenant, non. J'of- 
frirai dans les combats mon sein désarmé aux coups 
de la mort! Mais aujourd'hui! Ah! qu'un triple 
airain me défende contre vos fêtes, contre moi-^ 
même. 

AGNÈS. 

Danois t'aime; son noble coeur qui n'avait encore 
chéri que la gloire et la vaiUance , brûle pour toi 
d'un amour pur. Ah ! qu'il est doux de se voir aimée 
d'un héros ! qu'il est plus doux encore de l'aimer. 
(Jeanne détourne la tête avec un air d^éloignement. ) 
Ijc haïrais-tu? Non y tu peui^ ne pas l'aimer, mais^ 



ACTE IV, SCÈNE li; ja5 

tu ne saurais le haïr. On ne déteste que Celui qui 
veut Yous arracher à ce que Yous aimez , et toi tu 
n'aimes point. Ton cœur est calme, peut-être même 
insensible. 

JEANNE. 

Ah ! plaignez-moi , pleurez sur mon sort. 

AGNÈS. 

Qui peut manquer a ton bonheur? Tu as rempli 
tes promesses, la France est délivrée; tu as conduit 
par une marche Tictorieuse le roi jusqu'à Rheims ; 
un peuple ivre de joie te paie le tribut de gloire qui 
t'est dû. Ton nom et tes louanges remplissent tous les 
discours, tu es la divinité de cette fête et le roi lui- 
même avec sa couronne a un triomphe moins bril-> 
lant que le tien. 

JEANNE. , 

Ah ! que ne puis-je me cacher au fond des en-^ 
tr ailles de la terre. 

AGNÈS. 

Que veux-tu dire ? quel étrange sentiment ! Qui 
donc osera lever les yeux aujourd'hui, si tes regards 
s'humilient vers la terre. Ce serait à moi à rougir , 
à moi qui suis si petite devant toi , qui suis si loin, 
d'atteindre à cette âme héroïque et siJ^lime : dois-je 
te révéler toute ma faiblesse? Ce n'est ni la gloire 
de mon pays, ni la splendeur renouvelée du trône, 
ni la joie du peuple , ni les chants de victoire qui 
occupent mon faible cœur : un seul sentiment le 
remplit tout entier et ne laisse aucun espace pour 
d'autres pensées. Celui que l'on révère , celui que 
le peuple accueille par ses acclamations , celui qui 






126 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

va être héni, celui pour qui on a répandu ces fleurs^ 

celui-là est à moi , c'est celui que j'aime. 

JEANNE. 

Ah ! vous êtes heureuse; jouissez de votre bon- 
heur. Vous aimez l'objet que tout aime autour de 
vous; vous osez ouvrir votre cœur, dire tout haut 
ce que vous ressentez, sans craindre les regards 
des hommes. Cette fête de la France, c'est la fête 
de votre amour : ce peuple innombrable qui se 
presse dans les murs de la ville, il partage votre 
amour et le sanctifie. C'est pour vous qu'il pousse 
des cris de joie, c'est jpour vous qu'il tresse dés 
guirlandes ; vous êtes dans un doux accord avec la 
joie commune. Vous chérissez celui qui , semblable 
au soleil, répand sur tous le bonheur; et tout ce 
que vous voyez vous semble brillant de votre amour. 

AGNES la pressa&t dut ses brm. 

Oh! tes discours m'enchantent; tu me comprends 
toute entière. Oui, je t'ai méconnue; tu connais 
l'amour : ce que j'éprouve tu l'exprimes avec force. 
Mon cœur n'éprouve plus de crainte et de timidité, 
il s épanche avec confiance dans le tien. 

JEANNE s'arrajcbant Tivement de ses bras. 

Laissez-moi : éloignez-vous de moi; craignez de 
vous souiller en m'approchant. Allez, soyez heu- 
reuse, et laissez-moi ensevelir dans une nuit pro- 
fonde, mon malheur, ma honte et mon effroi. 

AGNÈS. 

Tu m'effrayes, je ne te comprends plus; si même 
j'ai pu jamais te comprendre : à mes yeux tu as tou*- 



\ 



ACTE IV, SCÈNE III. lay 

jours été enveloppéie d'une profonde obscurité. Qui 
pourrait concevoir maintenant ce qui alarme la sain^^ 
teté de ton cœur ^. et les scrupules de ton âme pure? 

JEANTIE. 

C'est vous qui êtes pure, c'est vous qui êtes sainte. 
Si vous pouviez lire au fond de mon âme , vous re- 
pousseriez en frissonnant^ une femmç ennemie et 
parjure. 

SCÈNE IIL 

DUNOIS, DUCHATEL et LAHIRE. Il porte l'éten- 
dard de Jeanne. 

DUIîOÏS. 

' Nous vous cherchons , Jeanne ; tout est prêt. Le roi 
nous envoie vers vous: il veut que vous portiez votre 
bannière devant lui ; vous marcherez avec les prin- 
ces du royaume, et vous serez le plus près de lui, 
car il veut annoncer ce que tous reconnaissent; c'est 
que l'honneur de cette journée doit vous être at- 
tribué. 

Voici votre bannière ; prenez-la , noble Jeanne ; 
içs priuc^9 vous attendent, et le peuple est im- 
patient. 

JEANNE. 

Moi , marcher près de lui ! moi , porter cette 
bannière ! 

DUWOTS. 

Quel autre pourrait s'en charger! quelle autre 
n»ain serait ^Ms p«ire paur porter ce signe divin ! 



128 LA PUCEtLE D'ORLÉANS , 

Vous releviez au milieu des batailles ; qu'il paraisse 
dans cette solennité, et qu'il nous guide dans le 
chemin du bonheur. 

(Lthire ytmxl loi donner ht bannière ; die se retire, avec effroi. ) 

» 

iEÂNNE. 

Non, non. 

LAHIRE. 

Eh quoi, l'aspect de ^otre tannîère vous épou- 
vante ! Regarder ( // déploie la bannière ) , c'est là 
même qui vous a conduite à la victoire. La reine des 
cieux est peinte s'étevant au-dessus du globe de la 
terre , ainsi qu'elle-même vous l'avait prescrit. 

JEANNE, effrayée et agitée. 

C'est elle-même,: c^est ainsi qu'elle m'apparut: 
quels regards elle lance sur moi, et quelle colère 
elle laisse voir sur son ft*ont et dans ses yeux ! 

AGNÈS. 

Elle est hors d'elle-ïnême. Revenez à vous, : ce 
ti'est point elle que vous voyez , c'est une image ter- 
restre ; elle habite au Ihilieu des chœurs célestes. 

JEANNE. 

terreur ! vient-elle pour châtier sa créature ? 
Punis-moi , écrase-moi ; prends ta foudre , et lance- 
la sur ma tête coupable. J'ai violé mes sermens , j'ai 
profané , j'ai parjuré ton saint nom. 

DUNOIS. 

Oh! malheureuli que nous sommes. Quest-ce que 
tout ceci ? quels funestes discours ! 

LAHIRE, étonné, i Ducli&tel. 

Concevez-vous cet étrange égarement? 



>29 



ACTE IV, SCÈNE III. 

DUCHATEL. 

Je vois, je crois apercevoir. Dès long-temps je 
le redoutais. 

DUNQIS. 

Comment, que dites-vous? 

DtCHÀTEL. 

Je n'ose dire ce que je pense. Plat au ciel que ce 
moment fût passe et que le roi fût couronné. 

LAHIRE. » 

Comment cette bannière peut-elle reporter vers 
vous la terreur? Les Anglais tremblent à son aspect; 
elle est terrible à tous les ennemis de la France, 
mais n'est-elle pas favorable aux Français fidèles? 

JEANNE. 

Oui, tu as raison : elle est propice aux amis de la 
France et porte le trouble à ses ennemis. 

( Oa eotend la marche du couronnement. ) 
DUNOIS. 

Prenez votre bannière , prenez-la. La cérémonie 
commence, il n'y a point un instanl^à perdre. 



ToM. III. 



4ta«j 



«3o LA PUCELLË D'ORLÉANS, 

SCÈNE IV. 

La scène cbaage et représente une place devant la cathédrale ; 
le fond du théâtre est rempli d'une foule de spectateurs. 

ê 

BERTRAND, CLAUDE-MARIE et ETIENNE sor- 
tent de la foule et ayancent sur le devant de li^ 
scène. On entend ^ans leloignement les sons de 
la marche triomphale. 

Écoutons la musique. Les Toila , ils s'approchent. 
Où serons-nous mieux placés ? Monterons-nous sur 
la. plate-forme, oii nous placerons-nous avec tout le 
peuple? U ne faut rien perdtie de la cërëmoBie. 

• ÉTiteNïîE. 

On ne peut point passer. Les rues sont pleines 
d'hommes,. de chevaux, de voitures. Rangeons-nous 
ki près de ces maisons, mms pourix^ns tout voir 
quand le m.om^t sera venu. 

OLAUDE-MARIE. 

U semble que la moitié de la France soit rassem- 
blée ici. Et Fempressement est si grand, qu'il nous a 
fait quitter les frontières reculées de 1^ Lorraine. 

BEKTRAr^D. 

Qui pourrait demeurer tranquillement dans son 
asile , lorsque de si grandes choses se passent dans 
son pays? 11 a fallu assez de sueurs et de sang pour 
|)arvenir à ce moment où la couronne va orner un 



ACTE IV, SCÈNE V. i3i 

roi légitime. Il faut que notre maître^ notre vrai sou- 
veraiu , à qui nous allons donner la couronne , soit 
accompagné ici d'une foule aussi grande que lorsque 
le peuple de Paris a conduit à Saint-Denis le roi des 
Anglais. Quel est le bon Français qui pourrait 
s'éloigner de cette solennité et qui n'éprouve pas le 
besoin de s'écrier ; Vive le roi! 

SCÈNE V. 

MARGUERITE et LOUISE se joignent aux précé- 

dens. 

LOUISE. 

Nous verrons notre sœur {«Marguerite , le cœur 
me bat. 

MAR6UERITB. 

Nous la verrons dans toute sa gloire , dans toute 
sa grandeur et nous dirons : voilà Jeanne, voilà 
notre sœur. 

LOUISE. 

Jusqu'à ce que mes yeux l'aient vue, je i^ pourrai 
croire que cette guerrière , qu'on nomme la Pucelle 
d'Orléans , soit notre sœur Jeanne que nous avions 
perdue. 

( Le cortégs s^approche. ) 
MAROUERITE. 

Tu doutes encore ? tu la verras da tes yeux. 

BERTRAND. 

Regardons bien j ils arrivent. 



i3a LA PUCELLE D'ORLÉANS» 

scÈNj: VI. 

( Les joueurs de flûte et de hautbois ouvrent la marche. Des en- 
fans vêtus de blanc et porXant des branches à la main suivent 
après avec deux hérauts; ensuite une troupe de hallebardierS| 
puis les magistrats en robe. Deux maréchaux portent leur bâ- 
ton , le duc de Bourgogne porte Fépée , Dunois le sceptre , 
d'autres grands du royaume sont chargés de la couronne, du 
globe impérial , de la main de justice. D'autres portent les 
offrandes; derrière viennent des chevaliers revêtus de leurs 
habits d'ordre, des enfans de chœurs suivent avec leurs encen- 
soirs. Deux évéques portent la Sainte- Ampoule ; l'archevêque 
tient une croix. Puis Jeanne paraît avep sa bannière ; elle a 
la tête baissée et la démarche mal assurée. Pendant qu'elle 
passe , on lit dans les yeux de ses sœurs leur étonnement et 
leur joie. Le roi vient ensuite sous un dais porté par quatre 
barons ; les gens de sa maison sont derrière lui. Des soldats 
ferment la marche. Quand le cortège est entré dans l'église , 
la musique cesse. ) 

SCÈNE VIL 

LOUISE, MARGUERITE, CLAUDE - MARIE , 

BERTRAND. 

MARGUERITE. 

As-tu vu notre sœur ? 

CLAUDE-MARIE. 

Celle qui portait une armure d'or et marchait 
devant le roi avec sa bannière ? 

MARGUERITE. 

C'était elle; c'était Jeanne , notre sœur. 

LOUISE. 

Elle ne nous a pas reconnues; son cœur ne lui a 



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ACTE IV, SCÈNE VII. ï33 

pas fait deviner que ses sœurs étaient près d'elle -^ 
elle regardait la terre et paraissait pale çt tremblante 
sous sa bannière. Je ne puis être joyeuse de l'avoir 
vue. 

MARGUERITE. 

Ainsi j'ai vu notre sœur au milieu d'une pompe 
brillante. Qui aurait pu^ même dans unsonge, pré- 
voir et penser que celle qui gardait ses troupeaux , 
sur notre montagne^ brillerait un jour d'un tel éclat. 

LOUISE. 

Le songe de mon père est accon^pli. Nous nous 
sommes prosternés à Rheims devant notre sœur; 
voici l'église qu'il avait vue dans son sommeil : le 
rêve est accompli. Mais mon père eut ensuite une 
vision funeste. Hélas je suis attristée d'avoir vu la 
grandeur de Jeanne. * 

BERTRAND. . 

Pourquoi rester ici? Entrons dans l'église pour 
voir la cérémonie. 

MARGUERITE. 

Oui /entrons^ peut-être verrons-nous encore ma 
sœur. 

LOUISE. 

Nous l'avons vue ; retournons à notre village. 

MARGUERITE. 

Quoi , avant de l'avoir abordée ^ avant de lui avoir 
parlé ? 

LOUISE. 

Nous ne lui sommes plus rien ; sa place est parmi 
les rois et les princes*. Qui sommes-nous , nous qui 
nous pressons^ pour vouloir, dans notre .vanité , 



i34 LA PUCEi;.LE D'ORLÉANS, 

prendre part à son triomphe ? dëjà elle nous était 

étrangère , quand autrefois elle yivait arec nous. 

MARGUERITE. 

Pourrait--elle rougir de nous et nous désavouer? 

BERTRÂI9D. 

Le roi lui-inéme ne rougit pas de nous : il salue 
amicalement les moindres de ses sujets. Elle peut 
être élerée bien haut ^^ mais le roi est plus qu'elle. 

( Le son lias trompettes et des timbales retentit dans réglisc. ) 

ctlâode-mârie. 
Entrons dans l'église. 

( Ds se retirent au fond dn tlmtre , et se perdent dans la toole. ) 

fSCÈNE VIII. 

THIBAUT arrive vêtu en noir, RAYMOND le suit 

et essaie de l'arrêter. 

RAYMOND. 

Demeures, mon père, écartezrvous de la foule. 
Voyez ce peuple transporté de joie, votre douleur 
ne convient point à cette fête. Venez, éloignons- 
nous promptement de la ville. 

THIBAUT. 

As-tu VU ma malheureuse enfant? l'as-tu bien 
regardée ? 

RAYMOND. 

Retirons-nous , je vous en supplie. 

THIBAUT. 

As-tu remarqué comme sa démarche était mai 



^ . 



ACTE rV, SCÈNE VÏIT. i35 

assurée ; comme son visage était pâle et troublé. La 
malheureuse connaît son sort; c'est le moment de 
sauver mon enfant^ et je veux en profiter. 

(Il veut entrer. ) 
RAYMOND. . ' 

Arrêtez ^ que voulez-vous faire ? 

THIBAUT. 

Je veux la surprendre et l'arracher à sa trompeuse 
prospérité. Je veux, de tout mon pouvoir , la rame- 
ner à son Dieu qu elle renonce. 

RAYMOND. , 

Hélâs l réfléchissez bien , ne précipitez pas votre 
propre enfant dans sa ruine. 

THIBAUT. 

Ah ! qu'elle périsse s'il le faut, mais que son âme 
soit sauvée. ( Jeanne sort de V église sans bcf^rmièr^. 
Le peuple se presse autour d'elle a^ec adoriftion et 
baise ses habits. Elle est retenue^ au fond du tké4tre 
par la foule. ) EUe vient , c'est elle , elle sort de l'é- 
glise j elle est pâle ; son trouble Fentraîne hors diu 
sanctuaire ; c'est la justice (l^vine qui. se fait 
entendre à son cœur. 

RAYMOND. 

Adieu j n'exigez pas que je vous accompagne plus 
long-temps. Je suis venu plein d'espérance et je pars 
au désespoir. J'ai revu votre fille et je sens que je 
vais la perdre encore. 

f n aort ; Tkibtttt s'éloigne aufû du côetf gpposé. ) 



i36 LÀ PÙCELLE D'ORLÉANS, 

SCÈNE IX. 

JEANNE, Peuple. Un instant après, les SOEURS de 

Jeanne. 

JEANNE , sVcartant de la foule, arrive sur le devant de la scène. 

' Je ne pouvais y rester, il me semblait que des 
fantômes m'en éloignaient ; les sôris de l'orgue m'e'- 
pouvantaient comme le bruit du tonnerre; je croyais 
que la voûte du dôme s'écroulait sur ma tête ; 
j'aVais besoin de chercher la vaste enceinte du ciel. 
J'ai laissé ma bannière dans le sanctuaire; jamais , 
jamais cette main n'en sera chargée. Mais j'ai cru 
que mes soeurs chéries Louise et Marguerite avaient, 
comme un songe, passé devant mes yeux. Hélas! 
c'était une trompeuse apparence ; elles sont loin de 
moi, je ne les reverrai pas plus que les jours de ma 
jeunesse, et de mon bonheur innocent. 

MARGUERITE s'avance. 

C'est elle, c'est Jeanne. 

LOUISE, s^empressant à sa rencontre. 

ma sœur ! 

JEANNE. 

Ce n'était point une illusion. C'est bien vous. C'est 
vous que j'embrasse , ma chère Louise , ma chère 
Marguerite ; dans cette foule étrangère , vaste désert 
d'hommes , je serre dans mes bras un sein fraternel. 

MARGUERITE. 

Elle nous connaît encore; elle est notre bonne 
soeur. 



, ACTE IV, SCÈNE IX. 187 

JEANNE. 

Et c'est votre tendresse qui vous a conduites ici, 
si loin de la maison paternelle? Vous n'avez pas eu 
de ressentiment contre une sœur qui vous quitta 
froidement et sans adieu? 

LOUISE. 

La volonté mystérieuse de Dieu te conduisait. 

MARGUERITE. 

Ta renommée qui retentissait partout, ton nom 
que toutes les bouches répétaient sont parvenus 
jusque dans notre paisible hameau et nous ont 
guidées dans cette fête solennelle. Nous voulions te 
voir dans ta puissanee ; et nous ne sommes pas 
venues seules. 

' JEANNE, vivement. 

Mon père est avec vous? où est-il, où est-il? 
Pourquoi se cache-t-il ? 

MARGUERITE. 

Mon père n'est pas avec nous. 

JEANNE. 

Il n'y est pas? Il n'a pas voulu voir son enfant? 
Vous ne m'apportez pas sa bénédiction ? 

LOUISE. 

« 

Il ne sait pas que nous sommes ici. 

JEANNE. 

» 

Il ne le. sait pas? et pourquoi vous êtes-vous trou- 
blées? Vous vous taisez et vous baissez les yeux; 
dites où est mon père? . 



i38 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

MARGUERITE. 

Depuis que tu es partie. ... 

L U I s E lui fait un signe. 

Marguerite!.. 

MARGUERITE. 

Mon père est tombé dans une sombre mélancolie. 

JEANNE. 

Dans une sombre mélancolie? 

LOUISE. 

Console-^toi. Tu connais son coeur paternel^ il 
rcTiendra à lui , son âme deviendra paisible quand 

nous lui aurons dit que tu es heureuse. 

« 

MARGUERITE. 

Tu es heureuse^ n'est-il pas vrai? Tu dois l'être, 
tant de grandeur et de gloire 

JEANNE. 

Oui je le suis, puisque je vous revois, puisque 
j'entends le son chéri de votre voix et tout ce qui 
me rappelle le séjour paternel. Ah! lorsque je con- 
duisais encore mon troupeau sur notre montagne p 
j'étais heureuse comme dans le paradis, fie puis- 
je pas revoir cet heureux temps? jamais. 

( EUe cache son visage dans le sein de Louise. Claude-Marie, Etienne et Bertrand parais- 
sent et restent timidement au fond du théâtre. ) 

MARGUERITE. 

Venez Etienne , Claude-Marie , Bertrand. Jeanne 
n'a point d'orgueil, elle est aussi douce, elle nous 
parle aussi tendrement que par le passé , lorsqu'elle 
était avec nous au village. 



ACTE IV, SCÈNE IX. iSg 

( Ib s'avaocent et veolent prendre sa main. Jeanne les regarde d^un œil fixe, et tombe 

dans un profond étonnement. ) 

JEANNE. 

Où étais-je ? dites-le moi ! Tout cela e'tait-il seule- 
ment un long rêve? et vîens-je de me rcTeiller. 
Ai-je en effet quitte Donremy ? Non, je m'étais endor- 
mie sous l'arbre miraculeux ; je me réveille et 
je me vois entourée d'être réels, de vous que je 
reconnais. Les rois, les batailles, les faits d'armes 
ont rempli mes songes. Ce n'étaient que des ombres 
qui ont passé devant moi , et que mon imagination 
s'est représentée vivement pendant que je dormais 
sous cet arbre. Comment seriez vous venus à Rheims? 
Comment y serais-je moi même? Jamais, jamais je 
n'ai quitté Donremy ? assurez-le moi et répandez la 
joie dans mon cœur. 

LOUtSE. 

Nous sommes à Rheims ; toutes ces choses ne sont 
point un rêve, tu les as réellement accomplies. 
Connais-toi , regardes à l'entour , vois cette brillante 
armui*e d'or dont tu es revétue.^ 

(Jeanne porte sa main sur ton oosur ; elle semble se ressçavenir et montre de l'elPrai. ) 

BERTRAND. 

C'est de ma main que vous prîtes ce casque. 

GLAUDE-MARIE. * 

Il n'est pas étonnant que vous preniez votre sort 
pour un songe : ce que vous avez fait, ce que vous 
avez accompli , est plus merveilleux que les visions 
d'un rêve. 

JEANNE, viyemeAft. 

Venez , fuyons , je vais avec vous , je retourne 
dans notre hameau , dans le sein de mon père. 



i4o LA PUCELLE D'ORLEANS, 

LOUISE. 

. ; I 

Ah! viens, viens avec nous. 

JEANNE. 

Cette foule m'exalte au-dessus de mes mérites. 
Vous m'avez vue enfant , faible , timide , vous m'ai- 
mez^ mais vous ne m'adorez pas. 

MARGUERITE. 

Tu voudrais^ abandonner toute cette gloire ? 

JEANNE. 

Je veux rejeter loin de moi cette odieuse parure, 
qui m'empêche de presser votre cœur sur mon 
cœur ; je veux redevenir une bergère. Je vous ser- 
virai comme une humble servante , et j'expierai par 
une se'vère pénitence le crime de m'êU'e vainement 
élevée au--dessus de vous. 

{ Les trompettes tonnent. ) 

SCÈNE X. 

Le ROI sort de l'église yétu de ses ornemens royaux. 
AGNÈS, L'ARCHEVÊQUE, LE DUC, DUNOIS, 
LAHIRE, DUCHATEL, COURTISANS, PEUPLE. 

LE PEy/^LE crie à plusieurs reprises, pendant que le roi s'avance. ^ 

Vive le roi ! vive notre roi Charles VII ! 

( Les trompettes se taisent. Le roi fait un signe , et les hérauts , le bâton levé , ordonnent 

le silence. ) 

. « ■ 

LE ROI. 

mon bon peuple ! je suis reconnarsant de votre 
amoujp. Cette couronne que Dieu a placée sur ma 
tête , qui a été conquise et assurée par le glaive, que 
le sang de mes nobles sujets a arrosée , sera ornée 



ACTE IV, SCÈNE X. 141 

des branches du paisible olivier. Je remercie tous 
ceux qui ont combattu pour moi; et ceux qui m'ont 
résiste^ je leur pardonne. Dieu a bien voulu me faire 
grâce et lé premier acte de ma royauté sera de faire 
grâce. 

LE PEUPLE. 

Vive le roi ! vive notre bon roi Charles ! 

LE ROL 

Cest de Dieu seul, le souverain suprême , que les 
rois de France tiennent leur couronne; mais je l'ai 
reçue de sa main d'une manière plus visible. {Il se 
retourne vers Jeanne. y Voyez ici l'envoyée de Dieu : 
c'est elle qui affermit le roi sur le trône et qui rompt 
le joug d'une tyrannie étrangère ; son nom doit eti*e 
révéré à l'égal de Denis , le saint protecteur de la 
France, et des autels doivent être élevés à sa gloire. 

LE PEUPLE. 

Vive la Pucelle ! vive notre libératrice ! 

( Les trompettes sonnent. ) 
LE ROI, à Jeanne. 

Si comme nous tu es de la race humaine , dis de 
quelle récompense puis-je te faire jouir? Mais si ta 
patrie est là-haut, si les rayons d'une céleste nature 
sont cachés sous la forme d'une jeune vierge, quitte 
cette enveloppe qui te rend semblable à nous, 
laisse-toi voir brillante de lumière , telle que tu te 
montras dans le ciel , nous t'adorerons , nous nous 
prosternerons dans la poussière. 

(Tout la monde se tait ; tous les yeux sont fîxtfs sur Jeanne, ) 
JEANNE sVcria tout à coa]^; 

Dieu ! mon père ! 



ï4i LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

SCÈNE XL 

Les jH*ë€édens ; THIBAUT sort de la foule etse place 

devant Jeanne. 

PLUSIEURS VOIX. 

Son père ! 

THIBAUT. . 

J 

Oui , son père infortuné , le père de cette malHeu- 
reusej qui vient, par ordre de la justice divine, 
accuser sa propre fille. 

LE DUC. 

Qu'est-ce? 

DUCHATEL. 

Ce que je prévois est terrible. 

THIBAUT, au roi. 

Penses-tu avoir été secouru par la puissance de 
Dieu? Prince abusé, peuple aveugle, vous avez été 
délivrés par l'art du démon . 

( Tous le retirent avec ëpouvante. ) 
DUNOIS. 

Cet liomiii€ est insensé. 

THIBAUT. 

Non, ce n'est pas moi qui suis insensé, c'est toi, 
c'est le roi, c'est ce sage archevêque, lorsqu'ils 
crment que le seigneur des cieux s'est manifesté par 
une misérable fille. Voyez si elle osera en face de son 
père soutenir l'audacieuse fourberie dont elle a 
abusé le roi et le peuple. Répond&-moi, au nom de 
la sainte Trinité , appartiens-tu aux puissances ce-* 
lestes et pures ? 

^ Tous les yeu» sont fixa sur elle ; le silence est gënënl : elle demeure immobile. ) 



ACTE IV, SCÈNE XI. i43 

AGNÈS. 

- Dieu ! elle ne répond pas. 

THIBAUT. 

Elle est effrayée de ce nom terrible que redoutent 
les gouffres eux-mêmes de T enfer; elle! revêtue 
d'une sainte mission de Dieu ! Non; cette fraude lui 
fut inspirée, à cette misérable fugitive , sous Farbre 
maudit où les mauvais esprits se rassemblent depuis^ 
long-temps pour célébrer leur sabbat; c'est là quelle 
a vendu son âme à Fennemi des hommes pour 
obtenir de lui la gloire périssable de ce monde. 
Quelle dépouille son bras, on y verra la marque 
dont l'enfer scelle ceux qui se donnent à lui. 

LE DUC. 

Ah ! quelle horreur ! Cependant un père qui té- 
moigne contre sa fille mérite croyancct 

DUNOIS. 

Non ; Ton né doit pas croire à un furieux qui se 
flétrit par le déshonneur de son propre enfant. 

AGNÈS, à Jeanne. 

Ahl parle, romps ce silence effrayant; nous 
croirons y nous nous assurerons sur ta parole; un 
mot de ta bouche , un seul mot nous satisfera. Mais 
parle, démens cette effroyable accusation, dis que 
tu es innocente, nous le croirons. 

( Jeanne demeure immol»^ ; Agnès s'éloigne avec hormur. ) 

i^AHIflE. 

Elle est €?ffray^, l%ofreur et t*étonnement lui 
fernvetit 'U lMH:h^dbe , une isi terriMe imputation fait 
^retuliler Jl 'inti^cence elle-même. ( // s'approche 



i44 I^A PUCELLE D'ORLÉANS, 

d'elle. ) Jeanne , rassurez-vous , reprenez vos sens. 
L'innocence a un langage , un regard dont la ca- 
lomnie ne peut triompher. Montrez votre . noble 
colère , levez les yeux, faites rougir, confondez ceux 
qui outragent votre sainte vertu par un indigne 
doute. 

(Jeanne demeure immobile, Lahire se retire épouvante, le mouvement général aug- 

mente. ) 

DUNOIS. 

Peuple , pourquoi vous épouvanter ? prince , pour- 
quoi tremblez-vous? elle est innocente; je me 
rends son garant , moi-même j'engage pour elle ma 
foi de prince. Je jette le gant, que celui qui la main- 
tient coupable ose le ramasser. 

( On entend un violent coup de tonnerre ; chacun est frappé de terreur. ) 
* THIBAUT. 

Réponds au nom de Dieu qui fait entendre son 
tonnerre ; dis que tu es innocente , assure que ton 
cœur n'appartient pas au démon , convainc-moi de 
mensonge. 

( On entend un second coup de tonnerre piu| fort ; le peuple s'enfuit de tous côtés. ) 

LEDUC. 

Que Dieu nous protège, quels terrible^ signes il 
nous envoie ! 

DUCHATEL. 

Venez , venez mon roi , quittez ce lieu. 

L'ARCHEVÊQUE, à Jeanne. 

Au nom de Dieu je te le demande, est-ce le sen- 
timent de ton innocence ou de ton crime qui te rend 
muette ? Si c'est en ta faveur que témoigne la voix 



ACTE IV, SCÈNE XII. 145 

du tonnerre^ ose toucher cette croix, donne-nous 
quelque preuve que tu n'es pas coupable. 

(Jeanne dttneure immoLile. On entend de nouveaux coups de tonnerre. Le roi , kpkès , 
Vn^h^êfH9i le d^c , LaKir* et Du<;Witel 9e retirent. > 

SCÈNE XII. 

DUNOIS, JEANNE. 

DyN0I3. 

Tu ea mon épouae y. je t'ai crue iaooceiite au pre- 
mier moment , et jfi le icrpi» eucore ; y^ me fie plus i 
toi qu'à tous ces signes, qu'à ce t^imerre qui retentit 
dans le ciel. Ta noble colère garde le silence, enve- 
loppée dans sa vertu divine. Tu dédaignes de con-^ 
fondre ces honteux soupçons; eh bien, dédaigne- 
les, mais confie-toi à moi qui n'at pas douté un 
instant de ton innocence : je ne te demande pias une 
parole ; mets seulement ta main dans la mienne ; 
je ne veux pas d'autre gage , ni d'autre assurance 
pour connaître que tu te confies hardiment à mon 
bras et à la bonté de ta cause. 

( n Yeut prendre la main de Jeanne , elle se dëtoome en la retirant. H demeure immobile 

de surprise. ) 



^ox. m, 20 



\ 



Ï46 LA PtICELLË D'ORLÉANS, 

SCÈNE XIII. 

JEANNE, DUCHATEL, PUNOIS, 
puis RAYMOND. 

DU G HATE L revenant. 

Jeanne d'Arc, le roi permet que vous sortiez li- 
brement de la ville; les portes vous seront ouvertes. 
Ne craignez aucune insulte ; la protection du roi 
vous en défendra. €omte deDunois, suivez-moi, 
Fhonneur vous défend de rester ici plus long-temps. 
Dieu ! quel dénoûment ! 

(Il sort. ) 

^ DuDois surmonte «« stupëfadion , jette encore un regard sur Jeanne, et suit Dachâtel. 
ElUe reste un jnoment seule. Raymond paraît, il demeure un moment éloigné, et la 
regarde avec douleur. Il s'avance ensuite, et la prend par la main. ) 

RAYMOND. 

Saisissez cet instant , les rues sont libres ; donnez- 
moi la main , je vous conduirai. 

(Elle le regarde, puis elle lève les yeux aiy: ciel. Ce coup d'oeil est la première marque 
de sentiment qu'elle ait laissé voir. Elle saisit vivement la main de Raymond, et sort.) 



FIN DU QUATRIÈME ACTE. 



■x 



ACTE V, SCÊHE.I. 147 



— -^— »■. — ■«— ^-^ — - — - — .--.--. — . -- -■-■|-iiiii''n'i Ti 'ivi ir ii r tiiri rimirifirtri flirt fin i imf¥tfnmii1fitrw.xrifnn 



ACTE CINQUIEME. 



Le tbéitre représente une foret sauvage; on voit dans le fond 
des huttes de charbonniers. L'obscurité est complète; les 
ëclairs brillent. On entend le tonnerre, et, par intervalle, le 
bruit de l'artillerie. 

SCÈNE PREMIÈRE. 

s UN CHARBONNIER et SA FEMME. 

LE GHARBOlïNIER. 

La. tempête est épouvantable ! le ciel se répand en 
ruisseaux de feu, et au milieu du jour la nuit est 
devenue assez obscure pour qu'on puisse voir les 
étoiles. L'orage rugit comme l'enfer déchaîné ; les 
vieux chênes courbent leurs têtes et se brisent ; 
et cette giierre terrible du ciel contre la terre , qui 
abat la férocité des animaux les plus sauvages , qui 
leur fait chercher un asile dans leurs retraites , ne 
saurait rétablir la paix pour un instant entre les 
hommes ! Le bruit du canon se mêle aux mugisse- 
mens du vent et de la tempête. Les deux armées 
sont si rapprochées que la forêt seulement les té- 
pare , et chaque moment peut y amener un horriblcf 
carnage. 

Ll FEMME. 

Dieu nous assiste, mais les ennemis pétaient 4éjà 



i4S LÀ PDCELLE ©^ORLÉANS, 

complètement défaits et battus ; d'où vient qu'ils 
nous pressent encore* 

« 

LE GHARB0NI9IER. 

C'est qu'ib ne craignent plus notre roi. Depuis 
qu'on a reconnu à Rheims que la Pucelle était une 
sorcière^ depuis que le démon ne nous prête plus 
son secours , rien ne prospère plus. 

LÀ FEMME. 

Étoutons f quelqu'un approche. 

SCÈNE IL 

Les prëcédens, RAYMOND, JEANNE. 

Je fsois une oabai^e ; irencE, nous y trouyerons un 
usile contre cette terrible tempête. Vous ne pourriei: 
TOUS soutenir {dus long-temps ; depuis trois jours 
irons errefc , fuyant to«s les regards , et de sauvages 
racines ont été Totre seule nournture. (La tempête 
4*apaisej le ciel depienl clair et serein. ) Ce sont de 
bons ekarbonniers. Entrons. 

LE CHARBONNIER. 

Vous semblez avoir besoin de repos; entreai^ tout 
ce que renferme notre chétive cabane sera à tous. 

LA FEMME. 

Eh quoi I une jeune fille couverte d'une armure ! 
Ah! nous vivons dans un temps de rudesse; les 
femmes aussi se revêtent de la cuirasse : la reine 
elle-^néme ^ madame isabeile^ est , dit-on , toute ar- 



ACTB V, SCÈNE II. i49 

mée au milieu du camp des ennemis ; et une jeune 
fille , une pauvre bergère ai combattu pour le roi 
notre maître. 

LE CHARBONNIER. 

Que dites-TOus là? Allez dans notre eabftM, et 
apportez à cette jeuiie iille de quoi r^arer sa fatigue. 

( La femme ▼« au» It cimM* ) 
RAYMOND, àJetnae. 

Vous le Toyes, toua leg homiii^» oe aont paf eruMs^ 
et dans ces retraites lauvagpos halntent des km/^ cùmot 
pâtissantes^ Que vos yeux montrent moins de tris*- 
tesse, la tempête s*apaise^ et les derniers rayons 
du soleil brillent d'un doux éclat. 

LB CHARBONNIER. 

Je pense, tous voyant ainsi armes , que vous 
allez rejoindre Farme'e du roi. Prenez garde à vous, 
les Anglais sont campes près d'ici, et leurs soldats font 
des courses dans la forêt. 

HAYMOVD. 

Malheur h nous I Comment po^urrons-nous sortir 
d'ici ? 

LE CHARBONNIER. 

Demeurez, et attendez que mon fils soit revenu 
de la ville ; il vous conduira* par des sentiers caches 
oÙL vous n'aurez rien à eraindre; nous connaissons 
les détours de la forêt. 

RAYMOND, àJeamie. 

Quittez votre casque et votre armune ; iU Toii$ 
trahiraient et ne vous défendraient pas. 

( feanM fait un signe de refut.) 
h^ OH A {19091111311. 

Elle semble bien triste. Silence l Qw Yieot ici? 



i5o LA PUCEI.LJE: P'OALÉANS, 

SCÈNE m. 

Les prëcédens^ LA FEMME du Charbonnier sort de 
la cabane , portant un vase ; L^ENFANT d,u 
Charbonnier* 

LA FEMME. 

C'est notre enfant qui revient. ( A Jeanne. ) Bu- 
i^éz^ noble demoiselle ^ et q[ue Dieu vous bénisse. 

LE GHÂRB0NI9IER, àsonfilc. 

Te voilà revenu^ Anet; qu'apportes-tu? 

L'ENFANT . fixe set jvaa. sur Jeanne tandis quVDe porte le vase à sa bouche ; il la rr- 

connaît» s'avance, lui arrache le vase. 

Mère! mère! qu'avez-vous fait? qui avez-^ous 
jpççu? c'est la sorcière d'Orléans. 

LE CHARBONNIER ET SA FEMME. 

Dieu nous fasse miséricorde ! 

' * (Us s'enlaioftt en fusant le signe de la croix. ) 

SCÈNE IV. 

RAYMOND, JEANNE. 

JEANNE, d'un ton résigna et doux. 

Tu le vois^ là malédiction me suit. Tous fuient 
devant moi. Songe à toi^ et laisse-moi aussi. 

RAYMOND. 

Moi j vous abandonner 0n ce moment ! Et qui se- 
rait votre guide ? 



ACTE V, SCÈNE IV. ^ i5r 

> Eh.1 n'ai-je pas un guide? N'as-tu pas entendu; le 
tonnerre gronder sur moi? Mon destin me conduit;/ 
ne t'inquiète pas ^ j'arriverai au but sans avoir à le 
chercHer. 

RAYMOND. 

Où voulez-vous aller? Là sont les Anglais , qui ont 
jure d'exercer sur ^us une vengeance sanglante ; là 
sont nos Français , qui vous ont proscrite et chassée. 

JEANNE. 

Rien ne peut me frapper qui ne soit inévitable. 

RAYMOND. 

Qui pourvoira à votre nourriture? qui vous dé- 
fendra contre les animaux sauvages ^ contre la fé- 
rocité des hommes? qui vous soignera quand vous 
serez malade et misérable ? 

JEANNE. 

Je connais toutes les plantes ^ toutes les racines; 
j'ai appris de mon troupeau à distinguer celles qui 
sont salutaires et celles qui sont nuisibles; je me gui- 
derai sur le cours des étoiles ou sur la marche des 
nuages; j'écouterai le bruit des fontaines pour les 
découvrir : l'homme a besoin de peu , et la nature lui 
donne beaucoup. 

RAYMOND lui prend la main. 

Et ne voulez-vous pas rentrer en vous-même,, 
vous réconcilier avec Dieu , retourner avec repentir 
dans le sein de notre divine église ? 

JEANNE. 

Et toi aussi y tu me crois coupable de cet affreux 
péché ? 



i5a ' LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

RAYMOND. 

Puis-je autrement penser? Ce irîlenoe li'était-il 

pas un aveu? 

jeâhus. 

Toi qui m'as suivie dans ma misère , toi le settl être 
qui me soit resté fidèle, toi qui t'es attaché à moi 
quand le monde entier me repo^sait, tu as pensé 
que j'étais une réprouvée , que j'avais renié naoa 
Dieu? {Raymond se tait.) Ahî ce coup m'est rude. 

RAYMOpî.D, «ivpris. 

Quoi! vous ne seriez point en effet une magi-^ 
cienne? 

Moi , une magicienne ! 

RAYMOKn. 

Et toutes ces merveilles , vous les auriez accom- 
plies par la sainte puis3anee de Dieu ? 

fE4|f»S. 

Bt par quel autre moyen ? 

RAYMONP. 

Et vous êtes restée muette à cette horrible accu- 
sation ! Vous parlez maintenant; et devant le roi, 
quand il importait de répondre , vous avez gardé le 
silencç. 

JEANNE. 

Ce silence était une soumission au destin que 
Dieu mon maître faisait peser sur moi. 

RAYMOND. 

Vous n'avez pu rien répondre à votre père. 



ACTE V, SCÈNE IV. i53 

JEANNE. 

Puisque et coup venait de mon père , c'est que 
Dieu l'avait ordonné. Cest une épreuve imposée par 
$a main paternelle. 

RAYMOND. 

Le ciel ltti-«méme a témoigné que vous étiez cou-* 
pable. 

JEANNE. 

Le ciel parlait y je devais donc me taire» 

KAYMONB. 

Comment, vous pouviez d'un seul mot vous justi- 
fier , et vous avez laissé le monde dans cette déplo- 
rable erreur ! 

JEANNE; 

Il n'y a point d'erreur : ce devait être dans mon 
sort , c'était l'ordre d'en haut. . 

BAYMOND. 

Quoi, VOUS auriez injustement supporté cet 
affront , et pas une plainte ne serait sortie de votre 
bouche! Dans quelle surprise vous me jetez l Je 
demeure interdit , je suis bouleversé jusqu'au fond 
du cœur. que j'ajoute volontiers foi à vos discours ! 
qu'il m'était cruel de vous croire coupable ! Cepen- 
dant je crois rêver quand je songe qu'une âme 
humaine a pu souffrir une si horrible douleur et se 
taire. 

JEANNE. 

Aurais-je mérité d'être l'envoyée du Seigneur , si 
je rfavaîs pas aveuglément respecté sa volonté? Je 
ne suis pas si misérable que tu crois. Jje souffre 
le besoin , mais dans la condition où je suis née ^^ 
ce n'est pas un malheur. Je suis proscrite et ban- 



i54 LA PUCE LIE D'ORLÉANS, 

nie; mais dans ce désert j'ai pu enfin me recon- 
naître. Quand j'étais environnée de l'éclat de la 
gloire , mon cœur était agité par mille combats j 
quand je paraissais à la plupart des hommes digne 
d'être enviée, c'est alors que j'étais plus malheu- 
reuse; maintenant^e suis guérie. Cette tempête qui 
semblait menacer la nature de sa fin a fait- moi» 
bonheur , elle a purifié la terre et mon cœur. Je me 
sens paisible. Qu'importe ce qui adviendra? je ne 
sens plus en moi aucune faiblesse. 

RAYMOND. 

Venez, venez, hâtons-nous; allons proclamer à 
toute la terre que vous n'êtes point coupable. 

JEAll^NE. 

Celui qui permit cette erreur saura bien la dissi- 
per. Quand le terme de leur maturité est arrivé , 
les fruits du destin tombent sur la terre. Un jour 
viendra qui rétablira la pureté de ma gloire. Ceux 
qui me proscrivent et me condamnent s'aperce- 
vront alors de leur injustice, et répandront des 
larmes sur mon sort. 

RAYMOND. 

Dois-je donc me résigner au silence jusqu'au 
moment où le destin?... 

JE A N NE. Elle pretid doucement Raymond ]^ar la main. 

Tu ne vois que ce qui est dans l'ordre de la na- 
ture; tes regards sont arrêtés par une enveloppe 
terrestre , mais moi j'ai vu de mes yeux les choses 
immortelles ; il ne tombe pas un cheveu de la tête 
de l'homme que ce ne soit par la volonté de Dieu* 



• ACTE V, SCÈNE V. t55 

Vois-tu ce soleil qui descend du ciel vers l'occident? 
De même que demain il doit reparaître dans son 
éclat ; de même^ et non moins certainement^ le jour 
de la Terité arrivera, sans que rien puisse le retarder. 

SCÈNE \. 

La reine ISABELLE paraît au fond du théâtre avec 

des SOLDATS. 

ISABELLE, encore derrière la scène. ^ 

Cest ici le chemin du camp anglais. 

RAYMOND. 

Malheur à nous ! voici les ennemis. 

(Les soldats avancent; ils voient Jeanne, et'se' retirent' épouvantés 

ISABELLE. 

Eh quoi! qui vous arrête? 

LES SOLDATS. 

Que Dieu nous protège* 

ISABELLE. 

Quelle illusion vous épouvante? êtes-vous donc 
des soldats? non^ vous êtes des lâches. Comment! 
(Elle se fait place à trai^ers les soldats , aisance , les 
ramène et aperçoit Jeanne. ) Ah ! que vois-je ? (J?//e 
se rassure promptement et marche i^ers Jeanne. ) 
Rends-toi 9 tu es ma prisonnière. 

JEANNE. 

Je la suis. 

( Raymond s'enfuit avec désespoir. ) 



i56 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

ISABELLE, aux soldats. 

Encliaînez-la. (Z6<r soldats approchent avechési-^ 
talion. Jeanne tend les bras, on U enchaîne J) Vaici 
cette guerrière puissante et redoutée qui chassait 
vos bataillons devant elle comme de vils troupeaux. 
Maintenant elle ne sait pas même se défendre : son 
pouvoir merveilleux tenait-il donc à la seule crédu- 
lité, et suffisait-il de se montrer homme pour qu elle 
devînt une faible femme ? ( à /eo/ine. ) Pourquoi 
as-tu laissé ton armée? Où est donc le comte de 
Dunois , ton chevalier et ton défenseur? 

JEANNE. 

Je suis bannie. 

ISABELLE aa racnla étonna. 

Eh comment ! ta es bannie , bannie par le Dau-» 
phin? 

JEANNE. 

Ne m'interrogez pas; je suis en votre pouvoir^ 
ordonnez de mon sort. 

ISABELLE. 

Bannie ! toi qui l'as tiré de l'abîme , qui as place 
la couronne sur sa tête à Rheims, qui las fait roi de 
France, bannie! Je reconnais mon fils. Condui- 
sez-la dans le camp ; montrez à l'armée ce fantôme 
terrible qui la fkisait trembler. Elle magicienne! 
Toute sa magie , c'était votre illusion et la faiblesse 
4e votre cœur : c'est une pauvre insensée qui s'est dé- 
vouée pour son roi, et il l'en a récompensée en roi. 
Amenez-la vers Lionel ; je mets en son pouvoir le bon-» 
^leur de la France : je vais moi«-méme vous suivre. 



ACTE V, SCÈNE Vt iSj 

JEANKIE. 

A Lionel! Donnez-moi la mort ici^ plutôt que 
de me conduire vers Lionel. 

ISABELLE. 

Exécutez mes ordres. Allez ayec elle. 

(ElkMrt.) 

SCÈNE VI. 

JEANNE , SOLDATS. 

JEAIÏNE. 

Anglais , ne me laissez pas sortir vivante de vos 
mains: vengez-vous , tirez vos glaives^ ef plongez- 
les dans mon cœur ; trainez-moi expirée aux pieds 
de vos capitaines. Songez que je suis celle qui ai 
frappé les plus terribles de votre armée ^ que je 
n'eus pour vous aucune pitié , que j'ai versé des tor- 
rens de sang anglais, que j'ai ravi à vos héros vail- 
lans le bonheur du retour dans la patrie. Prenez une 
vengeance sanglante, tuez -moi : vous me tenez 
entre vos mains en ce moment, peut-4tre ne me 
retrou verez-^ous pas toujours faible et désarmée. 

LE COMMANDANT DES SOLDATS. 

Exécutez l'ordre de la reine. 

JEANNE. 

Dois-je donc souffrir plus encore que je n'ai souf- 
fert? Dieu redoutable, ta main est pesante! m'as-tu 
entièrement rejetée de ta miséricorde? Je ne vois 
plus aucun signe divin , aucun ange ne se montre ; 
les miracles ont cessé , le ciel est fermé. 

( Lti mUaU rettmèiMt. > 



>58 LA PUGELLE D'ORLÉANS, 

SCÈNE VII. 

t 

Le camp français. 

DUNOIS, L' ARCHEVÊQUE et DUCHATEL. 

♦ 

^ARCHEVÊQUE. 

Prince , triomphez de votre chagrin ; venez avec 
nous^ retournez vers votre roi : n'abandonnez pas 
en ce moment la cause commune; nous sommes de 
nouveau opprimés par le sort ^ et le bras d'un héros 
nous est nécessaire. 

DUNOIS. 

Pourquoi êtes-vous opprimés par le sort? pour- 
cpioi l'ennemi s'est-il relevé? Tout était accompli, 
la France était victorieuse et la guerre était achevée. 
Vous avez chassé notre libératrice ; maintenant dé- 
livrez-vous vous-mêmes , je ne veux plus revoir ce 
camp où elle n'est plus. 

DUCHATEL. 

Prenez de meilleures pensées , prince j que ce ne 
soit pas votre dernière réponse. 

DUNOIS. 

Taisez-vous , Duchâtel : je vous hais , je ne veux 
rien entendre de vous \ vous êtes le premier qui 
ayez douté d'elle. 

L'ARCHEVÊQUE. 

Qui ne se serait pas mépris sur elle ? qui n'eût pas 
été ébranlé en ce naalheureux jour , où tous les si- 
gnes lui semblaient contraires? Nous fûmes sur- 



ACtE V, SCÈNE Vil. 1Ô9 

pris, troubles; ce coup subit ëpouyanta nos coeurs 
tremblans. Qui aurait pu dans ce moment terrible 
réfléchir et balancer? Maintenant nous revenons à la 
prudence ; nbus regardons, nous songeons quelle elle 
se montra parmi nous , et nous ne voyons rien en elle 
qui pût donner un soupçon ; maintenant nous som- 
mes confondus , nous craignons d'avoir commis une 
cruelle injustice : le roi se livre au repentir , le Bue 
s'excuse , Lahire est inconsolable , et le deuil est dans 
tous les cœurs. 

DUNOIS. 

Elle un imposteur! Ah! si la vérité elle-même 
voulait revêtir une forme visible et corporelle , elle 
ne pourrait se montrer sous d'autres traits que les 
siens. Si Tinnocence , la loyauté, la pureté du cœur, 
habitent par hasai^d sur la terre , c'est dans ses 
yeux^ c'est sur ses lèvres qu'elles ont choisi leur asile. 

^ L'ARCHEVÊQUE. 

Le ciel se déclarera par quelque miracle, il révé- 
lera ce mystère que nos yeux terrestres ne peuvent 
pénétrer. Cependant comment ceci pourra- t-il s'é- 
claircir et se dénouer? D'un ou d'autre côté, nous 
avons été coupables ; nous avons accepté le secours 
d'uii agent infernal, ou nous avons banni une sainte ; 
d'un ou d'autre côté la colère et le châtiment du ciel 
menacent notre contrée. ' 



i6o LA PUGELLE D'ORLÉAKS, 

SCÈNE VIII. 

Les ftéeéàem, UN GENTILHOMME, p«tt aprèé 

RAYMOND. 

LE GENTILHOMME. 

Un je«m bei^er demande à parler à votre altesse) 
il sollicite «cette grâce avec instance; il vient^ dib-il, 
de la part de la Pucelle. 

DUNOIS. 

HâtezrYous , c'est elle qui Teûvoie , il vient de sa 
part. ÇLe gentilhomme fait entrer Hajrmond; Danois 
court aurdei^arit de lui.) Où est-elle ? où est la Pacelle ? 

RAYMOND. 

Je vous salue , noble prince ; je suia beureux de 

trouver près de vous ce pieux évêque, ce saint 

bomme ^ l'asile des opprimés ^ le père des malheu* 

reux. 

nuNois. / 

Ouest la Fncelle? 

yA,ROHSVAQ0S. 

Réponds^notis ^ mon fils. 

RAYMOND. 

Seigneur , elle n'est point une noire magicienne* 
Au nom de Dieu et de tous les saints, je vous l'atteste. 
Tous ont été dans l'erreur. Vous avez banni l'inno- 
cence, vous avez chassé l'envoyée du Seigneur. 

DUNOIS. 

Où est-elle ? parle. 



ACTE V, SCÈNE VIII. 161 

RAYMOND. 

«Tai été le compagnon de sa fuite jusque dans les 
forêts des Ardennes ; c'est là qu'elle m'a révélé le 
fond de son âme : je veux mourir dans les tortures, 
je consens à perdre ma part au salut éternel, si elle 
n'est pas, seigneur, innocente de toute faute. 

DUNOIS. 

Le soleil lui-même n'est pas plus pur dans le ciel. 
Où est-elle? réponds. 

RAYMOND. 

Ahl puisque le ciel a changé votre cœur, hâtez- 
Tous, délivrez-la; elle est prisonnière chez les 
Anglais. 

DUNOiS. 

Prisonnière! comment? 

L'ARCHEVÊQUE, 

L'infortunée! 

RAYMOND. 

Dans la forêt où nous allions chercher un asile, 
elle a été saisie par la reine et livrée aux mains des 
Anglais. vous qu'elle a sauvés, sauvez-la d'une 
mort affreuse. 

DUNOIS. 

Aux armes! allons, que le tambour retentisse. 
Conduisons au combat l'armée toute entière, que 
toute la France prenne les armes, notre honneur y 
^st engagé. C'est la couronne, c'est le palladium de 
la France qu'il faut recouvrer. Versons tout notre 
sang, risquons notre vie; il faut qu'avant la fin du 
jour elle soit délivrée. 

( Ils sortent. ) 
TOM. III. II 



iGa LA PUCELLË D'ORLÈâNS, 

SCÈNE IX. 

Une tour. — On voit uue fenêtre élevée. 

JEANNE, I^IONEL, FALSTOLF; ensuite ISA^ 

BELLE. 

FALSTOLF entrt précipitamment. 

On ne peut contenir plus long-temps le peuple , 
il demande avec fureur que la Pueelle périsse. 
Vous résistez vainement ^ donnez-lui la mort^ et du 
haut des créneaux de la tour £Eiites jeter sa tête aux 
mutins ; son sang seul peut les apaiser. 

ISABELLE antre. 

Us placent des ëchelles, ils montent à l'assaut. 
Apaisez ce peuple : voulez-vous attendre qu'il pénè- 
tre dans la tour y et que y dans sa rage aveugle > il 
nous enveloppe dans sa vengeance et nous massacre ? 
Vous ne pouvez la sauver y abandonnez-la. 

LIONEL. 

Laîssez-les nous as^illir y laissezr-les se livrer à 
leurs fureurs. La tour est solide^ et je m'ensevelirai 
sous ses débris plutôt que de céder à leur volonté. 
Réponds-moiy Jeanne ; sois à moi^ et je te protégerai 
contre l'univers entier. 

ISABELLE. 

Etes-vous donc un homme ? 

LIONEL. 

Tes concitoyens t'ont chassée^ tu es dégagée de 
tout devoir envers ton indigne patrie; les lâches qui 



ACTE V, SCÈNE IX. i63 

t'avaient recherchée t'ont abandonnée , ils n'ont pas 
ose combattre pour ton honneur. Mais moi je te 
défendrai contre mon peuple et le tien. Un jour tu 
me laissas croire que ma vie était chère à ton cœur, 
et alors je combattais en ennemi contre toij mainte- 
nant je suis ton seul ami. 

JEANNE. 

Tu détestes mt>n peuple, tu es mon ennemi ; il ne 
peut rien y avoir de commun entre toi et moi; je ne 
puis t'aimer. Cependant si ton cœur est entraîné 
vers le mien, sois le bienfaiteur de nos deux patries, 
conduis ton armée hors du sein de la France, 
remets les clefs des villes que tu as conquises; resti- 
tue le butin, délivre les prisonniers, donne des 
otages pour une sainte paix; je te l'offre au nom de 
mon roi. 

ISABELLE. 

Voudrais-tu nous dicter des lois, tandis que tu 
portes des fers? 

•JEANNE. 

Fais la paix sur-le-champ, tar il te faudra la faire. 
Jamais la France ne portera les fers de l'Angle- 
terre; jamais! jamais! Elle servira plutôt de tom- 
beau à vos armées. Les plus braves d'entre vous 
sont déjà tombés. Songez à assurer votre retour. 
Votre gloire et votre puissance sont déjà tomjbées. 

ISABELLE. 

Pouvez-vous supporter FarrogaKice d^e cette fu- 
rieuse ? 



i64 LA PUGELLE D'ORLÉANS, 

SCÈNE X. 

Xes précédens , UN CAPITAINE accourt précipi- 
tamment. 

LE CAPITAINE. 

Hâtez-vous, hâtez-vous, seigneur, de venir dis- 
poser l'armée pour le combat. Les Français accou- 
rent avec leurs bannières déployées ; la vallée toute 
. entière brille de l'éclat de leurs armes. 

Jeanne, avec cludeur. 

Les Français arrivent; superbes Anglais, allez, 
courez sur le cbamp de bataillé; volez au combat, 
il en est temps. 

FALSTOLF. 

Insensée, suspends ces transports de joie; tu ne 
verras pas la fin de ce jour. 

JEANNE. 

Je mourrai, mais ma patrie sera victorieuse; les 
braves n'ont plus besoin du secours de mon bras. 

LIONEL. 

Je méprise ces guerriers efféminés. Dans vingt 
combats nous les avons vus fuir épouvantés à notre 
aspect , avant que cette héroïne combattît pour eux ; 
de tout ce peuple, je ne craignais qu'elle seule, et 
ils l'ont abandonnée. Viens, Falstolf, nous allons leur 
faire retri)uver une autre fois les journées de Créci 
et d'Azincourt. Vous , reine , demeurez dans la tour, 
veillez sur la Fucelle , jusqu'à ce que le combat soit 



ACTE V, SCÈNE X. i65 

achevé. JEe vous laisse cinc[ttaiite cnevalîers pour la 

garder.. 

falstolf: 

Eh quoi ! allons-nous courir à la rencontre des 
ennemis , et laisser derrière nous cette furieuse ? 

JEANNE. 

Une femme enchaînée t'effraie ? 

LIONEL. 

Jeanne, donnez-moi votre parole de ne point vous 
échapper. 

JEANNE. 

Mon seul désir est de recouvrer la liberté. 

IfiABELLE. 

Attachez-lot d^ùne triple chAÎi^e. J'engage ma vie 
qu'elle nç fuira pas*. 

( On .charge^ de pesantes chaînes son corps et ses bras. ) 
LIONEL, À Jeanne. 

Tu le veux ainsi? Tu- nous y contrains. Ton sort 
est encore eotre tes mains^ Abjure la France. Porte 
la bannière des.Anglais> tu seras libre , et ces fu- 
rieux qui demandent ton sang marcheront sous tes 
ordres. 

FALSTOLF. 

Allons f. allons y mon général.^ 

JEANNE. 

Épargne de vaiïis discours. Les Ftançaîs t'attar- 
qpenty songe à te défendre. 

( Les trompettes sonnent. Lionel sort promptement. ) 
FALSTOLF. 

Reine ^ vous save^ ce que vous avez à faire. Si le 



iGË LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

sort se déclare contre n9W ; si vous vûiyez fuir nos 

soldats.... 

ISABELLE liraot un poignard. 

Soyez sans inquj[,ët^4e ; elle ne vivra pas pour voir 
notre défaite. 

FALSTOLF, à Jeanne. 

Tu sais ce qui t'attend. Fais maintenant des vœux 
pour le succès de ton peuple. 

SCÈNE XL 
ISABELLE, JEAWNE, SOLDATS. 

JEANNE. 

Oui, je le ferai- ainsi ; qui pourrait m'en empêcher ? 
Écoutons! J'entends les sons de la marche guer- 
rière de nos soldats. Elle retentit dans mon cœur , 
et elle annonce la victoire. Périsse l'Angleterre! 
victoire à la France ! en avant les braves, en avant! 
Jba Pucellp est près de vous; dile ne peut, comme 
autrefois , porter devant vous sa bannière ; d'étrotls 
Ueps la retienrient, mais mon âme s'envolp libre- 
ment hors de ce cachot, entraînée par vos chants de 
victoire. 

ISABELLE, f UBSoldiit. 

Monte au sommet de cette tourelle qui s'élève 
au-dessus de cette plaine^ et t^ no\\^ diras ffuel e$t le 
âEuccès du combat. 

( Le soldat sort. ) 

JEANNE. 

Courage , courage , Français ; c'est ici le dernier 
combat. Encore cette y ietotre> et l'eaBemi est abattu. 



ACTE V, SCÈNE XI. 167 

ISABELLE. 

Hé bien , qu aperçois-4:u ? 

LE SOLDAT. 

Les armées en sont aux mains; je vois un furieux 
qui, monté sur un cheval barbe, couveil: d'une 
peau de tigre , s'élance deyant les hommes d'armes. 

JEANNE. 

C'est le comte de Dunois ! Courage , valeureux che^ 
valier , la victoire t'accompagne. 

LE SOLDAT. 

Le duc de Bourgogne attaque le pont. 

ISABELLE. 

Fuissent mille dards s^pfoncer dans le cœur 
perfide de ce traitre ! 

LE SOIrl^AT* 

Lord Falstolf lui résiste vivement. Us ont mis pied 
à terre, les gens du Duc et les nôtres combattent 
corps à corps. 

ISABELLE. , 

Ne voisTtu pas le Dauphin? N'aperçois^tu aucun 
chevalier orné 4^ signes de la royauté ? 

LE SOLDAT. 

Un nuage de poussière les dérobe tous à ma vue : 
je ne puis rien distinguer. 

JEANNE. 

Ah ! si j'étais comme lui sur le sommet de la tour, 
rien n'échapperait à mes regards. Mes yeux savent 
distinguer le faucon au plus haut des airs , et comp- 



i68 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

ter les troupes des oiseaux sauTages au milieu de 
leur vol rapide. 

LE SOLDAT. 

Quelle terrible mêlée auprès du ruisseau ! Les 
plus vaillans^ les plus illustres ^ semblent combattre 
en ce lieu. 

ISABELLE. 

Aperçois-tu encore notre bannière 7 

LE SOLDAT. 

Elle flotte encore dans les airs. 

Ah ! que ne puis-je apercevoir le combat à travers 
le mur entrouvert ! je guiderais les combattans de 
mes regards. 

LE SOLDAT. 

Malheur à moi ! Ah ! que vois-je ? Notre général 
entouré par les ennemis. 

ISABELLE tire le poignard sur Jeanoa. 

Meurs ^ malheureuse. 

^ LE SOLDAT, avec empressement. 

Il est délivré. Le vaillant FalstoÈf a repoussé les 
ennemis. Il a rompu leurs bataillans les plus serrés. 

ISABELLE remet le poignard. 

Ton ange protecteur a dicté ses paroles. 

LE SOLDAT." 

Victoire! victoire! ils prennent la fuite^r 

ISABELLE. 

Qui prend la fuite? 



ACTE V, SCÈNE XL 169 

LE SOLDAT. 

Les Français 9 les Bourguignons; la plaine est 
couverte de fuyards dispersés. 

JEANNE. 

mon DieU| mon Dieu! m'abandonneras-tu ainsi? 

LE SOLDAT. 

On rapporte vers nous un guerrier cruellement 
blesse. Que de gens s'empressent à le soigner î C'est 
un prince sans doute. 

ISABELLE. 

Est-il des nôtres ? ou bien est-ce un Français? 

LE SOLDAT. 

On vient de lui ôter son casque ; c'est le comte de 
Dunois. 

JEANNE. 

Et je ne suis maintenant qu'une femme enchaînée! 

LE SOLDAT. 

Qu'est-ce ! que vois-je ! Quel est ce chevalier vêtn 
d'un manteau d'azur orné d'or ? 

JEANNE, Tivement. 

C'est mon maître , c'est mon roi. 

LE SOLDAT. 

Son cheval effrayé se renverse , le précipite \ il se 
relève avec peine. ( Jeanne écoute ses paroles avec 
une émotion douloureuse. ) Nos gens s'approchent de 
lui et s'élancent d'une course rapide; ils l'on atteint^ 
ils l'entourent. 

JEANNE. 

L'ange de la France nous a-t-il abandonnés ? 



I^ 



LA.PJCrCELLE D'ORLÉANS, 



ISABELLE, aveçuasoviliredeinëpria. 

' M^întefiaiit le momenl; est ¥enu* Tei^ leur libë- 
ratrice^ donne-leur toa secours. 

JEANNE se précipite à genoux, et prie dTiiiie voix forte et animée. 

O mon Dieu , ^coute^moi ; mon âme s^ëlance vers 
toi, et mes yœux les plus ardens s'élèvent au ciel; 
ioi qpi peux donner h un fil fragile la force des 
cordages d'un navire, c'est un jeu pour ta puissance 
que de changer des liens d'airain en un fil fragile : 
tu n'as qu'à le vouloir, ces chaînes vont tomber, ces 
murailles vont s'ouvrir. Jadis tu vins au secours de 
Samson, lorsque aveugle et prisonnier il endurait 
les railleries amères de s#s orgueilleux ennemis : 
mettant sa confiance en toi , il saisit fortement les 
piliers de sa prison , se courba et renversa l'édifice. 

LE SOLDÂT. 

Triomphe ! triomphe ! 

ISABELliE. 

Qu'est-ce? - 

LE SOLDAT. 

Le roi est pris. 

JEANNE s'élance. 

Que Dieu^me &oit favorable! 

« 
( Elle a saisi ses chaînes avec force de ses deux mains , les a brisées. Au même instant 
* elle s'eat pv^pd^ nfw m •cMfA , Iqi a amclié sop ^ée : elle s^ëlance l|or| de ià pri- 
son. Tous, immobile detonnement, la regardait 6zement. ) 



i 



ÀCTe V, SeÈNE Xfl. lyi 

SCÈNE xir. 

ISABELLE, aprds UQ long silence, v 

Eh quoi ! est-ce un songe ? où a-t-elle fui ? com- 
ment a-t-elle rompu ces lourdes chaînes? Je ne 
pourrais le croire si tout Funivers l'attestait; mais 
cependant je Tai vu de mes yeux. . 

LE SOLDAT, sur la plate-forme. 

Comment ! a-t-reile dopic des ailes ? Un tourhillon 
rapide l'a-t-il transportée ? 

ISABELLE. 

Parle; serait-elle hors de la tour? 

LE SOLDAT. 

£lle combat déjà au milieu de la mêlée; sa cearse 
€at plus rapide que ma vue. Maintenaot ici > à pré- 
^&ol 4ans un auire point , il semble qu eUé soifc parr- 
tout à la fois ; elle fend la |»^s8e , tout disparoH 
devant elle. Les Français s'arrêtent ; leurs batail- 
lons se reforment de nouyeau. Malheur à pQu^! Que 
vois-je! nos soldats jettent leurs armes, m)s ban- 
nières sont renversées ! 

ISABELLE. 

Quoi ! nous arrachera-t-elle une victoire déjà 
assurée ? 

LE SOLDAT. 

Elle pénètre au lieu où est le roi ; elle est parve^ 
nue jusqu'à lui; elle le retire du milieu des combat- 



172 LA PUCELLE D'ORLÉANS, 

tans. Lord Falstolf succombe; notre général est 

saisi par les ennemi». 

ISABELLE. 

Descends y je ne veux pas en entendre dayantage. 

' LE SOLDAT. 

Fuyez , reine , vous pourriez être surprise j les sol- 
dats s'approchent de la tour. 

ISABELLE, tinuit loii é^. 

Combattez ^ lâches ! 

SCÈNE xm. 

Les prëcëdens ; L AHIKE arrive avec des soldats^ f 
les gens de la reine posent les armes% 

L A H I R E s^approche respcctneuaement. 

Reine , il faut céder au sort tout-puissant. Vos 
chevaliers se sont rendus; toute résistance serait 
inutile. Je vous offre mes services ; où voulez-vous 
que je vous accompagne ? 

ISABELLE. 

Il ne m'importe pas, pourvu que mes yeux ne 
rencontrent pas le Dauphin. 

(Ell« lui rend son épëe, et U iiut accompagnëc par des soIdaU. ) 



ACTE V, SCÈNE XIV. 173 

SCÈNE XIV. 

La scène est un champ de bataille. 

Des soldats portent desf étendards flottans^ et occu-* 
pent le fond du théâtre; au-devant^. LE ROI 
et LE DUC DE BOURGOGNE soutiennent , dans 
leurs bras^ JEANNE mortellement blessée^ qui ne 
donne aucun signe de vie; ils avancent lentement 
Tcrs l'avant-scène. AGNÈSarrive précipitamment. 

« 

» 

é 

A. G NEâ se jetant dans les bras du roi* 

Vous êtes libre ; vous vivez, je vous revois. 

LE ROI. 

Je suis libre; voyez à quel prix. 

( Il montre Jeannt.) 
AGNÈâ. 

Jeanne ; Dieu ! elle expire. 

LE DUC. 

Elle n'est plus j Cest un ange qui est remonté au 
ciel. Voyez , comme elle-est là sans marque de dou- 
leur ; trànijuille comme un enfant qui sommeille, la 
paix du ciel brille sur son visage , aucun souffle ne 
s'échappe plus de son sein ; cependant sa main , qui 
n'est point refroidie , semble annoncer la vie. 

LE ROI. 

C'en en est fait , elle ne se réveillera plus ; ses 
yeux ne verront plus la lumière : déjà son esprit 
céleste plane là-haut , et n'aperçoit plus notre dou- 
leur et nos regrets. 



174' LA PUCELLE D'OKLÉAKS, 

AGITES. 

Ses yeux s'ouvrent ; elle vit encore I 

LE DUC, 4umu4. 

Revient-elle à nous de son tombeau? a-t-elle sub- 
jugué ht mort? Elle se relève; elle pe«t se soutenir* 

JEANNE regarde autour d'elle. 

Oi suis-je ? 

LE Duc. 

Au milieu des Français • au milieu de vos amis. 

LE ROL 

Dans les bras de ton roi , de ton ami. 

JEANNE. 

Non, je ne suis pas une ma^cienne; non, je le 
proteste. 

LE ROI. 

Tu es sainte et angétique ; un funeste aveugle- 
ment nous avait trompés. 

J^ A NWE regarde autour d'elle , et sourit avec sënînitrf. 

Oui, je suis réellement au milieu des Français; je 
ne suis plus proscrite , ni accusée. On ne me fuit 
plus , on me regarde avec bonté; maintenant tout 
reparaît distinctement à ma vue. Voici mon roi, 
voici les étendards de la France , mais je ne vois pas 
ma bannière ; où donc est-elle ? Je n'oserais mar- 
cher sails ma bannière; elle me fut confiée par mon 
souverain maître, je doiis la déposer au pied du 
trône; je ne craindrai pas de la lui rapporter, car je 
Tai fidèlement conservée. 



I 



ACTE V, SCÈNE XIV. 175 

LE ROI. 

Qu'on donne sa )>annière. * 

(On la lui apporte ; elle m tient debout , sa l>annière dana la main. Le ciel brille d^une 

lueur éclatante. ) 

JEANNE. 

Ne voyez-vous pas l'arc-en-ciel briller dans les 
nues? le ciel ouvre ses portes dorées. Elle se montre 
brillante au milieu des anges assembles en chœur ^ 
elle porte son divin fils sur son sein y elle me tend les 
bras avec un doux sourire. Que se passe-t-il en moi? 
Des nuages légers me soulèvent; cette cuirasse se 
transforme en ailes célestes : la terre fuit sous mes 
pas. Ah I la douleur est courte et la joie éternelle! 

( Sa bannière écbappe de sa main. Elle retombe évanouie et morte. Tous se tiennent 
autour d'elle dans une émotion muette. Le roi fait signe; on apporte doucement les 
étendards, et on en couvre le corps de Jeanne. ) 



TIN PU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE. 



MARIJE STUART. 



TRAGÉDIE. 



ToM. m. la 



m/ytmvtmvttww9 m vytiv*%tM ^ ^^niv*tvtM%%v*Mttti v %^i*^wv*tvt/*^%n)m%v%%v% i» n%*'*'^\^it) v v%\^i w n>^Mtt%m^^itm^ 



PERSONNAGÇIS. 



ELISABETH , reine d'Angleterre. 

MARIE STUART , reine d'Ecosse, prisonnière en Angleterre. 

ROBERT DUDLEY , comte de Leicester. 

GEORGES T ALBOT , comte de Schrewsbury . 

GUILLAUME CEGIL, baron de Burleigh, grand trésorier. 

LE œMTE DE KENT. 

GUILLAUME DAVISON , secrétaire d'état. 

AMI AS PAULET , chevalier , gardien de Marie. 

MORTIMER , son neveu. 

LE COMtË DE L'AUBESPINE , ambassadeur de France. 

LE COMTE DE BELLIÈYRE , envoyé extraordinaire de 

France. 
OKELLY , ami de Mortimer. 
DRUGEON DRURY , second gardien de Marie. 
MELVIL, surintendant de sa maison. 
ANNA KËNNEDI, sa nourrice. 
MARGUERITE KURL , sa femme de chambre. 
LE SCHÉRIF DU COMTÉ. 
UN OFFICIER DES GARDES DU CORPS. 
SEIGNEURS FRANÇAIS ET ANGLAIS. 
Gardes. 
Serviteurs de la REims d'Angleterre. 

HOVMIS ET FEVXES DU SERVICE DE LA Wii3SK D'ECOSSE. 



\ 



MARIE STUART. 



%»%%»»»%»%%|>»»%%'1%**'«»%^^^'*»*<**'**'*< » '*»'»***'»*<'**^»**'»»*^|<^^' * *<^*<'^'^ ^ 



ACTE PREMIER. 



Le théâtre représente une salle du château de Fotherîngay. 

SCÈNE ï>remière; 

ANNA KENNEDI, nourrice de la reine d'Ecosse, 
est engagée dans un vif débat avec le chevalier 
PAULET, qui veut ouvrir une armoire. DRU- 
GEON DRURY tient un levier de fer. 

KENNEDI. 

VUE faites-vous, sir Paulet? Quelle nouvelle indi- 
gnité ! laissez cette armoire. 

PAULET. 

D^où viennent ces joyaux? On les a jetés de cette 
tour pour tenter la foi du jardinier. -— Maudites 
ruses des femmes I — , Malgré ma vigilance et mes 
soigneuses recherches , encore des richesses , encore 
des trésors cachés. (// enfonce Varmoire. ) D'autres 
doivent encore être renfermés au même lieu. 

KENNEDI. 

Téméraire, retirez-vous; cette armoire renferme 
les secrets de ma maitre$se« 



i8o MARIE STUART, 

PAUtET. 

C'est cela même que je cherche. 

( Il tire des papiers de rarmoire.) 
KENNÈDI. 

Ce sont des papiers insignifians. — Quelques écrits 
sans objets fruits des tristes loisirs de la prison. 

PAULET. 

C'est dans l'oisiTetë que naissent les mauvaises 
pensées. 

KENNEDI. 

Ceux-ci sont écrite en fraççai^* 

PAULET. 

Ils en sont d'autant plus saispect^. — C'est la langue 
des ennemis de l'Angleterre. . . • 

KENNEDI. 

Voilà des projets de lettres pour la reine d'An- 
gleterre. 

PAULET. 

Je les remettrai. — Mais que vois-je briller? {lia 
poussé un ressort secret ^ et il tire dwi tiroir ca^ 
ché un jojrau brillant. ) C'est un bandeau royal , 
orné de pierreries , et formé des fleurs de lis fran- 
çaises. — Mets^le en sûreté, Drury^ et joins-lje aux 
autres. 

KENNEDL 

que d'outrages et de viQ^e^ce$ U qpus fian»t sup- 
porter! 

PAULET. 

Tant qu'elle |)Ossédera quelque chose ^ elle pourra 
nuire , car tout devient une arme entre se» mains. 



/ 



/ 



ACTE I, ^CÈNE I. i8t 

Âh! seigneur^ tièyèz hotn^ ne Itri éttléTeK pAs ce 
dernier ornement de son existence. Son désespoir 
est parfois adouci par la yue de ce signe d'une an- 
cienne royauté. C'est le seul qui ne lui ait pas été 
arraché. 

PAULET. 

Il est en des mains sûres ^ et il tous swa cettsri^ 
nement remis q[uànd il en set'a t^nps. 

» 

Qui croirait y eii ^voyant ces iiiuré dép6iiilléSI| 
qu'une reine y fait son séjour? oit est le dais qui 
s'élevait au-dessus de son trône? Hëlàsl ées piedi 
délicats marchent sur ce pâté de pierre? Sa tâMe 
est servie d'un étain grossier que déd^ignei^àit là 
moindre dame. 

PAULET. 

C'était ainsi qu'à Sterlyn était servi son époux ^ 
tandis qu'elle donnait dans des vases d'or des fes- 
tins à ses amans. 

fcÊNiïEÙ'î. 

On nous refuse jusqu'à un miroir. 

PAULÉT. 

En regardant son image avec vanité, elle coiiôéi*f é 
toujours de l'espoir ^t de l'audace. 

KENNEDI. 

Elle n'a point de livres potiir occuper les loisirs de 
son esprit. 

PAtJLET. 

On lui a laissé lâ ifôblc, qui enseignera là vciftu à 
son cœur. 



i82 MABIE STUART, 

KENNEDI. • 

On lui a enleTë même son luth. 

PAULET. 

11 lui servait à redire des chants d'amour. 

KENNEDI. 

Est-ce là le sort qui attendait celle qui fut reine 
dès le berceau , celle qui fut élevée avec tant de 
délicatesse au milieu de la cour de Médicis , où elle 
croissait parmi tous les plaisirs? N'est-ce pas assez 
de lui ravir sa puissance^ devrait-on lui envier les 
moindres jouissances? Lorsqu'il est en proie à un 
grand malheur ^ un grand cœur sait se retrouver, 
mais il souffre de se voir privé des moindres choses 
qui peuvent embellir la vie. 

PAULET. 

Son cœur se remplissait par-là de vaines pensées. 
Qu elle descende en elle-même et se livre au repen- 
tir ; qu'elle déplore dans le malheur et l'abaissement 
une vie de volupté et de désordre. ^ 

KENNÈDI. 

Si elle se reporte vers les années d'une jeunesse 
fragile^ elle n'en doit compte qu'à Dieu et à son 
cœur; personne n'a le pouvoir de la juger en An- 
gleterre. 

PAULET. 

Elle sera jugée aux lieux où elle a été coupable. 

KENNEDI. 

Elle n'a pu être coupable en Angleterre , elle n'y 
a vécu que chargée de fers. . 



ACTE I, SCÈNE L i8î 

PAULET.. 

Cependant elle sait encore, sous le poids de ses 
fcirSy exercer sou influence dans le monde, allumer 
dans le royaume les brandons de la guerre civile , 
et diriger le poignard des assassins contre notre 
reine , que Dieu puisse protéger. Du milieu de ces 
murailles n'a-t-elle pas su exciter la scélératesse de 
Parry et de Babington à tenter un exécrable régi-, 
cide ? Ces barreaux ont-ils pu l'empêcher de séduira 
le noble qœur de Norfolk? La hache du bourreau a 
fait tomber la tête de, l'homme le plus estimé de 
l'Angleterre j et cet exemple déplorable a-t-il épou- 
yanté les insensés qui se disputaient l'honneur de se 
précipiter dans l'abîme pour elle? Les échafauds ne 
sont-ils pas sans cesse baignés du sang des victimes 
qui se dévouent à elle; et il en sera ainsi jusqu'au 
moment où son sang lui-même y aura coulé. Ah ! 
maudit soit le joui' où le rivage hospitalier de notre 
île a reçu cette nouvelle Hélène* 

KENNEDI. 

Dieu , quelle hospitalité elle a reçue de l'Angle- 
terre! L'infortunée, depuis le jour où elle mit le 
pied sur cette terre , pour y venir comme suppliante 
et fugitive , implorer le secours d'une parente , elle 
s'est vue , contre le droit des gens et la dignité des 
rois , retenir dans une étroite prison. Là elle a con- 
sumé tristement les belles années de sa jeunesse ; 
et maintenant, après avoir éprouvé tout ce que la 
prison a de plus cruel, elle est, comme un criminel 
vulgaire, traduite devant un tribunal pour y être 
outrageusement interrogée et accusée. Une reine ! 



f84 MABIÈ STUA&T, 

PÂtttt. 

£Ue êst Yérîùe dans céttêf coâti^ëe , pàwmtitié par 
sioii peuf>le^ ehassëe dtt trèût et flétrie pàf té Meartre 
et par le crime ; elle âVait conjuré contre le kôiifeéaf 
de l'Angleterre , elle avait Vouhi ramener iêipetsé^ 
ctrtionfi dslnglantes dés Espagnols et deMafrie^ retaBÎif^ 
la religion cafkofiqfne et nous livrer àtne Françàii^. 
J^OTirqnoi ânt-éile refuse de^ inscrire la cdnreÀtfOiï 
d'Edimbourg^ dé renéwcer à ses prétentions? èvlt 
l'Angleterre et de s'ouvrir ainsi d'un seul mot lé» 
portes dé sa prison ? Elle a prëfërë les féï'S et l'îif- 
fortune plutôt que dé renoncer âû vam éèïat dé 
quelques titres j et pourqu'oî a-t-elte eu èettcf obstî- 
naîtion ? C'est qu'elle se coi^fiàit à ses comfplotsr, â séâ 
dëtestàUes artifices, et que par ses trames érimî- 
ïrelles elle espérait du fond de sa prisott conquérir* 
tonte l'Angleterre* 

KEN^EDI. 

Vous raillez , sir Pâulét ; à la dureté Voul^ ^aui 
Famère dérision. Comment aurait-elle pu concevoir 
de tels rêves, celle qui est ensevelie vivante entre 
des murs, à qui aucune parole der consolation, au* 
cune voix amie n'a pu parvenir de sa chère patrie 
ici, qui depuis long-temps n'a aperçu d'autres 
visages humains que celui de ses geôliers au front 
sinistre, qui depuis le moment où notre nouveau 
gardien, votre farouche parent, est entré ici,, se voit 
chaque jour entourée de nouveaux verroux. 

H n'eM point ass«5 de verroùx p6tir se gardfer àèf 
SÇB ruses. Sais^je si pendant nmtt sommeit ce* bar- 



ACTE I, SCÈNE II. i85 

reaux n'ont pas ëtë limés , si ces voûtes y si ces murs 
solides en apparence , iiont pas été creusés pour 
donnef* piassage à la trahison? Âh I quel emploi mau- 
dit m'a été confié ; il me faut veiller sans cesse contre 
des artifices médités sans cesse. La crainte trouble 
mon sommeil^ et me fait «rrer durant la nuît 
comme une âme en peiney pour m'assurer de la force 
àts verroux et de la fidélité desr gardiens. Je Voie 
arriver chaque matin , en tremblant que mes crain- 
tes ne se trouvent réalisées. Cependant^ grâce au ciel, 
j'espère que la fin de ceci approche, car j'aimerais 
mieux Veiller sans, cesse à la porté de l'enfer pour y 
retenir la troupe des cfamnés, que* de ^rder plus 
long«-temps cette reine artificieuse* 

KENlIlEDI. 

Elk f kfnf ici. 

^ lié crucifîï à là main , Forgueil et lé péché dââs 
lie cœur. 

• SCÈNE IL 

MARIE, avec un voile ef un crucifix à la main; les 

préeédeiisr. 

KENNEDI, allfent à m rmeontre; 



& reine, on nous foule aux pieds; la tyrannie et 
kr vigneuF ne connaisseM plus de borûes : châMfué 
jour apporte une nouvelle soufiBrance, ué nxiuvel 
afiR^oM à celte dont )a tête fut coui^onnée. 



i86 MARIE STUART, 

MARIE. 

Calme-toi^ Anna. Eh bieni dis-moi, qu'est-il 
arrivé de nouveau? 

KENNEDI. 

Voyez, l'armoire a été enfoncée. Il a saisi vos pa- 
piers , et ce dernier trésor que notre Courage avait 
sauvé, cet unique reste de votre parure nuptiale 
de France. Vous êtes, maintenant entièrement dé- 
pouillée, il ne vous reste plus rien de la royauté. 

MÂ.RIE. 

Console-toi , Anna , ce ne sont ^point ces vains 
ornemens qui foat de moi une reine : on peut nous 
abattre, mais jamais nous dégrader, fai depuis 
long-temps appris ici à souffrir beaucoup , je puis 
encore endurer cela. Sir Paulet, vous avez arraché, 
par la violence, ce que je vous aurais volontiers 
livré de plein gré. Parmi ces papiers se trouve une 
lettre pour ma sœur la reine d^Angleterre ; donnez- 
moi votre parole que vous la remettrez fidèlement à 
elle-même , et non pas entre les mains du perfide 
Burleigh. 

PAULET. . 

Je penserai à ce que j'ai à faire. 

MARIE. 

Voulez-vous en savoir le contenu , sir Paulet? Je 
demande dans cette lettre une grande faveur ; une 
entrevue avec la reine elle-même, avec elle que 
mes yeux n'ont jamais encore aperçue. On m'a tra- 
duite devant un tribunal d'hommes que je ne puis 
reconnaître pour mes pairs , auxquels je ne puis ac- 
corder aucune confiance. Elisabeth est de ma fa- 



ACTE I, SCÈNE IL 187 

mille , de mpn rang , de mon sexe : c'est à elle seule, 
comme sœur, comme reine ^ comme femme, ^^ j^ 
puis me confier. 

PAULET. 

Madame , vous avez très-souvent confié votre sort 
et votre honneur à des hommes qui étaient bien 
moins dignes de votre estime. 

MARIE. ' 

Je demande encore une seconde faveur, qu'il se- 
rait inhumain de me refuser. Depuis long-temps je 
suis privée dans cette prison des consolations de la 
religion, du bienfait des sacremens; et celle qui 
m'a ravi le trône et la liberté , celle qui menace 
ma vie elle-même ne voudra pas me fermer les 
portes du ciel. 

PAULET. 

Le chapelain du château se rendra à vos souhaits. 

M A R I ET, rinterrompant vivement. 

Je ne veuxv rien de ce chapelain ; c'est un prêtre 
de ma religion que je demande : je voudrais aussi 
qu'un écrivain, qu'un notaire vînt recevoir mes 
dernières volontés. Les chagrins, les rigueurs de la 
captivité clévorent ma vie; mes jours sont comptés; 
et dans mes craintes il me semble que je touche à 
la mort. 

PAULET. 

Vous faites bien de vous attacher à des pensées 
qui conviennent à votre situation. 

MARIE. 

Sais-je si une main rapide ne viendra pas hâteF 
l'effet prolongé du malheur? Je veux faire mon 



y 



) 



tSà MARIÉ STUARt, 

testàihéiit; je veux dis|^bsèi^> siiitâAf iftà toltoté, 

de ce qiiî m'appartient. 

PAULET. 

Vous en avez la liberté ; la reine d'Angletwre ne 
veut pas s'enrichir de vos dépouilles. 

KAl^IB. 

On m'a séparé de mes femmes et de tous mes au* 
très serviteurs. Où sont-ils? quel est leur sort ? Je puis 
facilement me passer de leurs services; mais je ne 
serai pas tranquille tant que je pourrai craindre que 
tnes fidèles serviteurs soient dépouillés et souffrans. 

PAULET. 

Oti a pris soin dé ^ôâ sérviféufs. 

(IlTeatMrtir. X 
MARIE. 

Vous VOUS i^etirez, sir Paulet ; vcfus me laissez en- 
core une fois sans soulager , du'tourment de l'incer- 
titude ^ mon cœur plein d'angoise et d'épouvante, 
je suis, grâce à votre surveillance active, sépaj*ée 
du mondé entier; aucune nouvelle ne petft péûétrët 
jusqu'à riioî à travers ïés murs de ma prison : mon sort 
est entre leâ mains deiiiés ennemis. Un mois long 6t 
pénible s^est déjà écoulé depuis qùé quarante commis- 
saires sont Vénus mê surprendre dans ce château, jr 
ont érigé sur-le-champ , avec une précipitation in- 
décente un tribunal où j'ai été amenée sans prépa- 
ration , sans le secours d'aucun avocat, contre toute 
espèce de justice régulière. J'y ai été soudainement 
interrogée sur d'horribles et artificieuses accusa- 
tionë, au ihailiëti dé ma surprisé et dé mon trouble , 
0am avoir le temps dé recueillir liicçs ^dtivénirà. Hs 



ACTE 1, SCÈNE H. 189 

arriv^'ent ici comme de terribles iTan tomes , et dis- 
parurent de même : depuis ce jour chaque bouphe 
est muette pour moi. Je cherche en yain à lire dans 
les regards^ si mon innocence , si le zèle de ï^es 
amis a prévalu^ pu bien les perfides copseils de 
pies ennemis. Rompez enfin ce silence ^ ^t laissez- 
moi savoir ce que je puis espe'rer, ce que je dois 
craindre. 

P AULET, après un instant de silence. 

Songez à régler yotre compte avec le ciel. 

MARIE. 

Jç me confie à sa miséricorde , sir Paulet ; et j'es- 
père aussi en la bonté de ma cause > mêm$ auprès 
de mes juges terrestres. 

PAULET. 

Justice vous sera faite ^ n'en doutez pas. 

V 

MARIE. 

Mon procès serait-41 achevé? 

PAULET. 

Je l'ignore. 

MARIE. 

Suis-je condamnée? 

PAULET* 

Je ne sais rien, mada^ixe. 

MARii:. 

On aime à agir rapidement ioi. Sorairrje Uvr^ 

aux bourreaux aussi soudainetaent qw je l'fti' été 

^ux juges? 

p^PLpjr. 

Pensez toujours qu'il en est ainsi ; ils vous ^^r^ 



tçp MARIE STUART, 

prendront dans une meilleure disposition, k sup- 
poser qu'il en soit ainsi. 

MARIE. 

Rien n^e peut m'ëtonner, sir Paulet; je sais quelle 
sentence le tribunal de Westminster, entraîné par la 
haine de Burleigh et les intrigues de Haltton , peut 
oser porter : je sais aussi ce que la reine d'Angle- 
terre est capable de faire. 

PADLET./ 

Les rois d'Angleterre n'ont égard qu'à leur con- 
science et au parlement : ce que la justice a pro- 
noncé, la puissance l'exécutera sans crainte à la face 
de tout l'univers. 

SCÈNE III. 

Les précédens; MORTIMER, neveu du chevalier 
Paulet , et sans faire paraître la moindre atten- 
tion pour la reine , s'adresse à Paulet. 

MORTIMER. 

On vous demande , mon oncle. 

(Il séioiçBiB de la même manière. La reine semble remarquer avec peina ce manque 

dVgard, et «'adresse i Paulet , qui suit Mortimer. ) 

MARIE. 

Encore une grâce , sir Paulet. Quand vous aurez 
quelque chose à me signifier , de vous je puis sup- 
porter beaucoup : j'honore votre âge, mais je ne 
saurais souffrir l'insolence de ce jeune homme ; 
épargnez-moi le déplaisir de voir ses manières bru- 
tales. 



ACTE I, SCÈNE IV. 19, 

PAULET. 

Ce qui le rend de'sagréable à vos yeux le fait es- 
timer de moi : il n'est pas du nombre de ces faibles 
insense's qui se laissent séduire par les feintes larmes 
des femmes. Il arrive de Paris et de Rheims, mais 
il a su conserver un cœur digne de la vieille Angle- 
terre. Tout votre art échouera près de lui, madame. 

(Il «'en va.) 

SCÈNE IV. 

MARIE , KENNEDI. 

KENNEDI. 

Homme brutal ; oser vous parler ainsi en face ! 
Âh ! cela est cruel. 

MARIE. 

Nous avons , dans les jours de notre gloire , prêté 
une oreille complaisante à la flatterie ; il est juste, 
chère Anna , que nous supportions les austères pa- 
illes du blâme. 

KEIÏNEDI. 

Eh quoi , madame , si humble , si prosternée ! 
Vous étiez auparavant si rassurée ; vous aviez cou- 
tume de me consoler, et j'avais à vous reprocher 
plutôt votre insouciance que votre abattement. 

MARIE, perdue dans set peniéei. 

Je l'ai bien reconnue. C'est l'ombre sanglante de 
Darnley, qui s'élève menaçante hors de son tom- 
beau pour ne me laisser aucun repos, jusqu'au 
moment où la mesure de mes maux sera comblée. 



igat MARIE ÇTUART, 

KENNEDI. 

Tu Vw (mbHàé, AiiA«; mm moi j'ea garde ^ui 
«QUirexiir fidèle. C'^t eiy ourd'bui que rerient encore 
Ji'i^DiYer»9ire de ce maUieureux jour ; de ce jour 
que je Mleunice par le jeune et le repentir. 

KENIÏEDI. 

Laissez enfin en paix e^ m^yes funestes. You^ 
avez expié cette action par un repentir de plusieurs 
années, par les fudes epreuyjeis de l'adversité. L'é- 
glise , qui a le pouvoir de délier toutes les fautes , le 
ciel , n'ont-ils point pfirdouué ? 

La faute peut être pardonnée, mais le tombeau 
entr'ouvert laisse encojre éo^apper un souvenir tout 
sanglant. L'ombre d'ijui époux qui démode ven-* 
g^eance ne saurait être réduite au silence, ni par la 

qélébratiou 4e$ saçr^meu^i pi ffiiV h pwm^xiç^ d^ 
prêtres. 

peis«NEni. 

91 ai$ sa mort n'est pas votre ouvrage* D'autres en 
furent coupable^. 

Je ne l'ignorais pas. Je laissai le crime se consom- 
mer ; je l'attirai par des paroles flatteuses dans les 
pièges de la mort. 

Vot^e jeunesse excusait yptre ffiul». Y^m éim 
dans un â^ sii tenadrel 



ACTE I, SCÈNE IV. igS 

MARIE. 

is un âge- si tendre!... et je chargeai d'un tel 
crime une- vie i|iii commençait à pdine I 

: ■ • 

KENNEni, 

• • • _ 

. Vqu^ e'tiea proyoqj^ée par Içs affronts ss^^glaqs et 
Fari^Q^neei d'v^n liQfmne que votre amour avait, 
^çimpie pi^ ^ne main'diyine^ tiré ^e l'obscurité, 
que vous aviez placé dans votre lit et sur votre 
trône, à qui vous aviez fait don de vos charmes 
et de la couroni^e de vos ancêtre^.. Avait-il pu 
oublier que l'éclat de son sort devait son origine à 
la généix)sité de vot!re amour ? Cependant il en avait 
indignement perdu le souvenir; il vous outragea 
par de vils soupçons; s^ façons grossières bles- 
sèrent votre délicatesse, et il. devint insu|3portable 
à vos yeux ; le charme qui avait fasciné vos regards 
s'évanouit. Vous vous éloignâtes irritée de ses hon- 
teux embrassemens, et vous le livrâtes au mé- 
pris. Et lui, que fit- il? Chercha-t-il à rappeler 
votre bienveillance? depiànda-t-il sa grâce? se ^ 
]etart-il repentant à vos pieds, et promit-il de se 
conduire mieux ? Non , le n^isérablé vous outragea 
davantage j lui qui était votre créature se prétendit 
votre souverain. Sous vos yeux il fit percer votre 
favori Riccio , cet aimable chanteur. Vous avez 
vengé par le sang un crime sanglant. 

Et je serai' ausàî punie par une vengeance san- 
glante. Tu prononces mon' arrêt, quand tu voudrais 
me consolé]^. 

ToM. IIL i3 



h94 MARIE STU ART, 

KENNEDI. 

Lorsque le crime se commit^ vous n'étiez piiis à 
vous-même j vous ne. régniez flus sur votre àmëi Le 
délire d'un amour aveugle vous possédait et vous 
avait assujettie à cet affreux séducteur , à ce malheu- 
reux Bothwel ; vous étiez gouvernée avec terreur 
par son arrogante volonté. Il avait égaré votre es- 
prit par des filtres enchantés^ par des artifices de 
l'enfer. 

MARfE. 

Il n'y eut d autre sortilège que sa forte volonté et 

ma faiblesse. 

■* . , , ... 

' KÉNNEDL. 

' ■ ] 

Non, VOUS dis-je, il avait appelé le secours des 
esprits infernaux pour potlvbir enchaîner votre âme 
pure. Vous n'aviez plus d'oreille pour entendre la 
sage voix de l'àmitié;' vos yeux ne savaient plus dis- 
tinguer le bien du mal ; vous avi^z abjuré la réserve 
et la délicatesse; votre visage, autrefois le siège 
d'une rougeur modeste et pudique , brûlait du feu 
des passions déchaînées. Vous aviez rejeté le voile 
du mystère ; lès vices effrontés d'un homme avaient 
triomphé de votre timidité, et d'un front hardi vous 
donniez vos fautes en spectacle. Vous permettiez que 
l'èpée royale de l'Ecosse fût portée devant vous par 
un meurtrier à travers Edimbourg , au milieu des 
malédictions du peuple ; votre parlement fut investi 
par les armes, et dans le temple même de la justice ; 
vous forçâtes les juges à absoudre , par une vaine 
apparence de jugement^;CeluJi qui était coupable du 
mme. Vous allâtes plus loin encore* Difu j . 



ACTE I,. SCÈNE IV. 



195 



MARIE. 

Achèye. Je lui donnai ma main devant l'autel. 

KENIHEDI. 

Ah ! laisisons ce souvenir cache dans un éternel 
silence. Cela est horrible, odieux , digne en tout 
d'une créature réprouvée, ^t cependant vous ne 
fûtes jamais pervertie. Je vous connais bien ; n'est- 
ce pas moi qui ai élevé votre enfance. Vous, avez 
eu en partage un faible cœur, mais qui ne fut 
point fermé à la pudeur. Une âm^ [légère futivôtre 
seul défaut. Je vous le répète , c'est le mauvais es- 
.pritqui, trouvant accès dans l'âme de Thomtoe, s'y 
établit pour un instant, nous fait' instînihient du 
crime, puis, en fuyant aux enfers, nous laisse 
remplis d'horreur et de souillure. Depuis ce nioment 
qui a flétri votre vie^ avez-vous rien fait qui soit 
digne de blâme? Je suis témoin de votre retour à la 
:v6rtu; Ai«isi, prenez courage > soyez en paix, avec 
vous-même. Quelques remords que vous ayez, vous 
n'êtes point coupable envers l'Angleterre : Elisabeth* 
et son parlement ne sont pas vos jug^ ; vous êtes 
opprimée par. la violence. Oçîez paraître devant ce 
tribunal illégal avec tout le courage de l'innocence. 



Qui vient ? 



MARIE. 



( Mortimer M moDtre à k porte. ) 
KENNEDI. 

C'est le neveu du gouverneur. Rentrez» 






[' 



' i 



3 » 



196 MARIE STUAJRT, 

SCÈNE V. 

I^es précédens ] MORTIMER s'avaiDçaiit atec pré- 
caution. 

WORt^MEK, ^ la nourrice. 

Éloîgnez-vous et veillez à cette porte, j'ai à parler 
à la reine. 

MARIE, avec autorité. 

^iia> demeureif. 

MORTIMER. 

» 

N'ayez aucune crainte, madame, tqu3 allei^ 
apprendre à me connaître. 

( n lui présente un papier. ) 
. H ARIS regarde le papier, et recule étonnée. 

Ciel , q[u est-ce donc ? 

MORTIMER, à la nourrice. 

Allez, Kennedy, et prenes garde que mon cncle 
Me nous surpren ne . 

MAR l E, & k namrriee ^ni liéiite «t kterrog» les r^r^ en k t^e. 

Va, va, fai^ ce qu'il te dit. 

( Adbé l'éloigtie en laissant TOtr un gi^Ad étOBDcment. ) 

SCÈNE VI. 
MORTtMER, MARIE. 

MARIE. 

Une lettre de France , de mon oncle le cardinal 
de Lorraine! {Elle lit.) « Fiez-vous à sir Mortimer, 
» qui vous remettra cette lettre ; vous n'atez pas 



ACTE I, SCÈNE VI. 197 

» un plus fidèle ami en Angleterre. » (Elle regarde 
Moriimer a^ec étormement.) Est-il possible? n'est-ce 
pM une illusion, un songe qui m'abuse? Je me 
croyais abandonnée du monde entier , et si près de 
m«i je trouve un ami; je le trouve dans le neveu de 
m»n gardien 1 dans celui que jie regardais comme le 
plus cruel de ftie^ ennemis. 

' MOATIMER s« jette & m6 pisa». 

Pardon , reine , d'avoir emprunte ce masque 
odieux I pour m'y résoudre, il en a coûté plus d'un 
combat à mon cœur; cependant je dois lui rendre 
grâce, puisque j'ai pu approcher de vous, pour vous 
alerter secours et liberté. 

MARIE. 

Levez-vous, vous me remplissez de surprise, 
sir Mortimer. Je ne puis si rapidement passer 
de l'abîme du malheur à l'espérance. Parlez ? 
Faites-moi concevoir ce bonheur, rendez-le moi 
croyable. 

MOîlTmER se lève. 

Le temps presse, mon oncle sera bientôt ici, un 
homme détesté l'y accompagnera. Avant qu'ils rem- 
plissent leur terrible commission, écoutez comment 
le ciel a préparé votre délivrance. 

MARIE. 

% 

Je la devrai à un miracle de sa toute-puissance. 

MORTIMER. 

Permettez que je commence par vous parler de 
moi. 

MARIE. 

Dites , sir Mortimer. 



98 MARIE STUART, 



MORTIMER. 



Je comptais déjà vingt ans , madame , j'avais été 
éler-é dans des principes austères ; j'avais sucé avec ' 
le lait une sombre haine du papisme ^ lorsqu'un 
invincible désir de voyager m'attira sur le conti- 
nent; je laissai le sombre prêche des puritains , et,, 
quittant la patrie , je courus avec ardeur visiter la 
France et l'Italie tant vantée. 

■ « * 

C'était alors l'époque d'une grande solennité de 
l'église ; les routes étaient couvertes des troupes de. 
pèlerins; des guirlandes ornaient toutes les saintes 
images. On eût dit que la race humaine, ensui- 
vant cette route, allait parvenir au royaume des 
cieux. Je fus entraîné parmi cette foule de fidèles, 
et j'arrivai dans l'enceinte de Rome. Que devins-je 
alors, ô reine ! quand je vis s'élever devant mes yeux 
la pompe des colonnes et des arcs de triomphe ; mon 
âme étonnée reconnut la puissance de cette ville 
colossale, et une sublime imagination me transpor- 
ta dans un monde miraculeux et éclatant. Je n'avais 
jamais ressenti le pouvoir des arts; l'église où j'avais 
été élevé les déteste; elle interdit tout ce qui se 
montre aux sens , tout ce qui les charme, et révère 
seulement les paroles sans images ; que ressentis-je 
donc lorsque j'entrai dans l'intérieur d'une église, 
que j'entendis cette musique qui semblait descendre 
du ciel, lorsque je vis les murs et les voûtes cou- 
verts avec profusion d'images qui représentaient 
aux regards enchantés la présence du Très-Haut, 
du Tout-Puissant; lorsque je contemplai la Divinité, 
l'ange de l'Annonciation, la naissance de Notre-Sei* 



ACTE: I, SCÈNE VI. i^g 

gneur^ la sainte Mère de Dieu , la divine Trinité et 
6a gloire resplendis^nte ; lorsque je vis le souverain 
pontife célébrer les saints mystères dans toute leur 
pompe et donner au peuple sa bénédiction. Âh! 
qu'est-ce que l'or , qu'est-ce que les joyaux éclatans 
dont se parent les rois de la terre, auprès de Téclat 
divin ,qui l'environne. Son palais est en quelque 
so.rte le royaume des cieux^ car ce qu'on y voit n'est 
pas de ce mpnde. 

MARIE. 

Ah! épargnez-moi! n'en ajoutez pas davantage ,. 
cessez de présenter à mes yeux ces tableaux brillans^ 
et animés. — Je suis malheui^euse et prisonnière. 

• MORTIMER. 

J'étais captif aussi ^ madame, mais je brisai ma pri- 
son , et mon esprit affranchi commença à rendre hom-* 
n^age aux plaisirs de la vie. Je jurai une haine éter- 
nelle à l'étroite et sombre interprétation du livre saint. 
Je parai ma tête de guirlandes de fleurs , et je me mê- 
lai joyeusement à ceux qui cherchaient le plaisir^ Je 
m'associai à quelques nobles Écossais et à la troupe ai- 
mable des Français. Ils me présentèrent à votre noble 
parent, le cardinal de Guise. — Quel homme! com- 
bien il a de grandeur, d'assurance et d'éclat. — - 
Comme il semble né pour gouverner les esprits ! Il 
est le modèle d^un pontife royal, d'un prince de 
l'église,, et je n'en ai vu aucun qui lui ressemblât. 

MARIE. 

Vous avez pu jouir de la présence de cet homme 
sublime, que je chéris, et qui fut le guide de ma 
tendre jeunesse. — Ah ! parlezrmoi de lui. Pen$e^4L 



MO MARIE 8TUART, 

encore à moi? Le bénkeùr accoiiipagiieHl<«-ii toiijours 
sote éclatante destinée? Est-il toapiirb ^nne ded co^ 
lonnes de réglise? 

Il veulttt bien , dans sa bonté , desctendrt des hkti- 
tettrs de la dbctrihe , pbur me cott vâlntre tel ré- 
soudre les doutes de mon coeur; il ttie montra com- 
ment Itefe subtilités de là raison bumaine conduisent 
toujours à l'erreur, comment les yeux doivent voir 
ce que le cœur doit croire , comment l'autorité d'un 
chef est néceœaire à l'église , comment l'esprit de 
vérité a présidé aux conciles. Ah ! combien les opi^ 
nions de mon esprit adolescent s'évanouirent promp- 
temjent devant sa raison victorieuge et son éloquence 
entraînante. Je rentrai dans le sein de l'é^^ise, et 
j'abjurai mes erreurs entre ses^ mains. 

MARIE. 

Ainsi, vous êtes au nombre des milliers d'hommes 
que la force divine de ses paroles, semblable au 
sermon sublime sur la montagne , a persuadés et a 
conduits au bonheur éternel. 

MOATIHER. 

Lorsque son devoir l'eut , bientôt après , rappelé en 
France, il . m'envoya à IVheims, oii la société de 
Jésus, dans sa pieuse activité, instruit des piètres 
pour l'église d'Angleterre. Je trouvai là Morgûh , 
d'une antique race écossaise, Lessley votre fidèle 
sujet, le savant évéque de Ross, qui tous passaient 
les tristes jours de l'exil sur le sol de la France. — 
Je me liûî étroitement avec ces hommes vertaetix> 



ACTE I, SCÈNE VI. 201 

et je m'aiFermis dans la foi. — • Un jour que chez 
TeVêque de Ross , je promenais mes regards autour 
de moi , iis tonfibèrent sur "an portrait de femkne , 
dont les charmes meryeilleux me remplirent d'énvoi' 
tion et s'emparèrent puissamment de mon âme ; je 
ne fus pas maître de mon impression. L'évêque me 
dît alors : ce n'est pas sans raison que cette image 
Tou^ a ému ; la plus belle de toutes les femmes est 
aussi la plus digne de pitié. Elle souffre pour notre 
religion , et ci'est votive patrie qui est témoin de ses 
souffrances. 



Marie. 



Àh ! constante loyauté ! — Non , je n'ai pas tout 
perdu , puisque dans le malheur je conserye le cœur 
d'un tel ami. 



UORTIMER. 



Alors il commença à me peindre , avec une élo-^ 
quence attendrissante , et yotre martyre et la cruauté 
de Tos ennemis ; il me fit Connaître votre race , il 
me montra cotnrtient vous étlet l'héritière de l'il- 
lustre mais<!)n de Tudor/et comment votre nais- 
sance vous appelait à régner sur l'Angleterre, de 
préférence h cette reine , fruit d'un amour adultère, 
que Henri lui-même avait rejetée comme illégi- 
time. Je ne m^n fiai pas à son seul témoignage; je 
côrnsuitai les 4iommes profonds dans la science des 
lois, je feuîUètÉÛ les antiqties généalogies , et tout 
me confirma la justice de vos lîrbits. Je sus aussi 
que c'était là tout votre crime en Angleterre, et que 
dans ce royaume , qui devait v^ufi appartenir, vdus 
étiez injustement retenue prisonnière. 



îio^ MARIE STUART, 



MARIE. 



Âb ! misérable droit à la couronne ! il est l'unique 
source de mes, maux. 

MORTÎMEH. 

J'appris dans le même temps que vous aviez été 
transférée du château de Talbot y sous la garde de mon 
parent^ le chevalier Paulet. Je crus reconnaître, dans 
cette circonstance , le bras libérateur et tout-puisr 
sant de la Providence. Il me sembla que la voix du 
destin me désignait pour vous affranchir. Mes amis 
m'affermirent et m'encouragèrent dans mon des- 
sein; le Cardinal me donna ses conseils et sa béné- 
diction : il me recommanda l'art difficile de la dissi- 
mulation. Mon projet fut bientôt arrêté; je repris la 
route de ma patrie, où, comme vous le savez, je 
suis débarqué depuis, dix jours. (// s^arrête.) Je vous 
vis , ô reine ! vous-même, et non plus votre image ! 
Ah ! quel trésor renferme ce château! Ce n'est pas une, 
prison , c'est un temple plus éclatant de gloire que le 
royal palais de l'Angleterre. bonheui* digne d'en vieî 
je respire le même air que vous respirez. Quelle a 
bien raison , celle qui vous tient ici profondément 
renfermée ; toute la jeunesse d'Angleterre se soulè- 
verait , tous les glaives seraient tirée du fourreau; 
et la révolte , levant une tête gigantesque , trouble- 
rait la, paix de cette ile, si les Anglais pouvaient 
entr.evoir leur reine. v 

MARIE. ' 

Cela est ainsi pour vous ; mais tous les Anglais la 
verraient-ils avec vos yeux? 



ACTE I, SCÈNE VI. 2o3 

MORTIMER. 

Oui y si f comme moi y ils étaient témoins de vos 
souffrances , de cette noble fermeté , de cette dou- 

ê 

ceur courageuse avec laquelle vous supportez votre 
indigne sort ;^ car au milieu de ces douloureuses 
épreuves vous vous montrez toute royale : l'ignomi- 
nie des cachots disparait devant l'éclat de votre 
beauté. Vous manq:uez de tout ce qui peut orner 
l'existence> et votre vie semble entourée d'éclat et de 
gloire^ Jamais je n'ai passé ce triste seuil sans avoir 
le coQur déchiré. par vos souffrances^^ et sans être en 
même temps ravi par le plaisir de vous contempler. 
Cependant le moment redoutable qui doit décider de 
votre sort s'approche ; le danger presse y et s'accroît 
d'heure en heure : je n'ose différer plus long-temps , 
je n'ose vaus cacher encore ce terrible.... 

MARIE. 

Mon afrêt serait-il prononcé ? parlez avec fran- 
chise y je puis vous entendre. 

MORTIMER. 

Il est prononcé: quarante-deux juges vous ont 
déclarée coupable. La chambre des lords y la cham- 
bre des communes et la cité de Londres pressent 
vivement l'exécution du jugement ; cependant la 
Reine tarde encore^ non point par humanité et clé- 
mence y mais par artifice y afin de paraître con- 
trainte. 

MARIE, avec fermeté. 

Sir Mortimer, vous ne me surprenez pas , vous ne 
m'effrayez pas ; j'étais depuis long-temps affermie 
contre une pareille nouveDe. Je connaissais mes 



ao4 MAftIE STUART, 

juges : après l'injustice commise envers moi, je pen- 
sais bien qu'on ne me rendrait point à la liberté i je 
savais où Ton en voulait venir. On veut me tmic 
enfermée dans une prison perpétuelle; l'on veut 
que ma vengeance et mes droits soient pour tou** 
jours ensevelis dans la nuit d'un cachot. * 

Non^ reine ; non , non. Ils ne s'en sont pas tenu^ 
là; la4yrannie n'a pas été satisfaite qu'elle n'ait 
consomme son œuvre. Aussi long-temps. que voui^ 
vivrez vous inspirerez de la crainte à la reine d'Ârn<- 
gleterre. Aucun cachot ne pourrait vous tenir asses 
ensevelie^ votre mort seule peut assurer son trône. 

MAEIE. 

n se pourrait qu'elle osât faire tomber sous lin- 
fâme hache du bourreau une tête couronnée! 

MORTIMER. 

Elle l'osera , n'en doutez ^as. 

MARIE. 

EUç pourrait ainsi fouler aux pieds la majesté de 
tOFûs les rois? Ne redoute-t-elle pas la vengeance de 
la France ? 

MORTIMER. 

Elle enchaîne la France par une éternelle paix , 
en donnant son trône et sa main au duc d'Anjou. 

MARIE. 

Et le roi d'Espagne ne prendra-t-il pas les armes ? 

MORTIMER. 

Tant qu'elle sera en paix avec son propre peuple ^ 
elle ne craindrait pas les arnies de l'univers entier. 



1 

I 



ACTE I, SCÈNE VI. 2o5 

MAltIK. 

Voudrait-elle offrir un tel spectacle aux yeux des 
Anglais? 

Cette contrée, madànié, a Vu plus d*une fois^ 
dans ces derniers temps ,' des reio es descendre du 
trône sur tin sangïant ëc^àfaud. L^ propre raère 
d'Elisabeth éprouva ce destin. Catherine Howard et 
ïady Gray avaient aussi porté la couronne. 

Non f Mortim^r , ; aoj9 w!tine /emittte vous aVeugle. 
J^es inquiétudes de votjre âme fidèle : yoii&ioQt in^ 
spîrë cette fausse terreur. Cie West pas l'^ckafaud qxtB 
je er«ins , seigneur. U est un autre '. moyen , moins 
dangereux > qm la cruelle Eltsabeth pourrait em*- 
ployer pour a'affiranchir de la criinte de mon res- 
sentiment. Ce n'est pas un ihouri-eau qui attenterait 
à ma vie, ce serait plutôt un assassin. C'est cela 
que je redoute, sir Mprtinaer, et jamais je ne porte 
une coupe sur le bord de mes. lèvres , saijis être saisie 
d'effroi ; songeant que cette boisson peut être le ^g^ 
des sentimens fraternels d'Elisabeth. 

On ne pourra, ni ouvertement, lil en secret, 
attenter à votre vie: Soyez sans crainte, tout est 
>déjà préparé. Douze jeunes Anglais sont liés avec 
moî par un en^pt^ment; ils ont ce matin l'eçu la 
«ainte oommunÂan f promettâiit de vous^irracher de 
ce château avec courage. Le'Comte jde rAubespine^ 
ravbaeaa^nui «le Fnmce^ coomati iMtrQ desseîii; 



\ 



2o6 MAJIIE STUART, 

lui-même nous aide de sa main. C'est dans son pa-* 

lais que nous devoùs nous réunir. 

MARIE. 

Vous me faites trembler, sir Mortimer. — Mais 
ce n'est pas ^e joie.^ Un pressentiment funeste a. tra- 
versé mon cœur. Qu'allez- vous entreprendre?, Y 
avez-vous réfléchi? Les têtes sanglantes de Bahing- 
ton et de Tichbiiru , exposées sur le pont de Londres 
comme un averti^sement sinistre ; la perte de tant 
de malheureux qui ont trouvé la mort dans des en- 
treprises semblables , et qui n'ont fait qu'aggraver 
mes chaines^ ne vous effraient ^ elles pas? Infor- 
tuné, téméraire jeune homme! fuyez, fuyez, ''^il 
en est encore iemp&v si le soupçonneux Burleîgh' n'a 
pas déjà connaissance de vos projets ^ s'il n'a pas déjà 
mêlé un ; traître parmi vous* Fuyez prompteméht 
de ce royaume; Tous ceux qui ont voulu secourir 
Marie Stuart ont été: malheureux. 

MORTIMER. 

Les têtes sanglantes de Babington et de Tîchburn 
exposées sur le pont de Londreis comme i;in avertis- 
sement sinistre , la perte de tant de malheureux 
qui ont trouvé la mort dans des entreprises sem- 
blable3 , ne m'ont point effrayé. N'ont-ils pas acquis 
une gloire immortelle, et n'est-ce pas un. bonheur 
que de mourir pour vous délivrer ? , 

. MA.RIE. , 

C'est en vain. : Ni la force, ni l'adresse ne peu- 
vent me rendre la. liberté. Mes' ennemis sont vi- 
gilans, et la puissance est entredeurs mains. Ce n'est 
pas le seulFaulet, ce n'est pas. une trdi:q>e. degeo- 



ACTE I, SCÈNE VL 207 

liers , c'est FAngleterre toute entière qui garde les 
portes de ma prison. La seule Elisabeth peut^ deispn 
plein gré ^ les ouvHr. 

MORTIMBR. 

Ah ! ne l'espérez jamais. 

MARIE. 

Il est un seul homme qui pourrait me délivrer. 

MORTIMER. 

Oh ! nommez-moi cet homme. 

MARIB. 

Le comité Leicester. 

MORTIMER recale de surprise. 

Leicester ! Le comte Leiceéter ! Le plus cruel de 
vos persécuteurs, lé fisivori d'Elisabeth! C'est de lui. . . 

MARIE. 

Si je dois être délivrée, ce ne pourra être que par 

lui Allez le trouver. Ouvrez-vous à lui fran- 

chement , et pour gage que c'est moi qui ' vous ai 
envoyé, remettez-lui cet écrit. Il renferme mon 
portrait. (Elle tire unpapietdêsonseinyMoYtfmer 
se recule et hésite à le premdre). Prenez , depuis long- 
temps je lepoi^esur moi L'étroite surveillance 

de Paulet ne me laissait aucun moyen de commu* 
niquer avec lui. Mon bon ange vous a envoyé ici. 

MORTIMER. 

• reine! Quelle énigme. Éclaircfssez-moi. 

MARIE. 

Le (jomte Leicester vous expliquera tout/ confiez-^ 
vous à lui, il se confiera à vous. Qui vient ici?. . 



^' 



,(o8 MARIE S TU ART, 

KENNEDX entrant pr^cipitammeirt. 

Sir Paulet s'approche avec un de vos jv^g^s. 

Cest lord Burleigh. Rassurez-VQUS madapie, et 
entendez avec fermeté ce qu'il vient vous annoncer. 

« « 

(H sort par une porte de côte , Keiuiedi le suit. ) 

SCENE VIL 

MARIE, LORD BURLEIGH, grand trésorier d'An- 
gleterre, le chevalier PAULET. 

PAULET. 

Vqu^ souhaitez de connaître votre sort , sa sei- 
gneurie milord, Burleigh vient vous en instruire; 
supportez-le avec résignation. 

MARIE. 

Oui, avec la dignité qui sied à Finnocence. 

BURT4EIGH. 
- J[© vîen^ ici comité député du tribunal. 

' Lord Bui4eigh aura consenti volontiers à être For- 
gàhe' d'un tribunal qu'il avait déjà animé de son 
esprit. 

PAULET. 

Vous parlez oonouDoie si déjà voms connaissiez la 
sentence. 

MARIE. 

C'est lord Bmrleigh qui l'apporte , je piiis la pré- 
voir. ... Au fait , milora. 



ACTE I, SCÈNE VII. 209 

BURLEIGH. 

Vous Tous^tes soumise I madame , au tribunal des 
quarante-deux . 

MARIE. 

Pardon , milord , si dès le commencement de votre 
discours^ je suis forcée de vous interrompre ; je me 
suis soumise, dites-vous, à la sentence des qua- 
rante^eùx? je ne m'y suis aucunement soumise. 
Comment Faurais-jexpu faire? Pouvais-je oublier à 
ce point mon rang, l'honneur de mon peuple, de 
mon fils , de tous les princes ? Les lois anglaises or- 
donnent que tout accusé sera jugé par un jury, comr 
posé de ses pairs. Qu^ls sont mes pairs dans votre 
eomité ? Les rois seuls sont mes pairs. 

BURLEIGH. 

L'acte d'accusation yous a été lu devant le tribu- 
nal; vous avez répondu à l'interrogatoire. 

MARIE 

Oui , je suis tombée dans le piège artificieux que 
me tendait Hatton ; dans la seule vne de venger 
mon honneur, me confiant à la force victorieuse de 
mes raisons, j'ai prêté l'oreille à chaque chef d'jac- 
eusation , et j'ai : fait voir leur peu de fondement. 
C'était une marque de considération pour la per^ 
sanne des nobles lords , et non pas une reeoimata- 
sancedeleur jxiridictkm , que je récuse. 

BtïRLErGH. 

Que vous la reconnaissiez ou non , madame , c'est 
une vaine formalité , et qui ne peut point arrêter le 
cours de la justice. Vous respirez l'air de l'Angle- 

TOM. III. i4 



210 MARIE STUART, 

terre , vous jouissez du bienfait de ses lois , vous 
vivez sous leur protection, , ainsi , vous devez être 
soumise à leur empire. 

MARIE^ 

Je respire Fair dans une prison anglaise. Ap-* 
pelez-vous cela vivre en Angleterre , et jouir du 
bienfait de ses lois? Je les connais à peine, jamais 
de mon plein grë je ne m'y suis soumise. Je ne suis, 
pas une citoyenne de ce royaume , je suis une libre 
reine d'une contrée étrangère. 

BURLEI6H. 

Et, pensez-vous que le nom royal puisse donner 
le privilège de semer impunément la discorde dans 
un royaume étranger? Et que deviendrait la sûreté 
des états, si le juste glaive de Thémis ne pouvait pas 
atteindre la tête coupable d'un hôte royal, aussi-bien 
que celle du dernier citoyen ! 

MARIE. 

Je ne prétends pas être au-dessus de la justice ; 
c'est seulement les juges que je récuse. 

BURLEIGH. , 

Les juges ! Comment , madame ! Sont-ils donc de& 
misérables tirés de la populace , ou d'infâmes faus^ 
saires dont la foi et la conscience soient vénales , 
qui soient • capables de prêter volontairement leur 
ministère à l'oppression ? Ne sont-ce pas les premiers 
du royaume , des hommes qui ont assez d'indépen- 
dance pour oser être justes, qui sont au-dessus de 
l'influence du pouvoir et de la vile corruption? 
Ne sont-ce pas les mêmes qui gouvernent un noble 



ACTE I, SCÈNE Vil. an 

peuplé avec Hbertë et justice, et ne suffit-il pas de 
les nommer pour rendre aussitôt muets le soupçdïi 
ou le doute? A leur tête, on distingue le pieux 
archevêque de Cantorbery , ce respectable pasteur;- 
le sage Talbot , à qui les sceaux de l'étatisont con-^^ 
ûés; et Howard ^ qui a commandé les flottes du 
royaume. Dites , pensez-vous que la reine d'Angle^ 
terre pût faire plus, que de choisir, pour les juges 
de ce royal procès , les plus nobles hommes de la 
monarchie? Si l'on pouvait croire qu'un seul d'entre 
eux a été entraîné par l'esprit de parti, quarante 
juges ainsi choisis pourraîent-ils être tous déter- 
minés à la fois par un motif de passion ? 

Marie , après un momoot dû &U«a«e. 

Certes , j'admire l'éloquence de cette bouche qui 
me fut toujours funeste. Comment une femme dé'" 
pom*vue de science pourrait-elle se mesurer avec 
un aussi habile orateur? Oui , si ces lords étaient 
tels que vous les dépeignez , je devrais garder le si* 
lence; et ma cause serait perdue sans recours, du 
moment qu'ils m'auraient déclarée coupable. Cepen-* 
dant, ceux que vous avez nommés avec tant de 
louanges > ceux dont le jugement doit me confondre, 
on les a vus , milord, tenir une toute autre conduite 
dans les révolutions de ce royaume. Je vois cette 
noblesse altière de l'Angleterre , ce majestueux sénat 
de l'empire se prêter, comme les ésclav4ss du sérail , 
aux fantaisies despotiques de Henri YIII, mon grand- 
oncle. Je vois cette noble chambre des pairs riva" 
lisant de vénalité avec la chambre des communes, 
sanctionner, puis abroger des lois , rompre et nouer 



^Itmm 



3ia MARIE STUART, 

les liens du mariage suivant que Vexi^e le pouvoir ; 
aujourd'hui dé$hérîter une fille du roi d'Angt^esre^ 
et flétrir sa naissance comme illégitime ; le leade« 
main^ la couronner comme reine. Je vois ces dignes 
sénateurs ^ avec une conviction coodplaisaiite e|f 
prompte y changer, sous quatre rois, quatre fo^ de 
croyance. • 

BURLEIGH. 

Vous vous disiez étrangère a nos lois, poui*taht 
les malheurs de l'Angleterre vous sont familiers. 

MARIE. 

Et ce sont là mes juges! Lord trésorier, je ne veux 
point être injuste envers vous, ne le soyez point 
envers moi ; on dit que vos intentions sont bonnes , 
que vous êtes , pour le service de ce royaume et de 
votre reine , incorruptible , dévoué, infatigable : je 
veux le croire , que ce n'est pas votre intérêt privé 
qui vous igouverne , mais l'intérêt du souverain et 
de la patrie. Cependant ce sentiment même ne peut- 
il pas , milord , vous faire craindre d'être insj^é 
plutàt par l'intérêt de l'état , que par la justice ? je 
ne doute pas que, parmi mes juges , de nobles sei«- ' 
gneufs ne soient assis près de vous. Cependant ils 
fiont iHTOtestans, ils sont pleins de zèle pour la 
prospérité de l'Angleterre, et c'est sur la reine 
d'ÉcoSse, sur une princesse catholique qu'ils ont à 
prononcer. Un Anglais ne peut être juste envers 
un Ecossais , ainsi le dit un antique adage. Aussi , 
d'après une coutume observée depuis des siècles par 
nos aïeux, un Anglais ne peut, devant un tribunal, 
témoigner contre un Écossais , ni un ÊGOSsais contre 



ACTE I, SCÈNE VII. ai3 

un Anglais ; c'est de la force des choses que naquit 
cette loi bizarre. Une profonde raison se retrouve 
toujours dans les antiques usages; on doit les res- 
pecter , milord. La nature jeta ces deux nations 
altières au milieu de l'Océan sur un même sol 
qu'elle divisa inégalement entre elles , et les appela 
à se le disputer sans oesse ; le lit étroit dé la Twède 
sépare seulement ces peuples irritables , et le sang 
des combattans s'est souvent mêlé à ses flots ; depuis 
mille ans> placés sur chaque rive , ils se regardent 
en se menaçant^ la main sur leur épée; aucun 
ennemi n'a combattu l'Angleterre sans avoir l'Ecosse 
pour auxiliaire ; aucune guerre civile n'a consumé 
les villes d'Ecosse, sans que les Anglais ne soient 
venus exciter l'incendie , et cette haine ne pourra 
s'éteindre que lorsqù'enfin un seul parlement ras- 
semblera comme frères les deux peuples, lorsque 
File sera soumise à un seul sceptre. 

BURLBIGH. 

Et c'était une Stuart qui devait assurer ce bon- 
heur à l'empire ? 

* MARIE. 

Pourquoi le nierais-je? Oui, je l'avoue, j'ai nourri 
l'espoir de irétiiiir librement et heureusement deux 
nobles nations sous l'ombrage de l'olivier j je ne me 
croyais pas destinée à devenir la victime de cette 
haine nationale; j'espérais étouffer pour toujours 
cette antique rivalité , cette discorde ardente et 
déplorable ; et de même qu'après des guerres san- 
glantes , mon aïeul Richemond avait réuni les deux 
roses, je souhaitais de joindre paisiblement les cou- 
ronnes d'Ecosse et d'Angleterre. 



MMHnHM^IH^^^riilMÉdBAitaia 



^i' t .ajiJLun^vqRHSiEa^PQr^iVSwii . uljpl j^-_.... . j 



aï4 MAME STUART, 

BURLEIGH. 

Vous avez poursuivi ce but par une voie coupable, 
en embrasant le royaume ; vous vouliez monter sur 
le trône à travers les flammes de la guerre civile. 

MiRIE.. 

' Non je n'ai pas voulu cela.. Au nom du Dieu tout- 
puissant, quand ai-je eu ce projet? où en sont les 
preuves? 

BURLEIGH. 

Je ne suis pas venu ici pour engager de pareils dé- 
bats; votre cause n'est plus soumise à aucune discus- 
sion, lia été reconnu par quarante voix contre deux, 
que vous avez violé, le hill de Tannée derpière, 
que vous avez encouru les peines portées par la loi. 
U fi|t statué l'an dernier : «Que, s'il s'élevait dans le 
)) royaume quelque tuniuUe au nom et pour l'avan^ 
» tage d'une persooinQ qui. prétendrait avoir des 
» droits au trône, cette personne serait traduite en 
» justice et poursuivie pour crime capital; >i et 
comme il est prouvé... 

MARIE. 

Milord Burleigh , je ne doute pas qu'une loi 
expressément dirigée contre moi, et destinée à me 
détruire , ne puisse s'appliquer à moi* Malheur à la 
faible victime lorsque la même bouche d'oîi la loi 
est émanée , prononce, aussi la sentence. Pouvçz- 
vous nier , milord , que ce bill ait été rendu pour 
me perdre? 

BURLEIGH. 

Il devait vous servir d'avertissenieu|:., vous seule 
çi^ avez fait un piège; vous avez vu l'abîme ouvert 



ACTE I, SCÈNE VIL 2i5 

devant vous, et vous vous y êtes précipitée > quoique 
bien avertie; vous étiez d'intelligence avec le traître 
Babington et les meurtriers ses complices; vous 
aviez connaissance du complot, et vous le dirigiez 
du fond de votre prison. 

MABIE. 

Quand ai-je fait cela? qu'on m'en donne les 
preuves? 

*^ BURLEIGH. 

Elle vous ont déjà été montrées récemment de- 
vant le tribunal. ^ 

MARIE. 

Des copies écrites d'une main étrangère ! Mais que 
l'on prouve que j'ai dicté ces lettres , telles absolu*- 
ment qu'elles ont été lues. 

BURLEIGH. 

Babington , avant de mourir, a reconnu que c'é- 
taient les mêmes qu'il avait reçues. 

MARIE. 

Et pourquoi, pendant qu'il vivait encore, ne 
l'a-t-on pas amené devant moi ? pourquoi s'est-on 
hâté de l'envoyer à la mort avant de l'avpir con^ 
fronté avec moi? 

BURLEIGH. 

Vos deux secrétaires, Kurl et Nau ont aussi 
aflirmé par serment que c'étaient là les lettres que 
votre bouché leur a dictées. 

MARIE. 

Et l'on me condamne sur le témoignage de mes 
domestiques ? Oh donne foi et confiance à ceux qui 
me trahisisent, moi , leur reine , et qui ne peuvent 



2i6 MARIE STUART, 

témoigner contre ^loi qu'en violant un devoir df 

fidélité ? 

BURLEIGH. 

Vous-même reconnaissiez autrefois Técossais Kurl 
pour un homme rempli de conscience et de vertu. 

MARIE. 

Je l'ai connu tel. Cependant les instans du péril 
sont la véritable épreuve de la vertu humaine : les 
angoisses de la torture ont pu lui faire avouer et ra-. 
conter ce qu'il ne savait pas. Il a cru , par un faux 
témoignage , se délivrer de la souffrance sans nuire 
beaucoup à sa reine. 

BURLEIGH. 

U a librement attesté ce fait par serment. 

MARIE. 

Non pas devant moi* Comment , milord^ il existe 
deux témoins , ib vivent encore , et on ne les amène 
pas en ma présence , on n^ lieur fait pas reaouveler 
leur témoignage devant mes yeux? Pourquoi me 
refuser une faveur^ un droit que l'on accorde à un 
assassin? J'ai siï, de la bouche de Talbot^ mon an- 
cien gardien , que sous ce règne il avait été rendu 
un biH qui ordonnait de faire toujours comparaître 
raccusateur devant l'accusé. Cela est-il ainsi ^ ou 
bien ai-je mal entendu? Sir Paulet^ je vous ai tou- 
jours trouvé honnête homme; donnez -m'en une 
preuve , répondez avec conscience ; cela n'est-il pas 
ainsi? N'existe-t-il pas une telle loi en Angleterre? 

PAULET. 

Cela est ainsi , madame ; cela est de droit en An^ 
gleterre : la chose est vraie, j^ dois le dire. 



ACTE I, SCÈNE YIl. ai? 

MAIRIE. 

I 

Eh bien ^ milofd , puisqu'on m'applique avec tant 
de sévérité les lois anglaises^ lorsqu'elles me sont 
contraires , pourquoi leur bienfait me serait*il re* 
fusé? répondez. Pourquoi Babingtoin n'a*t-il pas 
été confronté avec moi , comme la loi l'ordonnait ? 
pourquoi en est41 de même pouï" mes deux secré- 
taires^ eux qui vivent encore? 

BURLEIGH. 

Ne vous emportez pas, madame; votre intelli- 
gence avec Babington n'est pas le seul motif qui.... 

! 
MARIE. 

Cest le seul qui puisse me rendre sujette au glaive 
de la justice , le seul dont je puisse avoir k me justi- 
fier. Milord, demeurez dans la question, ne vous- 
en détournez pas. 

tURLVIGtf. 

U est prouvé que vous avez ilégocié avec Men- 
doee, l'envoyé d'Espagne. 

Marie, vÎTement. : 

Ne détournez pas la question , milord. 

BURLCIGH. 

Que vous avez formé des complots pour ren^ 
verser la religion du royaume , que vous avez pro- 
voqué tous iea souvemina de llSurope à la guerre 
contre l'Angleterre. 

MàBIB. 

Quand ai^je fait cela? Je ae Vat poittt fait. Et 
d'ailleurs I quand cela serait aixisi? Milord, on me 
retient prisonnière contre tout droit des gêna : je ne 



ai8 MARIE STUART, 

suis point venue dans ce royaume les armes à la 
main; j'y yins comme une suppliante , me jeter 
entre les bras d'une reine unie par le sang avec 
moi , réclamant les saints droits de l'hospitalité. Ce 
fut ainsi que je tombai en .son pouvoir, et que je 
trouvai des chaînes où j'avais espéré des secours. Ré- 
pondez, ma conscience est-elle engagée envers ce 
royaume? ai-je quelque devoir envers l'Angleterre? 
Et si je m'eiForçais de rompre les murs de ma pri- 
son, d'opposer la force à la force, si je tâchais d'é- 
mouvoir et d'appeler à mon secours tous les souve- 
rains du continent, n'userai-je pas du droit sacré 
des opprimés? Tout ce qui, dans une guerre légi- 
time, est juste et loyal , j'aurais pu l'employer ; l'as- 
sassinat seul, et les complots obscurs et meurtriers 
me sont interdits par la fierté et la conscience. Un 
meurtre flétrirait mon honneur; mon honneur, 
dis-je, car il n'y a rien' de condamnable aux yeux 
de l'équité ; entre l'Angleterre et moi , il n'est point 
question de la justice , mais de la violence seu- 
lement. 

BURLEIGH. 

N'en appelez pas , madame , au redoutable droit 
du plus fort; il n'est pas favorable aux prisonniers. 

r Je suis faible et elle est puissante. Qu'elle use de la 
force ; qu'elle m'envoie à la mort ; qu'elle me sacrifie 
à son repos, soit; mais qu'alors elle avoue que c'est de 
la force seulement qu'elle tient ces droits , et non de 
ia justice ; qu'elle n'emprunte pas le glaive des lois 
pour frapper une eiinemie quelle hait ; qu'elle ne 



ACTE I, SCÈNE VIII. 219 

revête pas d'une sainte apparence la yiolence san- 
glante , et l'audace déhontëe : une pareille comédie 
n'abusera pas les yeux du monde ; qu'elle me fasse 
périr, et non pas juger. EUe y eut unir les profits du 
crime au saint éclat de la vertu ; et ce qu'elle est , 
eUe n'ose pas le paraître. 

(Elle tort.) 

1 

SCÈNE VIIL 

BURLEIGH , PAULET. 

BURLEIGH. 

Elle nous brave , et elle continuera à nous bra- 
ver, chevalier Paulet, jusque sur les marches de 
l'échafaud. On ne peut abattre ce cœur altier. La sen- 
tence l'a^t-elle seulement étonnée? L'avez-vous vu ré- 
pandre une larme? A-t-elle changé de visage? Elle 
n'a pas cherché à émouvoir notre pitié ; elle sait les 
hésitations de notre reine, et ce sont nos craintes 
qui lui inspirent du courage. 

PAULET. 

Lord grand trésorier , cette vaine arrogance s'é- 
vanouira quand on ne lui donnera plus de prétexte. 
Si j'ose le dire , il s'est passsé dans ce procès des 
choses irrégulières. On aurait dû la confronter avec 
Babington et Tichburn , et faire comparaître ses 
secrétaires devant elle. 

BURLEIGH, ▼ivement. 

Non, non, chevaUer Faulet, on ne pouvait risquer 
cela. Elle exerce un trop grand pottToii* sur les 



aao MARIE STUART, 

esprits; s€S larmes ent trop de puissance. Son secré- 
taire Kuri^ si on l'amenait devant elle, voudrait-il 
prononcer des paroles d'où dépend la vie de sa 
reine? il se rétracterait timide^aent, il retirerait 
son témoignage. 

PAUIET. 

Ainsi les ennemis de l'Angleterre rempliront le 
monde entier de bruits odieux , et l'éclat solennel 
de ce procès ne semblera qu'une imprudente au- 
dace. 

BmElLEIGH. 

Et c'est là ce qui afflige notre reine. Ah! pour- 
quoi cette femme , artisan de nos maux , n'a-t-elle 
p» trouvé la mort avant de mettre le pied sur le 
sol de l'Angleterre ! 

PAULET. 

Ah! plÀt à Dieu! 

SURLEXGH. 

Si elle avait succombé en pri3on à la maladie? 

PAULET. 

Que de malheurs cela eût épargnés à notre pays ? 

JURLEIGH. 

Et pourtant , si die périssait par le cours ordi- 
naire de la nature 9 nous passerions néanmoins pour 
ses meurtriers. 

PAULET. 

Cela est vrai. On ne peut empêcher les hommes 
de penser ce qu'ils veulent. 

BURLEIGH. 

La diose ne pourrait pas être prouvée , et il ea 
résulterait moins de bruit. 



ACTE I,SCÈHE VIII. 221 

PADLET. 

Qu'importe le bruit? C'est la jlistice^ et non pas 
l'éclat du blâme qui peut blesser. 

BtJHLBrGH. 

Aussi la justice sacrée ne peut-elle point éviter 
le blâme. L'opinion se range toujours du parti des 
malheureux^ et l'envie s'attache à la prospérité 
triomphante. Le glaive de la justice qa'un homme 
porte dignement est haï dans les mains d'une femme. 
Le monde ne croit jamais à l'équité d'une femme ^ 
lorsqu'une autre femme en est la victime. C'est 
vainement que nous^ autres juges avons prononcé 
d'après notre conscience. La Reine a. le droit souve- 
rain de faire grâce ^ il faut qa'elle en use; on ne 
souffrirait pas qu'elle laissât un libre cours à la ri- 
gueur des lois. 

PAULET. 

Et ainsi? 

BURLEIGH. 

Ainsi elle vivrait.... Non , il ne iant pas qu'elle 
vive; jâmaift. G'^t là ce qui jette m)tre reine dans 
l'anxiété ; c'est là ce qui chasse le sommeil de sa 
couche. Je lis dans ses yeux les combats de son âme : 
sa botu:he n'ose proférer aucun souhait^ mais son 
regard muet et expressif semble demander : n'est-il 
pas parmi tous mes serviteurs quelqu'un qui veuille 
m'épargner une délibération odieuse ^ et m'arracher 
à l'alternative^ terrible- soit de nuire à la sûreté de 
mon royaume , seit de livrer cruellement à la hache 
une reine unie à moi par les liens dn sang ? 



222 MARIE STtJART, 

PAULET. 

On ne peut rien changer à cette situation ^ elle est 



nécessaire. 



BURLEIGH. 

Elle pourrait être changée^ à ce que pense la 
reine ^ si elle avait seulement des serviteurs attentifs. 

PAULET. 

Attentifs I 

BURLEIGH. 



Lorsqu'on ôta la garde de la reine d'Ecosse à 
Schrewsbury^ pour la confier au chevalier Paulet , 
on pensait que.... 

PAULET. 

On pensa, j'espère, milord, que l'on ne pou- 
vait placer une charge plus difficile dans des mains 
plus pures. Je jure Dieu, que si j'ai accepte' cette 
place de geôlier, c'est que je ne crois pas qu'on pût 
la confier à un plus honnête homme en Angleterre ! 
Laissez-moi croire que je n'en ai pas été redevable 
à un autre motif que ma bonne réputation. 



Qui sussent comprendre un ordre tacite. | 

PAULET. 

Un ordre tacite ! 

BURLEIGH. 

Qui, lorsqu'on leur donne en garde un serpent 
empoisonné , ne conservassent pas comme un trésor 

précieux et sacré l'ennemi confié à leurs soins. i 

i 

PAULET comprend tout ce qu'on veut lui dire. 

La bonne renommée, la gloire sans tache de la ^ 

Reine est un précieux trésor auquel on ne saurait 
trop veiller. 



I 

BURLEIGH. i 



ACTE I, SCÈNE VIII. m3 

BURLEIGH. 

On rëpaudrait qu'elle s affaiblit , sa santé deyien- 
drait de plus en plus mauvaise , et enfin elle suc* 
comberait; sa mémoire s'évanouirait ainsi dans l'es-» 
prit du public , et votre réputation resterait pure. 

PAULET. 

Mais non pas ma conscience. 

BURLEIGH. 

Si vous ne voulez pas prêter votre propre main y 
vous n'empêcherez pas du moins qu'une main éti^an- 
gère.... 

PAULET , rinterrompant. 

Tant que Dieu protégera ma demeure, aucun meur- 
trier n'approchera du seuil de sa porte ; sa vie m'est 
sacrée, aussi sacrée que celle de la reine d'Angleterre. 
Vous êtes ses juges , eh bien , jvgez-la ; prononcez 
son arrêt de mort: et quand il en sera téirnps , qu'on 
vienne avec la hache et la scie dresser l'échafaud. 
La porte de mon château ne s'ouvrira que pour le 
schérif et le boun^eau. Maintenant elle est confiée 
à ma garde, et soyez assuré que je la garderai de 
façon qu'elle ne pourra ni faire, ni redouter le 
moindre mal. 

( Ib i'ea foat. ) 



FIN DU PREMIER ACTE. 



aft4 MARIE STU ART, 



»»%f t >»»li M« » »» W * * <i» »» l^*f**WW**^V<'*^^'''*1 ' ^**^'** i ^'^'*^''^»*^^''*"***^** **'"***" "*"** *^*'* " 



ACTE DEUXIEME. 



La scène est au palais de Westminster. 

SCÈNE PREMIÈRE. 

Le comte de KENT, et sir GUILLAUME DAVISON 

se rencontrent. 

DAViaON. 

JisT-CE vous, milord? Déjà de retour du tournois? 
La fête est donc finie? 

KENT. 

Comment? n'étiez-vous pas à cette cérémonie? 

DAVISON. 

Les dev<Hr$ de ma place m^'oiit retenu i. 

KBNT. 

Vous avez perdu , milord, le plus beau spectacle; 
il ne pouvait être imaginé avec plus de goût, ni 
exécuté avec plus de dignité. On avait représenté la 
chaste forteresse de la Beauté investie par les Désirs. 
Milord maréchal, le grand juge, le sénéchal avec 
dix autres chevaliers , défendaient la forteresse de 
la reine, et les chevaliers Français l'attaquaient. 
D'abord a paru un héraut d'armes, qui a, par un 
madrigal, sommé le château de se rendre; et du 



ACTE II, SCÈHE \/ aaS 

haut des murailles le chancelier a repondu , puis 
l'artillerie a commence à tirer : les canons étaient 
ornés d'une manière chairmante ; on les chargeait 
avec des essences exquises et embaumées ^ et ils lan- 
çaient des bouquets de fleurs^ mais Tainement; 
fous les assàutà ont été. repoussés, et les Désirs ont 
été forcés de se retirer. 

Comte 9 c'est l'augure d'un mauvais succès pour 
les prières de mariage de la France. 

Ah ! cela n'était ^tfiïn J€u. Et pour parler sérieu- 
âemetrt, je crois que la forteresse finira par se 
rendre. 

I^ÀYISOF. 

Le çrojezHiPous ? Je pense qu^e cela n'arrivera ja- 
laaiâ. 

KENT. 

Les articles les plus délicats sont déjà réglés et 
accordés par la France. Monsieur se contente d'exer- 
cer son culte dans une chapelle domestique > et il 
s'engage à honorer publiquement y et à protéger la 
religion du royaume. Que n'avcz-vous vu la joie du 
peuple lorsque t:ette nouvelle a été répandue ? Car 
la crainte de l'Angleterre a toujours été que la Reine 
mourant sans postérité , l'Écossaise lui succédât sur 
le trône , et que le royaume retombât sous le joug 
du papisme. 

DAVISON. 

0n doit bien étm délivré de cette éraînte : quaiid 
la Réin« marchera à l'auté); i'Écossaifie marchera à 
jj^'échafaud.^ 

KBWT. 

La Rmie vient. 
ToM. III. i5 



226 •^^MARIE STUARTi 

SCÈNE IL 

Les précëdens; ELISABETH, conduite par LEICES- 
TER- le comte de l'AUBESPINE, BELLIÈVRE; 
le comte de SCHREWSBURY, LORD BURLEIGH, 
et plusieurs autres seigneurs français et anglais. 

ELISABETH, à F Aubespine. 

Comte, je plains ces nol)les seigneurs qu'un ga- 
lant empressement a port;ps à trayerser la mer pour 
venir ici. Us n'auront pas retrouve chez moi la ma- 
gnificence de la cour de Saint-Germain. Je ne sau- 
rais inventer des fêtes aussi éclatantes que la reine- 
mère. Un peuple joyeux , dès que je me montre en 
public, se presse autour de ma litière en me bénis- 
sant ; c'est là le spectacle que je puis , avec quelque 
orgueil , offrir aux regards des étrangers. L'éclat des 
nobles dames qui ornent des fleurs dé la beauté la 
cour de Catherine, éclipserait et moi et mon cortège 
modeste. 

l'AUBESPINE. 

La cour de Westminster présente , aux yeux des 
étrangers surpris, une femme qui t'assemble en 
elle seule tous les attraits séducteurs de son sexe. 

BELUÈVRE. 

Madame, votre majesté permettra que nous pre- 
nions congé d'elle pour aller pôhet à MonsicJur, 
notre royal seigneur, l'heureuse espérance qui le 
comblera de joie. Sa vive impatience ne lui a pas 
permis de demeurer à Paris , il attçnd à Am;iens la 



ACTE II, SCÈNE IV 217 

•nouvelle de son bonheur; et tout est disposé jusqu'à 
Calais pour que le consentement que prononcera 
votre bouche royale soit apporté à son avide em- 
pressement avec toute la rapidité possible. 

ELISABETH. 

Comte de Bellièvre , ne me pressez pas davantage. 
Ce n'est pas le moment, je vous le répète , d'allumer 
maintenant les joyeux flambeaux de l'hymen. De 
sombres nuages s'élèvent sur ce royaume , et il me 
conviendrait mieux de me revêtir des vêtemens de 
deuil, que de l'éclat d'une pçrure nuptiale; car un 
coup déplorable est prêt à atteindre et mon cœur 
et ma maison «. 

BELLIÈVRE. 

Donnez-nous seulement votre promesse, reine; 
des jours plus heureux en amèneront l'accomplisse- 
ment. 

ELISABETH. 

Les rois ne sont que des esclaves de leur condi- 
tion; ils ne peuvent suivre le vœu de leur propre 
cœur. Mon désir fut toujours de mourir sans avoir 
eu d'époux; et j'aurais mis ma gloire à ce qu'on lût 
sur mon tombeau : « Ici repose une vierge reine. » 
Cependant, mes sujets ne le veulent pas ainsi; ils 
songent déjà avec prévoyance au temps où je ne 
serai plus. Ce n'est pas assez de répandre mainte- 
nant sur cette terre une heureuse bénédiction, il 
faut^ncore que je m'immole à leur bonheur à venir;* 
que je sacrifie à mon peuple mon bien le plus pré- 
cieux, ma liberté virginale, et que je me soumette 
à un maître. Le peuple me montre par-là qu'il ne 
voit en moi qu'une femme seulement, et je croyais 



228 MAUtE STUÂ&T, 

çepen4^pt savoir gouy ernç' comiae un h^uBiaei comme 
lin roi. Ce n'est pas que je pense que se dérober au 
yœu (le la.nature , $oit un hommage agréable à Dieu; 
etc eux qui m'ont précédée s^r le trône méritent des 
louanges pour avoir ouvert les cloîtres , et rendu 
aux devoirs de la nature mille victimçs d'une piété 
mal entendue. Mais il semblerait qu'une reine dont 
les jours ne se sont pas écoulés dans une oisive et 
inutile contemplation , qui , sans relâche et sans dé- 
couragement, a su pratiquer les plus difficiles de 
tous les devoirs , pourrait être exceptée de ce joug 
que la nature impose à la moitié de la race humaine , 
la souniettant à l'autre moitié. 

L'AUBESPINE. 

Reine y vous avez fait briller toutes les vertus 
sur le trône, il ne vous reste plus qu'à présenter à 
votre sexe un exemple éclatant de l'accomplisse- 
ment de ses propres devoirs. Je conviens qu'il n'est 
aucun homme sur la terre digne que vous lui fas« 
siez le sacrifice de votre liberté; cependant, si la 
naissance, la grandeur, l'héroïque vertu, la m,âle 
beauté peuvent rendre un nao^el digne, de^ çe.t hoa- 
neur... 

ELISABETH. 

$ans nul doute, niQnsieujr l'aoïbassadeiw^i U^e 
£|lliance avec un royal fils de la France doit m'ho^ 
norer i oui ,^ je IVoue hauten;ieat , s'i<l faut que cela 
soit ainsi, si je ne puis, faire autrement que d'ob^û? 
aux instances de mon peuple, si., conupae je le craàBS^ 
elles l'emportent sur mes. désirs , jq nje- connaia 
aucun prince dans l'Europe., anqu4 jç. fissîe avec 



ACÎE It, SCÈKE II. 229 

moins de regret le sacrifice de ma liberté' , mon plus 
cher trésor) que cet ateu vous suffise. 

beIlièVrè. 
C'est la plufe belle des èspët^ancfts j cependant ce 
n'est qu'uiie espérance^ et itidh maître touhàité 
davantage. 

iéUSAlËEtH. 

Que souhaite-t-il? j(jE'//e Ure un anneau de sa 
main et le regarde en réfléchissant). Eh quoi ! une 
reine n'a donc rien au-dessus d'une simple citoyenne. 
Le même sy&bole exprime pour elle les mêmes de- 
voirs^ le même esclavage. L'anneau est le signe dU 
mariage, et en effet c'est avec des anneaux qu'on 
forme les chaînes. Portez ce don à son altesse. Ce 
n'est pas encore un lien qui m'enchaîne, mais celui- 
là pourrait amener à un autre qui m'enchaînerait 
tout*à-fait. 

BELLIÈTRE reçoit la bague en mettant nn genon en terre. 

Grande reine, je reçpis en son nom, à genoux, 
ce don précieux, et en signe d'hommage je baise la 
main de ma princesse. 

ELISABETH, au comte dtf Leicttste*, qlielle a regardé atténtivenhent pendadit les 

dernières paroles cpi'eUe a prononce'es. 

Permettez, milord. {Elle lui prend son cordon 
bleu et en orne le comte de Belliès^re.) Remettez à 
son altesse cette décoration dont je viens de vous 
revêtir, en vous admettant parmi les chevaliers de 
mon ordre. — Honi^y soit qui mal y pense : — Tout 
nuage doit se dissiper entre les deux nations , et un 
lien de confiance réciproque doit joindre les cou- 
ronnes de France et d'Angleterre. 



-*3o MARIE STUART, 

L'AUBESPINE. 

Grande reine , ce jaur est un jour d'allégresse; 
puisse-t-elle s'étendre à tous, et puisse aucun in- 
fortuné n'avoir à gémir dans cette île! La bonté 
brille sur votre visage. Ah ! qu'un rayon de ce doux 
éclat tombe sur une malheureuse princesse^ qui 
touche d'aussi près la France et l'Angleterre. 

ELISABETH. 

• C'est assez , comte ; ne melons point deux affaires 
importantes, et qui n'ont point de rapport entre 
elles ; si la France recherche sérieusement mon al- 
liance f elle doit partager tous mes soucis , et ne pas 
avoir mes ennemis pour amis. 

L'AUBESPINE. 

Si la France , en concluant cette alliance , ou- 
bliait une infortunée qui lui est unie par la religion j, 
qui est la veuve de son roi, ce serait une indignité 
même à vos propres yeux. Non-seulement l'honneur, 
mais l'humanité exigent.... 

ELISABETH. 

En ce sens, je saurai prendre en considération 
votre intercession. La France remplit un devoir 
d'amitié, ce sera à moi à remplir mon devoir de 
reine. 

( Elle salue ks seignearB français» qui sont reconduits en cérémonie par les seigneurs 

anglais. ) « 



J 



ACTE II, SCÈNEIlI. ,a3i 

SCÈNE III. 

ELISABETH, LEICESTER, BURLEIGH, TALBOT. 

(L« reine s'assied.) 
BURLEIGH. 

Glorieuse reine , vous couronnez aujourd'hui les 
souhaits les plus ardens de votre peuple ; pour la 
première fois , nous pouvons jouir entièrement des 
jours heureux que nous vous devons , car nous n'a- 
vons plus à considérer en frémissant un avenir 
orageux. Cependant la nation a encore un regret 
qui l'afflige. Il est une victime que toutes les voix 
demandent. Accomplissez aussi ce vœu, et que ce 
jour fonde à jamais le bonheur de l'Angleterre. 

ELISABETH. 

Que désire encore mon peuple? Parlez, milord. 

. BURLEIGH. 

Il demande la tête de Marie Stuart. Si vous voulez 
assurer à votre peuple le précieux trésor de la li- 
berté , et la lumière si chèrement achetée de la vraie 
religion , il faut que Marie n'existe plus. Pour que 
nous cessions de trembler sans cesse pour votre vLe 
adorée, il, faut que votre ennemie périsse. Vous 
savez que tout votre royaume n'est pas soumis à la 
même opinion, et que l'idolâtrie romaine compte 
encore dans cette lie beaucoup d'adorateurs secr^s« 
Tous nourrissent des pensées hostiles, Leurs coeurs se 
tournent vers cette fille des Stuarts, et ils ont des in- 
telligences, avec les Locrains,.ces irréconciliables en- 
nemis de votre nom. Ce parti vous a juré, dans sa fu- 



\ 



232 MlilRUSTUART, 

reur, une guérite implacable ^ et ils combattent avec 
des armes perfides et infernales. C'est à Rheims^ 
siège de rarchevêque de Lorraine , que sont forgés 
cçs traita. Çcst là qu'on eqseigne le régicide; c'est 
de là que sont envoyés sans cesse dans cette ile des 
émissaires^ enthousiastes dévoués qui se cachent sous 
toute sorte de déguisemens. A^oici déjà le troisième 
assassînr qui est parti de là^ et ce gouffre vomira 
sans fin de nouveaux ennemis secrets. C'est dans le 
château de Fotheringay qu'habite la furie qui 
anime cette éternelle guerre ; c'est elle qui einbrase 
ce royaume avec le flambeau de l'amour. C'est pour 
elle , c'est à cause des espérances flatteuses qu'elle 
sait donner, que la jeunesse se dévoue à une itiort 
assurée. La délivrer, tel est le prétexte; la placer 
sur votre trône, tel est le but de ces complots. Car 
cette maison de Lorraine ne reconnaît pas vos droits 
sacrés; ils vous traitent d'usurpatrice, couronnée 
par la fortune seulement. C'étaient eux qui avaient 
persuadé à cette insensée de prendre le titre de 
reine d'Angleterre. Aucune paix n'est à espérer 
avec cette maison. Vous devez, ou frapper le coup 
ou le recevoir. Sa vie est votre mort , et sa mort 
votre vie. 

ELISABETH. 

Milord, vous vous acquittez d'un devoir cruel* 
Je connais la pureté de votive zèle empressé; je 
sais qu'une sagesse siucère parle par votre bouche. 
Cependant cette prudence , qui exige de verser du 
sang , m'est odieuse au fond du cœur. Proposez des 
consuls plus doux; milord Sckrewsbury ! Dites-nous 
v-otre opinion « 



ACTE II, SCÈNE ÏII. i33 

TALBOT. 

Vous donnez de justes louanges au zèle qui anime 
le eœur de Burleigh. Et moi au^si, bien que ma 
bouche s'exprime avec moins d'éloquence , un cœur 
non moins fidèle bat dans ma poitrine. Puissiéz-vous 
vivre long-temps , reine; faire la joie de votre peu- 
ple et lui assurer long-temps le bonheur de la paix. 

Jamais^ depuis qu'elle est soumise à ses rois, cette 
île n'a vu des jours aussi heureux. Mais s'il lui fallait 
jamais acheter son bonheur aux dépens de sa 
gloire y ah ! puissent les yeux de Talbot se fermer le 
jour où il en serait ainsi. 

ELISABETH. 

Dieu nous préserve dci souiller notre gloire. 

TALBOT. 

En ce cas, il vous faudra chercher un autre 
moyen pour sauver le royaume; car l'exécution de 
Marie Stuart est un moyen injuste. Vous ne pouvez 
prononcer la sentence de celle qui n'est pas votre 
sujette. 

ELISABETH. 

Ainsi mon conseil d'état et mon parlement se sont 
ti'ompés; ainsi toutes les cours de justice du 
royaume sont dans l'erreur, quand unanimement 
elles me reconnaissent ce droit. 

TALBOT. 

La pluralité des voix n'est pas une preuve de la 
justice ; l'Angleterre n'est pas le inonde ; votre par- 
lement ne représente pa& toutes les générations hi»- 
maines. L'Angleterre d'aujourd'hui n'est pas plus 
l'Angleterre de l'avenir qu'elle n'est celle ctes temps 



a34 MARIE STUART, 

passés; les affections changent de cours, et les 
flots mobiles de l'opinion s'élèvent et s'abaissent 
tour à tour. Ne dites pas qu'il tous faut obéir à la 
nécessité et aux instances de votre peuple. Dès que 
vous le voudrez, à chaque instant vous pouijrez 
éprouver que votre volonté est libre. Tentez, dé- 
clarez que vous avez horreur du sang., que vous 
voulez sauver la vie de votre sœur ; montrez à ceux 
qui vous ont donné d'autres conseils une véritable 
indignation , et bientôt vous verrez cette nécessité 
s'évanouir et cette justice devenir une injustice. 
Vous-même devez prononcer, vous seule. Vous ne 
pouvez vous appuyer sur ce roseau mobile et flexi- 
ble. Livrez-vous avec confiance à votre bonté. Dieu 
n'a pas placé la sévérité dans le sensible cœur des 
femmes ; et les fondateurs de cet empire -, en per-^ 
mettant que les rênes de l'état fussent confiées aux 
mains des femmes , ont fait voir que les rois de cette 
contrée ne devaient point mettre leur vertu dans la 
sévérité. 

ELISABETH. 

Le comte de Schrewsbury est un zélé défenseur 
de l'ennemie du royaume et de moi ; je préfère les 
conseils dictés par le dévouement à mes intérêts. 



TALBOT. 



Peut-on lui envier un défenseur , quand personne 
n'ose parler pour elle , et s'exposer au poids de votre 
colère? Âh! permettez à un vieillard qui , sur le 
bord de la tombe , ne peut plus être guidé par aucun 
motif terrestre, de secourir celje qui est abandon- 
née; qu'^ ne soit pas dit que dans votre conseil 



ACTE II, SCÈNE III. 235 

d'état la passion et l'intërét personnel seuls ont 
éleyé la voix^ et que la pitié est restée muette. Tout 
s'est conjuré contre elle. Vous-même n'ayez jamais 
Yu son visage^ et rien dans yotre cœur ne parle 
pour une étrangère. Je ne prétends pas la justifier 
de ses fautes. On dit qu elle a consenti au meurtre 
de son époux. Il est vrai du moins qu'elle a épousé 
le meurtrier : c'est un grand crime ; mais cela s'est 
passé au milieu d'un temps sinistre et déplorable , 
parmi les cruels déchiremens d'une guerre civile. 
Elle se voyait^ dans sa faiblesse, pressée vivement 
par des vassaux insoumis , elle s'est jetée dans les 
bras de celui qui montrait le plus de force et de ca- 
ractère. Qui sait par quels artifices on a triomphé 
d'elle; car la femme est un être fragile. 

ELISABETH. 

La femme n'est point un être faible. Le sexe a 
produit des âmes fortes. Je ne veux pas qu'en ma 
présence on parle de la faiblesse des femmes. 

TALBOT. 

Le malheur a été pour vous une . école sévère. 
La vie ne se montra pas à vous d'abord sous un 
aspect riant. Vous ne portiez pas vos regards sur la 
perspective d'un trône, mais sur un tombeau ouvert 
devant vos pas. C'est à Woodstock, dans l'obscurité 
d'une prison , que Dieu protecteur de cette terre a 
formé votre âme par l'adversité. Là, aucun flatteur 
ne s'empressait vers vous ; loin du vain tumulte du 
monde, votre esprit apprit de bonne heure à se re- 
cueillir , à rentrer en lui-même par la méditation , 
et à apprécier les véritables biens de cette vie. Dieu 



a36 MARIE STUART, 

n'a pas donne cet avantage à Finfortunëe; encore en^ 
fant j elle fut transplantée en France dans une cour 
où régnaient la légèreté et les plaisirs frivoles. Là , 
dans l'ivresse continuelle des ^êtes , elle ne put en^- 
tendre la voix sérieuse de la vérité j elle se laissa 
éblouir par des vices brillans ^ et elle fut entraînée 
dans le torrent du désordre. Elle avait en partage 
les vains dons de la beautés Par ses attraits elle bril- 
lait par-dessus toutes les femmes ^ et ses charmes 
non moins que sa naissance. ... 

ELISABETH. 

Revenez à vous, milord Schrewsbury; pensez 
que nous siégeons ici pour des affaires sérieuses : les 
charmes qui inspirent une telle chaleur à un vieil- 
lard doivent être incomparables. Milord Leicester, 
vous seul gardez le silence ; ce qui excite l'éloquence 
de milord Schrewsbury, vous ferme-t-il la bouche? 

LEICESTER. 

Je demeure muet d'étonnement , en voyant de 
quelles terreurs on vient vous entretenir, en voyant 
les chimères qui agitent le peuple crédule dans les 
rues de Londres , troubler le calme dans votre con- 
seil, et occuper sérieusement des hommes sages. Je 
reste saisi de surprise, je l'avouerai, de ce que la sou- 
veraine dépouillée de l'Ecosse , qui n'a pas su se 
maintenir sur son propre trône , qui est la fable de 
ses vassaux , que son royaume a rejetce , est , du 
fond de sa prison , un objet d'épouvante pour vous. 
Au nom du ciel ! qui peut la rendre redoutable ? 
seraient-ce les prétentions qu'elle a sur ce royaume, 
et le refus que font les Guises de vous reconnaîti'e 



ACTE II, SCÈNE III. 137 

pour reine ? Et que peut faire Topposition des Guises 
contre les droits que la naissance tous a donnes, 
que la volonté du parlement a confirmes ? N'a-t-elle 

Sas été tacitement exclue par les dernières yolontés 
e Henri ; et l'Ângjleterre , qui a le bonheur de jouir 
des lumières de la réforme , ira^^-^elle se jeter dans ' 
les bras d'une reine papiste? Âbandonnera-4«elle 
TOUS y sa souveraine adorée y pour la meurtrière de 
Bamley? Que prétendent ces hommes inquiets qui, 
peiïdant que vous vivez encore , vous alarment sur 
votre héfiftier? Il semble qu'ils ne puissent pas 
vous donner un époux assez vite , tant ils craignent 
pour l'état et pour l'église ? Et n'êtes-vous donc pas 
dans la force et dans la fleur de la jeunesse , tandis 
qu'elle chaque jour la flétrit et l'entraîne au tom- 
beau ? Par le ciel ! vous pourrez pendant bien des 
années encore passer sur son tombeau, sans qu'il 
vous soit nécessaire de l'y précipiter. 

BURLEIGH. 

Lord Leicester n'a pas toujours» été de cette opinion . 

LEICEISTER. 

Il est vrai, j'ai donné ma voix pour sa mort au tri- 
bunal; dans le conseil d'état je parle d'autre sorte. 
Il ne s'agit pas ici de discuter ce qui est juste, mais 
ce qui est avantageux. Est-ce maintenant le moment 
de SaL regarder comme dangereuse , quand son seul 
appui , quand la France l'abandonne , quand vous 
allez accorder au fils de ses rois l'heureux don de votre 
main ,, quand l'espoir de voiir naître^ un/e noui/^elle 
race royaU réjouit l'Angleterre? Pourquoi lui dont- 
ner la mort? N^est-elle pas déjà mort^? G'oat L'oubli 



238 MARIE STUART, 

des hommes qui est la vraie mort. Gardez-vous de 
la rappeler à la vie en excitant la compassion. Mon 
avis est donc qu'on laisse subsister dans tonte sa 
force la sentence qui condamne sa tête : qu'elle vive, 
mais qu elle vive sous la hache du bourreau ; et si 
un seul bras s'arme en sa faveur^ qu'aussitôt sa tête 
tombe. 

ELISABETH fe lève. 

Milords , j'ai écouté vos avis > et je vous remercie 
de votre zèle. Avec l'aide de Dieu , qui éclaire l'es-* 
prit des rois , j'examinerai vos motifs , et me déci- 
derai pour ce qui me semblera plus sage. 

■ 

SCÈNE IV. 

Les précédens; le chevalier PAULET avec MOR- 

TIMER- 

ELISABETH. 

Voici le chevalier Faulet. Sir Paulet, qui vous 
amène vers nous ? 

PAULET. 

Glorieuse reine , mon neveu qui naguère est de 
retour de voyages lointains , se prosterne à vos 
pieds et vous présente ses jeunes hommages. Re«- 
cevez-le avec bonté , je vous prie ; laissez tomber 
sur lui un rayon de votre faveur. 

MORTIMER met un genou enterre. 

Puissiez-vous vivre long-temps , madame et sou- 
veraine ; et puissent le bonheur et la gloire orner 
votre couronne I 



ACTE II, SCÈWE'IV. aSg 

ELISABETH. 

Levez-vous ; soyez te Bienvenu en Angleterre y 
sir M ortimer. Vous avez fait un long voyage , vous 
avez vu Rome et la France^ vous avez habité Rheims^ 
dîtes-moi ce que trament nos ennemis. 

MORTIMER. 

Puisse Dieu les confondre et tourner contre leur 
propre sein les traits qu'ils veulent lancer à ma 
reîne I 

ELISABETH. 

Avez-vous vu Morgan et l'archevêque de Ross , ce 
grand artisan de coinplots ? 

MORTIMER. 

J'ai pu connaître tous les Écossais bannis qui for-- 
gent à Rheims des CQiuplQts contre cette île; j'ai 
gagné leur confiance^ afiba de découvrir quelque chose 
de leurs trames. 

PAULET. 

On lui a confié une lettre en chijQTres pour la reine 
d'Êcos^e, et d'une nxain fidèle il nous l'a remise. 

ELISABETH. * 

Dites , quels sont leurs dèiiiiers projets ? 

MORTIMER. 

Us ont été frappés comme d'un coup de foudre en 
voyant la France: les abandonner, et conclure une 
étroite alliance avec- l'Angleterre ; maintenant leur 
espoir se^ porte sur l'Espagne. 

* ELISABETH. 

Walsingham me l'écrit ainsi. 



a4* MâKIE ST0ÀKT, 

■OIITIIIER. 

Le pape Sixte-Qumt Tient de lancar du Vatican 
uife bulle contre tous : die était parvenue à Rheims 
eomme j'eu partais-^ et le p^mier paquebot l'appor- 
tera dans cette ile. 

LEIGESTER. 

De pareilles armes ne font plus trembler rAn"- 
flleterre» 

Elles peuvent deveuir dangereuses dans la main 
des enthousiastes. 

ELISABETH, ««mlliiiuil MdrtStaiet arv«t péfatftrttioA. 

On vous accusait d'avoir strirvi les ëcoleâ de Rheîms, 
et d'avoir abjuré votre croyaouee. 

MORTiitBa. 

J'en ai &st le semManf ; je tk^e le nie points taiït était 
gradoide mon «rd^uif à vota servir. 

ÉLI^A BET H , à Pàvlét , qui tire un papUr. 

Que tenez-vous là ? 

C'est ua éevit que la reine d^É^osse vous adresse. 

BURLEIGH TCàit le taMi<ur«c empressement. 

DonnezHmoi ceMe lettre. 

P AU LET domw leipapier à la reine. 

Pardon:^' milovd trésorier; elle mi'a recommandé 
de remettre la lettre' auxs pvopres maiins de la reine. 
Elle dit toujours que je suis son/ ennemi; jesai^ 
l'ennemi de ses crimes :9eiilemenl; : tout ce qui à^ae- 
corde avec mon devoir, je le fais volontiers pour elle. 

( La reine a pris la lettre. Pendant qu'elle la Ut, Hiortimcr et Ucefler aerdÎMOt'^tt^ 

ques mots è yoix basse. ) 



ACTE II, SCÈHE IV. 241 

BITRLBfGB, k Pkolet. 

Que peut contenir cette lettre? de vaines plain- 
tes , que Ton aurait dû ëpargher au cœur sensible 
de la Reine. 

POULET. 

Elle ne m'a point caché ce que contient la lettre; 
elle sollicite la faveur d'être admise en présence de 
la Reine. 

Jamais. 

lALBOT. 

Pourquoi pas? Sa demande n'a rien que de juste. 

Celle qui a complote la mort de la Reine, qui 
avait soif de son sang, n'a pas mérité de jouir de 
son auguste aspect ; quiconque est fidèle à sa souve- 
raine ne peut lui donner ce mauvais, ce perfide 
conseil. 

TALBOT. , 

Si la Reine veut la sauver , deve^vous arrêta ç^ 
mouvement généreux de clémence ? 

B'URLEIGH. 

Elle est condamnée, sa tête est sous la hache. Il 
est indigne de la majesté royale d'admettre en sa 
présence celle qui, est dévouée à la mort. La sentence 
ne pourrait plus s'accomplir, si une fois elle avait 
vu la Reine; l'aspect du roi porte grâce. 

ÉLIS ABETH ennyBat ses larmes apr^ «voir lu la kitre. 

Qu'est-ce que l'homme ? qu'est-ce que le bonheur 
sur cette terre? Où en est-elle réduite , cette reine 
qui commença sa carrière ai^ÇQ 4§^ SH?^?nPW^ 9^ 

Toii. m; 16 



342 idÀftIE STUART, 

orgueilleuses , qui fut appelée sur le trône le plus 
ancien de la chrétienté, qui dans sa pensée croyait 
déjà réunir trois couronnes sur sa tête? Quel autre 
langage elle tient aujourd'hui, que lorsqu'elle prenait 
récusson d'Angleterre, et lorsqu'elle se laissait ap- 
peler par les flatteurs de sa cour, reine des iles 
britanniques ! Pardon , milords , mais mon âme est 
déchirée , mon cœur saigne , et je suis saisie de 
trouble quand je yois la fragilité des choses ter- 
restres , et les terribles coups du destin tomber si 
près de ma tête. 

■^ TALBOT. 

O reine ! Dieu a touché votre cœur ; écoutez cette 
émotion béleste : certes elle a expié cruellement ses 
cruelles fautes. Tendez-lui la main au fond de l'a- 
bime oh elle est tombée ; paraissez comme un ange 
de lumière dans la nuit funèbre de sa prison. 

BURLEIGH. 

Grande reine , montrez de la fermeté ; ne tous 
laissez pas égarer par un généreux sentiment dliu- 
manité ; ne vous privez pas du pouvoir de faire ce 
qu'exige la nécessité. Vous ne pouvez ni lui faire 
grâce , ni la sauver ; ainsi ne méritez point l'odieux 
reproche d'avoir, avec une joie cruelle et triom- 
phante , rassasié vos regards de la vue de votre 
victime.. 

LEICESTER. 

Demeurons dans les bornes detiotre devoir, mi- 
lords ; la Reine n'a pas besoin de nos conseils , elle 
saura dans sa sagesse choisir le meilleur parti : l'en- 
trevue de deux reines n'a rien de commun avec le 
cours ordinaire de la justice; les lois d'Angleterre, 



ACTE Ui SCÈNE V. 243 

et non pds la voloiitë de la Reine ^ ont condamné 
Marie. Il est digne de la grande âme d'Elisabeth de 
suivre les nobles impulsions de son cœur^ tandis 
que la loi conserve son inflexible rigueur. 

ELISABETH. 

Allez , milords ; - nous trouverons moyen d'unir 
convenablement ce qu'exige la clémence et ce 
qu'ordonne la nécessité. Maintenant, allez. (I/s 
sortent. Elle rappelle Mortimer. ) Sir Mortimer , 
un mot. 

» 

SCÈNE 'V. 

ELISABETH, MORTIMER. 

ÉLI S ABETH , après avoir , pendant'quelques momens , fixe sur lui de» regards pënrf- 

trans. 

Vous avez montré un courage déterminé et un 
empire sur vous-même rares à votre âge. Celui 
qui sait déjà sitôt pratiquer l'art difficile de la dis- 
simulation mérite d'être récompensé avant le temps, 
et abrège ses années d'épreuve. Le destin vous ap* 
pelle à parcourir une belle carrière, je vous le pré- 
dis; et cet oracle, je puis, pour votre bonheur, 
l'accomplir moi-même. 

MORTIMER. 

Grande reine, ce que je suis , ce que je puis être, 
est consacré à votre service- 

ELISABETH. 

Vous avez connu les ennemis de l'Angleterre; ?eur 
haine contre nM)i est irréconciliable , et leurs san* 



244 MARIE STUART, 

glan» desseing se renouvellent toujonis. Jusqu'à ce 
jour, il est vrai, le Tout-Puissant m'a préserrée. 
Cependant la couronne ne sera jaraab afSsrmie sur 
ma tête , tant que vivra celle qui sert de prétexte à 
leur zèle enthousiaste et qui nourrit leurs espé- 
rances. 

MORTIMER. 

Dès que vous l'ordonnerez elle ne vivra plus. 

ELISABETH. 

Hélas ! sir Mortimer, je croyais déjà me voir au 
but , et je ne suis pas plus avancée que le premier 
jour. Je voulais laisser agir les lois et conserver ma 
main pure de son sang : la sentence est prononcée , 
qu'ai-je gagné à cela ? U faut qu elle s'accomplisse , 
Mortimer, et c'est moi qui dois ordonner son exécu- 
tion. C'est toujours sur moi que retombe l'odieux j 
je suis contrainte à y donner mon aveu, et je ne 
puis sauver l'apparence. Voilà ce qui est le plus rude. 

MORTIMER. 

Que vous importe une fâcheuse apparence quand 
la chose est juste ? 

ELISABETH. 

Vous ne connaissez pas le monde , jeune homme ; 
chacun vous juge sur ce que vous paraissez , per* 
sonne sur ce que vous êtes. Je ne puis persuader que 
la justice est peur moi; ainsi je dois apporter mes 
soins à cacher dans un doute éternel la part que 
j'aurai à sa mort. Dans de telles affaires , qui peu- 
vent offrir deux aspects différens , la seule ressource 
c'est de s'envelopper dans une ombre mystérieuse. 
Ce qui est fâcheux ^ c'est d'avouer publiquement les 



ACTE II, SCÈNE V. 245 

choses; tant qiï'on se tient à l'écart il n'y a rien de 
perdu. 

MORTIMER la p^n^trant. 

Ainsi, le mieux serait.. •• 

Assurément, ce serait le mieux. Oh! c'est mon 
bon ange qui tous fait parler ; poursuives , achevez , 
cher Mortimer. Votre esprit est ferme , tous péné- 
trez au fond ; vous êtes un tout autre homme que 
votre oncle. 

MORTIMER interdit. 

Avez-vous montré au chevalier Paulet quel était 
votre désir ? 

ELISABETH. 

Je le regrette , mais je l'ai fait ainsi. 

MORTIMBR. 

Pardonnez à ce vieillard , les ans l'ont rendu scru- 
puleux. De tels coups exigent la force d'esprit de la 
jeunesse. 

ELISABETH Wv«»ent; 

Puis*je compter sur vous ? 

MORTIMER. 

Je vous prêterai mon bras. Tâchez de sauver 
votre renommée. 

ELISABETH. 

Âh ! Mortimer, si un matin vous veniez me réveil- 
ler avec cette nouvelle : Marie Stuart , votre stii- 
glante ennemie, cette nuit a cessé de vivre. 

MORTIMER. 

Comptez sur moi. 



^^ 



246 MARIE STUART, 

ELISABETH. 

Et quand pourrai-je enfin reposer d'un sommeil 
tranquille ? 

MORTIMER. 

A la prochaine lune vos craintes seront finies. 

ÊX.ISABETH. 

Adieu y sir Mortiner. Ne prenez aucun chagrin de 
ce que ma reconnaissance sera forcée d'emprunter 
le voile de la nuit. Le silence est un dieu qui pro- 
tège le bonheur. Les liens les plus étroits et les plus 
délicats sont ceux qui sont fondés sur le mystère. 

( Elle sort. ) 

SCÈNE VL 

MORTIMER seul. 

Va, reine fausse et hypocrite ; je te trompe, comme 
tu trompes le monde. C'est une chose juste, c'est 
une bonne action que de te trahir. T'ai-je donc paru 
ressembler à un assassin? Âs-tu donc lu sur mon 
fVont la vocation du crime? Fje-toi seulement à 
mon bras , et suspens tes coups; donne-toi aux yeux 
du monde la pieuse et ipensongère apparence de la 
clémence, tandis que tu comptes çn secret sur le 
succès de mon crime; va, et pendant ce temps là 
.nous gagnons des délais pour travailler à sa déli- 
vrance. Tu veu^ me porter à un rang élevé. Tu 
affectes de me iiiontrer dans le lointain une pré- 
cieuse récompense. £t quand toi-même et tes fa- 
veurs seraient Cette récompense , que possèdes-tu , 
^t que peux-tu donner? L'ambition et son vain éclat 



ACTE II, SCÈNE VIL 247 

ne me séduisent pas. C'-est elle seulement qui pos^ 
sède ce qui peut charmer la vie . Autour d'elle vol- 
tigent en chœur les heureuses et éternelles divinités 
de la jeunesse et de la grâce ; c'est sur son sein qu'est 
le bonheur céleste , et toi , tu ne peux accorder que 
des faveurs glacées. Jamais tu n'as joui du plus 
grand des biens , du plus bel ornement de la vie , 
de là vraie couronne de ton sexe. Tu ignores ce que 
c'est qu'un cœur à la fois entraîné et entraînant , 
qui , dans un doux oubli de lui-même , se donne à 
un ^utre cœur. Jamais ton amour n'a fait le bon- 
heur de personne. 

Il faut que j'attende ce lord pour lui remettre la 
lettre. Odieuse commission ! Mon cœur sent de l'é- 
loignement pour ce courtisan. Je puis la délivrer 
moi-même^ moi seul^ et retenir pour moi ledanger^ 
la gloire et la récompense. 

( n veut sortir , et rencontre Paulet.) 

SCÈNE VIL 

MORTIMER, PAULET, 

I 

PAtJLET. 

Que t'a dit la Reine? 

MORTIMER. 

Rien, sir Paulet, rien d'important. 

P A ULET le regerde fixement et d'un cnl t^Tère. 

Écoute , Mortimer, tu marches sur un chemin dan^ 
gereux et glissant. La faveui: des rois est attr^yaate » 



!»48 MARIE STUAR/f , 

et la jennesBe est «ride At^ hùtnenri. Ne te laisse 

point égarer par l'amliition. 

MORTIMER. 

Et n'est-ce pas vous-même qui m'avex conduit à 
la cour? 

PAULBT. 

Je regrette de l'avoir fait. Ce n'est pa« à la cour que 
l'honneur de notre maison a été gagné. Sois ferme ^ 
Mortimer. N'achète pas la faveur trop cher ; écoute 
la voix de ta conscience. 

•'MORTIMER. 

Quelle est vott^ pensée ? quel soin vous agite ? 

PAULET. 

Quelle que soit la grandeur oh la Reine a promis 
de t'élever, ne te fie point à ses flatteuses paroles. 
Quand tu lui auras obéi^ elle te désavouera. Elle 
voudra assurer l'honneur de son nom , et elle ven- 
gera le meurtre qu'elle-même aura ordonné. 

ilORflMEÏt. 

Le meurtre ^ dites-vous ! 

PAULET. 

Trêve à toute dissimulation. Je sais ce que la Reine 
a exigé de toi ! Elle espère que ta jeunesse ambitieuse 
sera plus complaisante que mon inflexible vieillesse. 
Lui as-tu promis ? Âs-tu .... 

MORTIMER. 

Mon oncle.... 

PâULBT. 

Si tu Tas fiiit, je te maudis ^ cl rejette de.... 



ACTE II, SCÈNE VIII. 149 

L£IGEâ^ER«iitoe. 

Sir Paulet^ perâiettez. J'ai un mot à dire à TOtre 
neveu. La Reine est favorablement disposée pour 
lui. Elle veut que la garde de lady Stuart lui soit 
entièrement confiée. Elle se repose sur sa fidélité. 

PAULET. 

Elle s'y repose?.... bien. 

LEIGESTER. 

Que dites-vous, chevalier Paulet? 

PAULET. 

La Reine s'en repose sur lui ; et moi 1 milord , je 
m'en répose sur moi-même ^ et j'ai les yeux ouverts. 

(Dwrt.) 

SCÈNE VIIL 

LEICESTER, MORTIMER. 

LËIGESTSa 

Que Toalait dire le 

MORTIMER. 

Je l'ignore. La coofittuce inattendue que m'ac- 
corde la Reine 

LEI G E STSR k regnèiat •««> ptatftmiMui. 

Et méritea-vous p sir Mwtinfcer, que l'on se confie 
ji vous? 

MORTIMER, 8ur-le-«]umag^. 

Je vous ferai la même question , milord Leicester. 

LEIGESTER. 

Vous avez à me parler en secret. 



aSo MARIE STUART, 

MORTIMER. 

Assurez-moi d'abord que je puis l'oser. 

LEICESTER. 

Et qui me donnera cette assurance pour vous? 
Ne vous- offensez pas de ma méfiance. Vous tous 
montrez ici sous deux faces différentes. Il en est une 
qui nécessairement est fausse; mais quelle est la 
véritable? 

MORTIMER. 

Xen puià dire autant de tous, comte de Leicester. 

LEICESTER. 

Lequel doit le premier abjurer la réserve? 

MORTIMER. 

Celui qui court le moins de danger. 

LEICESTER. 

Eh bien! c'est vous. 

MORTIMER. 

C est vous au contraire. Le témoignage d'un lord 
puissant et considérable pourrait me perdre , et le 
mien ne pourrait rien contre votre rang et votre fa- 
veur. 

LEICESTER. 

Vous VOUS trompez, sir Mortimer ; en toute autre 
affaire y je suis puissant ici, mais sur le point délicat 
oii il faut que je me livre à votre bonne foi, je suis 
dans cette cour le moindre des hommes , et le plus 
méprisable témoignage pourrait me perdre. 

MORTIMER. 

Le tout-puissant lord Leicester s'abaisse' devant 
moi, au point de me faire un tel aveu. J'ose pré«< 



ACTE II, SCÈNE VIII. a5/ 

sumer de moi davantage , et je lui donnerai un 
exemple de grandeur d'âme. 

LEIGESTSR. 

Montrez«-moi de la franchise , je vous imiterai* 

MORTIMER, présentant avec promptitude la lettre. 

La reine d'Ecosse vous envoie cette lettre. 

LEICESTER effraye , saisit la lettre précipitamment. 

Parlez bas^ sir Mortimer. Ah ! que vois-je? Hëlas ! 
c'est son portrait. 

M O RT I M E R f qui pendant la lecture Ta regardé attentirement . 

Milord, maintenant je me fie à vous. 

LEICESTER, après avoir parcouru rapidement la lettre» 

Sir Mortimer, vous savez ce que contient cette 
lettre? 

MORTIMER. 

Je ne sais rien. 

LEICESTER. 

Elle vous a sans doute confie. . . . 

MORTIMER. 

Elle ne m'a rien confie : Vous devez , a-t-elle dit , 
m'ëclaircir cette énigme. C'est en effet une énignie 
pour moi que de voir le comte de Leicester, le favori 
d'Elisabeth , un des juges de Marie, et compté parmi 
ses ennemis , être l'homme en qui la reine a placé 
l'espoir d'une heureuse délivrance. Cependant, cela 
doit être ainsi, car vos yeux expriment avec trop de 
vérité ce que vous éprouvez pour elle. 

LEICESTER. 

Découvrez-moi d'abord comment il se fait que 



âSa MARIÉ STUART, 

TOUS preniez à son sort un intérêt aussi passionne , 
et comment vous avez gagne sa confiance. 

ttORTIHER. 

C'est ce dont je puis , milord , tous éclaircir en 
peu de mots. J'ai abjuré ma croyance à Rome, et je 
suis attaché aux Guises. Une lettre de rarchevéque 
de Rheims m'a accrédité auprès de la reine d'Ecosse. 

LEIGESTER. 

Je savais votre changement de religion , et c'est 
ce qui vous a acquis ma confiance. Donnez*moi la 
main> pardonnez-moi mes doutes; je ne saurais 
user de trop de précautions. Walshingham et Bur- 
leigh me haïssent, je le sais, et me tendent des ena- 
bûches secrètes. Vous pouviez être leur créature^ 
leur instrument , pour m'attire;r dans le piège. 

MORTIMER. 

Ah ! qu'un si grand seigneur marche timidement 
dans cette cour! Je vous plains, conite. 

LEIGESTER. 

Je me jette avec joie dans le sein d'un aïni fidèle , 
et je me soulage enfin d'une longue contrainte. Vous 
êtes surpris, Mortimer, que mes sentimens pour 
Marie aient si rapidement changé; jamais, dans le 
&it, je n'avais eu de haine pour elle. La nécessité 
des temps m'avait fait son ennemi. Vous savez qu'il 
y a déjà bien des années qu'elle m'avait été destinée; 
avant qu'elle eût donné sa main à Darnley , lors- 
qu'elle brillait encore de tout l'éclat de sa grandeur. 
Je répoussai aloss firoidemeiit ce Ibonheur ^ et main* 



ACTE II, SCÈNE VIII. rS^ 

tenant qu'elle est en prison, aux portes de la minrt , 
je cherche à l'obtenir au péril de ma Tie. 

MORTIMKR. 

Voilà une conduite généreuse. 

LEICËSTER. 

Depuis y les choses ont bien changé de face. Ce- 
^tait l'ambition qui me rendait insensible à la jeu-* 
nesse et à la beauté. Je ne trouvais pas alors l'hymen 
de Marie assez grand pour moi ^ j'espérais posséder 
la reine d'Angleterre. 

MORTIMER. 

On sait qu'elle tous a j^éféré au restée dea hociw 
mes. 

LEIGESTEK. 

Cela semblait ainsi ^ sir Mortlmer; et mainte- 
nant , après dix années perdues d'une infatigable 
assiduité^ d'une détestable contrainte.... Âh! Mor- 
timer ! il faut que je tous oi^vre mon cœur ; il faut 
que je me soulage d'une longue oppression. On me 
croit heureux! ah! ^ l'on garait ce que sont ces 
chaînes que l'on m'envie!... Quand j'ai sacrifié à 
l'idole de la vanité dix années amères et éteradles ; 
quand ^ avec la complaisance d'un esclave , je me 
suis soumis aux variations de ses caprices despoti- 
ques ; quand j'ai été le jouet de sa bizarrerie et de 
ses moindres fantaisies ; tantôt caressé par sa ten«^ 
dresse, tantôt repoussé avec une réserve orgueil- 
leuse; également vexé par sa faveur ou *par saséW*- 
ritéj gardé comme un prisonnier par l'œil perçai^t 
de la jalousie; interrogé sur mes actions comme nn 



154 MARIE STU ART, 

enfiint; outrage comme un valet... Oh ! il n'est pas 

de parole pour peindre un tel enfer ! 

MÔRTIMER. 

Je vous plains , comte. 

LEICESTËR. 

Et quand je touche au but , on me ravit la rëcom** 
pense. Un autre vient m'enlever les fruits d'une 
constance qui m'a tant coûte; je perds des droits 
établis depuis si long-temps; un époux, dans la 
fleur de la jeunesse, me les enlève, il faut que je 
descende de ce théâtre où si long-temps j'ai brillé le 
premier. Ce n'est pas sa main seule , c'est sa faveur 
que je suis menacé de voir passer à c^ nouveau 
venu. Elle est femme, et il est fait pour plaire. 

MORTIMER. 

Il est fils de Catherine ; il à dû apprendre à une 
bonne école l'art de la séduction. 

LEICESTËR. 

Ainsi croulent mes espérances. Dans ce naufrage 
de ma fortune, je cherche une planche où me sau- 
ver; et mes regards, se reportent vers de premiè- 
res et belles espérances. L'image de Marie, dans 
tout l'éclat de ses charmes, est venue se représenter à 
moi. La jeunesse et la beauté rentrèrent alors'dans 
tous leurs droits ; ce ne fut plus une froide ambition , 
c'est le cœur qui compara, et je sentis quel trésor 
j'avais perdu. Je la vis avec terreur précipitée dans 
l'abîme du * malheur , et précipitée par ma faute. 
Alors s'éveilla en moi l'espérance de la délivrer , et 
de la posséder. J'ai pu; au moyen d'une main fidèle. 



ACTE II* SCÈNE VIII. :ïS5 

lui rëyëler le changement de mon cœur. Cette let- 
tre que TOUS m'apportez m^assure qu'elle me par-^ 
donne ^ et que si je la délivre^ elle se donnera à 
moi pour récompense. 



MORTIMER. 



Vous n'avez rien fait pour la délivrer. Vous l'avez 
laissé condamner, vous avez donné votre propre 
voix pour sa mort! Il a fallu un miracle; il a fallu 
que la lumière de la vérité touchât le neveu de son 
geôlier ; il a fallu que le ciel lui préparât au Vati- 
can , à Rome, un libérateur inattendu, seulement 
pour qu'elle pût trouver un chemin jusqu'à vous. 



LEIGESTER. 



Hélas, sir Mortimer , j'en ai ressenti assez de dou- 
leur. Vers ce temps-là , elle fut transférée du châ- 
teau de Talbot à Fotheringay , et confiée à la surveil- 
lance sévère de votre oncle. Toute voie pour arriver 
à elle fut interdite. Il me fallut continuer , aux yeux 
du monde, à la persécuter. Cependant ne pensez 
pas que j'eusse jamais pu souffrir qu'elle allât à la 
mort. J'espérais, et j'espère encore prévenir de 
telles extrémités, jusqu'au moment où un moyen 
s'offrira de la délivrer. 

MORTIMER. 

Le moyen est trouvé. Leicester, votre noble con- 
fiance mérite un juste retour; je veux la délivrer, 
c'est pour cela que je suis ici : les' mesures sont déjà 
prises ; votre puissante assistance nous assure d'une 
heureuse réussite. 



256 , MARIE STUART, 

LEIGESTER. 

Que dites - vous ? vous m'effrayez ! Quoi ! vous 
voulez.... 

MORTIMER. 

L'arracher de vive force de sa prison. J'ai des 
compagnons ; tout est prêt. 

LEIGESTER. 

Vous avez des confidens de votre dessein ? Mal*- 
heur à moi I dans quel hasard voms m'enb^unez 1 
Us savent aussi mon secret? 

N*ayez point de souci ; le projet a été formé sans 
vous , il sera accompli sans vous : mais elle a voulu 
vous devoir sa délivrance. 

LEIGESTER. 

Ainsi vous pouvez m'assurer avec toute certitude 
que mon nom n'a pas été prononcé dans votre com-* 
juration ? 

MORTIMER. 

Soyez tranquille. Eh quoi , tant de scrupules in- 
quiets sur une nouvelle qui vous est favorable! 
Vous voulez délivrer Marie et la posséder^ vous trou- 
vez tout à coup des amis sur lesquels vous ne comp- 
tiez point , un moyen subit vous tombe du ciel ! ce- 
pendant vous montrez plus de trouble que de joie. 

LEIGESTER. 

Il ne faut point de violence; une entreprise té* 
mécaire est trop dangereuse. 

MORTIMER. 

La lenteur Test ausssi. 



ACTE H, SCÈNE VIIL a57 

LEIGESTER. 

Je VOUS le dis, Mortimer, cela ne peut pas être 
essayé. 

MORTIMER, avec amertume. 

Oui, par tous, qui voulez la posséder; mais 
nous , qui ne voulons que la délivrer, nous n'ayops 
point tant d'hésitation. ' \ 

LEIGESTER. 

Jeune homme , vous vous montrez trop passionné 
dans une affaire difficile et dangereuse. 

MORTIMER. 

Et VOUS trop prudent, quand il y va de l'honneur. 

\ LEIGESTJSR. - , • 

Je vois' les filets qui nous environnent de toutes 
parts. 

MORTIMER. . 

Je me sens le courage de les rompre tous. 

LEIGESTER. 

Ce çoiu*age est un délire , une folle^ témérité. . 

MORTIMER. 

Cette prudence n'est pas courageuse, milord. * 

LEIGESTER. 

Souhaitez-vous donc de finir comme Babington ? 

MORTIMER; 

Et vous, vous ne voulez point imiter la grandeur 
d'âme de Norfolk? 

LEIGESTER. 

Norfolk a-t-<il réussi à conduire Marie à l'autel ? 
ToM. III. 17 



aSS MARIE STUÀAT, 

i 

MOR^IMER. 

Il a^du ^noins montre qu'il en était digne. 

LEIGESTER. 

Ce n'est pas en mourant que nous la sauverons. 

MORTIMER.- 

' Ce n'est pas en ménageant notre vie que nous la 
délivrerons. 

LEIGESTER. 

Vous ne réflécbjl^ez ppint , vous n'écoutez point ; 
votre aveuglç çt impétuieiuse vivacité va détruire 
tout ce qui était en si bon chemin. 

MORTIMER. 

Et queVest ce si bon chemin que vous aviez tracé? 
qu'avez -vous fait pour la délivrer? Eh quoi! si 
j'eusse été assez misérable*. pour yaâsassiidfMr comme 
la Reine me Fa ordonné ^ et comme à l'heure même 
elle espère encore que je le ferais dites-moi ^ quel 
moyen aviez-vous préparé pour préserver sa vie ? 

LEIGESTER, surpris. 

La Rieine voua â ^doni^é cet ordre sanglait? 

MORTIMER. 

Elle s'est i^éprise sur moi^ comme Marie s'est mé- 
prise sur vous. 

LEIGESTER. 

Et vous avez promis^ vous avez.... 

MORTIMRR. 

Pour qu'elle ne fit pas cboHC'dfune autre» main j'ai 
offert la mienne. 

LEIGESTER.. 

Vous avez bien fait ; ceci nous met à l'aise. Elle se 






.j 



ACTE II, SCÈNE \IIL aSg 

repose sur votre sanglante promesse; la sentence 
demeure sans exécution y et nous gagnons du temps* 

BfORTIMER, avec impatience. 

Nous perdons du temps. 

LEICESTËR. 

Comptant sur vous , elle renoncera d'autant moins 
à se donner aux yeux du monde Thonneur apparent 
de la clémence. ^.-^Peul'^etre poûrrai-je adroitement 
lui persuader d'attàî|> une entrevue avec sa rivale , 
et alors elle aura les oUsiins liées. Bùrleigh a raison ; 
la sentence ne pourra plus êti^ exécutée du moment 
qu'elles se seront vues* Voilà à quoi je veux réussir^ 
et je disposerai tout pour cela# 

MORTIMER. 

Et qu'obtieudrez-vous par-là ? lorsque Voyant là 
t ie de Marie se prolonger , la Reine recon naîtra qu'elle 
s'est trompée sur mol , tout ne sera-t-il pas comme 
auparavant ? Elle ne serait jamais libre ; et ce qui 
pourrait lui arriver de plus heureux , ce serait une 
éternelle captivité. Il vous faiidrait cependant finir 
par une tentative hardie : pourquoi ne voulez-vous 
pas commencer par-là ? Vous en avez la puissance 
entre les mains ; vous pouvez rassembler une ar- 
mée, ne fût-ce qu'en armant la noblesse de vos 
nombreux domaines. Marie a encore beaucoup d'a- 
mis secrets. Les nobles maisons des Percy et des 
Howard, bien que leurs chefs aient été abattus, 
sont encore riches en héros; elles attendent seule- 
ment que quelque seigneur puissant leur . donne 
l'exemple. Plus de dissimulation; agissez ouverte- 
ment, défendez en chevalier celle que vous aimez. 



26o MARIE STU ART, 

Livrez un noble combat pour elle. Vous serez maître 
de la personne.de la reine d'Angleterre quand vous 
le voudrez; attirez-la dans un de vos châteaux : 
souvent elle vous y a suivi. Là, montrez-vous homme, 
parlez en maître , assurez-vous d'elle , et retenez-la 
jusqu'à ce qu'elle ait délivré Marie. 

LEICESTEH. 

Je m'étonne et je frémis. Où vous entraîne le dé- 
lire? Connaissez-vous cette contrée? savez- vous ce 
que c'est que cette cour? savez-vous dans quels liens 
étroits une reine sait contenir tous les esprits ? Cher- 
chiez cet héroïsme qui jadis animait cette terre? il 
a succombé sous le joug d'une femme. Le courage 
de toutes les âmes est abattu ; suivez ma direction , 
^'entreprenez rien légèrement. J'entends venir, 
sortez. 

MORTIMER. 

Marie espère , et je ne lui rapporterai que de 
vaines consolations. 

,, ' LEICESTÊR. 

Rappprtez-lui le serment de mon éternel amour. 

< . . ; MORTIMER; 

Portez-le lui vous-même. Je veux bien servir d'in- 
strument pour sa délivrance, mais non pas de mes- 
sager à votre amour. 

(Dsorl. ) 



ACTE II, SCÈNE IX. 261 

SCÈNE IX. 

ELISABETH, LEICESTER. 

ELISABETH. 

Avec qui étiez-vous? j'ai entendu parler. 

LEICESTER se retourne rapidement en entendant la voix de la reine, et paratt 

troublé. 

C'était sir Mortimer. 

ÉUSABETH. 

Qu avez-vous , milord, vous êtes troublé? 

LEICESTER reprend contenance. 

Votre aspect.... Jamais je ne vous vis si char- 
mante; j'ai demeuré ébloui de votre beauté. Hélas ! 

ELISABETH. 

Pourquoi soupirer? 

LEICESTER. 

Et n'ai-je pas sujet de soupirer? lorsque je con- 
temple vos attraits , je renouvelle l'idée de la perte 
qui me menace , et j'accrois une douleur si amère ! 

ELISABETH. 

Que perdez-vous ? 

V 

LEICESTER. 

Je perds votre cœur ; je vous perds , vous qui êtes 
si adorable : bientôt vous trouverez le bonheur dans 
les bras d'un jeune et ardent époux ^ et il possédera 
votre cœur sans partage. Il est d'un sang royal ^ et 
je n ai point cet honneur; mais je défie le monde en- 



a62 MARIE STUART, 

tier d'offrir un seul homme qui ressente pour vous 
une adoration plus vive que la mienne. Le duc 
d'Anjou ne vous a jamais vue , il ne peut aimer que 
votre gloire et votre splendeur ; moi , c'est vous que 
j'aime. Vous seriez la plus pauvre bergère , et moi le 
plus grand prince de la terre^ que je m'empresserais 
de descendre de mon rang pour mettre mon dia- 
dème à vos pieds. 

ÉLISA-SETH. 

Plaignez moi ^ Dudley^ ne me reprochez rien. Je 
n'ose interroger mon cœur. Hélas! il eût fait un 
autre choix. Ah ! combien j'envie les autres femmes , 
qui peuvent à leur gré élever l'objet de leur amour. 
Je n'ai pas eu assez de bonheur pour pouvoir placer 
la couronne sur le front de l'homme que je préfère 
à tous les autres. Il a été accordé à Marie Stuart de 
donner sa maiq d'après ses penchans ; elle s'est tout 
permis , elle s'est enivrée dans la coupe de tous les 
plaisirs. 

LEICESTER. 

Et y maintenant , elle épuise le calice amer de la 
douleur. 

ELISABETH. 

Elle \ n'a jamais respecté en rien l'opinion des 
hommes; elle a vécu légèrement^ jamais elle ne 
s'est imposé le joug auquel je me soumets. Je pou- 
vais bien aussi prétendre au droit de jouir de la vie, 
de respirer librement ; înais j'ai préféré les devoirs 
sévères de la royauté. Et pourtant elle s'est concilié 
la faveur de lous les hommes ; elle ne s'est point 
efforcée d'être plus qu'une femme, et la jeunesse et 
la vieillesse l'entourent de leurs hommages. Ainsi 



ACTE II, SCÈNE ÎX. a63 

sont les hommes. Le "plaisir les attire tous. Ils s'em- 
pressent vers la firivolité et k volupté, et iie cott- 
naissent point le prix de ce tgti'ïls devratent rè&pec^ 
ter. Ce Talfcol lui-^néttte hé semblait-il pas ste 
rajeuïiir, en paï*lant de ses attraits. 

LEÏGESTÊR. 

Excusez-le : il a été son gardien , et par d'àdroitës 
flatteries elle a égaré son esprit. 

ELISABETH. 

Est-il vrai en effet qu'elle soit si belle? Si souvent 
j'ai entendu célébrer sa figure , que je voudrais sa- 
voir ce qu'on en doit penser. Les peintures sont 
flatteuses, les récits mensongers ; je ne m'en rappor- 
terais qu'au jugement de mes propres yeux. Mais 
pourquoi me regardez-vous ainsi? 

LEICESTER. 

Je vous place dans ma pensée à côté de Marie. 
Je. désirerais, je ne m'en cache pas, avoir le plaisir, 
si cela pouvait se faire secrètement , de vous voir 
en regard de Marie. Alors, pour la première fois^ 
vous jouiriez de tout votre triomphe; je me rqoui- ' 
rais de contempler son humiliation , lorsque par ses 
propres yeux, car l'envie a les yeux pénétrans, elle 
se verrait convaincue que vous l'emportez sur elle 
par la noblesse de vos traits, aussi-bien que par 
toutes les vertus de l'âme. 

ELISABETH. 

Elle est plus jeune. 

LEÏCESTER. 

Plus jeune! à la voir on ne le croirait pas. Sesu 



264 MARIE STUART, 

douleurs, il est vrai, ont pu la vieillir ayant le 
temps. Ce qui rendrait son chagrin plus amer, ce 
serait de Toir en vous une nouvelle fiancée. Les 
belles espérances de la vie sont maintenant loin 
derrière elle , et elle vous verrait au contraire mar- 
cher vers le bonheur ; elle , qui jadis se prévalait 
et se montrait si orgueilleuse de lalliance de la 
France, dont elle implore encore maintenant l'ap- 
pui , elle vous verrait fiancée avec un royal fils de la 

France. 

* 

ELIS AB ET H , avec ahandon el négligence. 

On me persécute pour que je la voie. 

^ LEICESTER, vivement. 

Elle le demande comme une faveur , accordez-le 
comme une punition. Vous l'enverriez sur un san- 
glant échafaud , qu'elle en souffrirait moins que de 
se voir effacer par vos attraits. Par-là vous lui don- 
nerez le coup mortel, comme elle voulut vous le don- 
ner. Quand elle apercevra votre beauté , conservée 
par la sagesse , illustrée par une gloire vertueuse et 
sans tache que dans ses ardeurs frivoles elle a dé- 
daignée, rehaussée de l'éclat d'une couronne, et 
maintenant ornée de l'aimable parure d'une fiancée; 
ah ! c'est alors que l'heure de sa ruine aura sonné ! 
Oui, quand je jette lés yeux sur vous , il me semble 
que jamais vous n'avez eu autant d'avantage pour 
disputer le prix de la beauté. Quand vous êtes en- 
trée, j'ai été frappé de l'éclat de vos charmes. Pour- 
quoi , telle que vous voici , telle que vous êtes main- 
tenant, ne pouvez-vous vous montrer à elle; vous 
ne trouverez jamais une heiire plus favorable. 



ACTE II, SCÈNE IX. 265 

ELISABETH. 

Maintenant. Non , non y Leicester, non pas main- 
tenant. Il faut que je réfléchisse , et qu'avec Bur- 
leigh 

LEIGESTER, vivement. 

Burleigh. Il ne pense qu'au bien de votre royaume. 
Mais comme femme 9 vous avez aussi d'autres droits^ 
et ce point délicat doit être réglé par vous, et 
non par un homme d'état. Hé, la politique ne con- 
seille-t-elle pas ^ussi de voir Marie , et de se con- 
cilier l'opinion publique par une démarche géné- 
reuse ? vous pourrez après vous délivrer d'une 
ennemie détestée de la manière qui vous conviendra. 

ELISABETH.. 

Il né serait pas convenable que je visâe ma parente 
dans le dénûment et l'humiliation. On dit qu'elle 
n'est environnée d'aucun éclat royal j et l'aspect de 
ce dénûment serait un reproche pour moi. 

LEICESTER. 

Il est inutile que vous approchiez de sa demeure. 
Écoutez mon conseil. L'occasion est telle qu'on la 
peut souhaiter. On fait aujourd'hui une grande 
chasse , elle vous conduira devant Fotheringay, 
Marie sera dans le parc , vous 'entrerez comme par 
hasard. Il faut que rien ne semble préparé d'avance. 
S'il ne vous convient pas de lui parler, vous pourrez 
ne pas lui adresser la parole. 

ELISABETH. 

Si ce que je fais n'est point raisonnable , la faute 
en est à vous, Leicester, et non à moi. Je veux au- 



^^■■di^d 



2i66 MARIE STUART, 

jourd'hui ne tous rien refuser^ car tous êtes, de tous 
mes sujets^ celui que j'ai le plus affligé. (Elle le 
regarde tendrement. ) Et quand ce ne serait qu'une 
fantaisie de vous... c'est une preuve d'affection que 
d'accorder de son plein gré ce qu'on n'approuve pas. 

(LtîovUr M jette h fenonx defint bUi. La Coile t0mbh. ) 



FIN DU DEUXIÈME ACTE. 



ACTE m, SCÈNE 1. sôj 



9W¥M^m*^nn>9itt*fvvw n mnivvyt^m^nivM/^m%%m»nnitnm%* M 0%.'tmk*mtm*f%nfV^%^n^tn%M*ww^^/*^'tn%%i%^ 



ACTE TROISIEME. 



La scène représente un paysage dans un parc ; des arbres sont 
sur le devant ; au fond , une perspective lointaine. 

SCÈNE PREMIÈRE. 

MARIE marche d'un pas rapide à travers les aï'bres , 
KENNEDY la suit plus lentement. 

KENNEDI* 

Il semble que vous ayez des ailes ; vous marcher 
dun pas si rapide^ que je ne puis vous suivre. 
Attendez-moi. 

MARIE. 

Ah! laisse-moi jouir du plaisir nouveau de la 
liberté. Laisse-m'en jouir comme un enfant , imite- 
moi. Laisse-moi sur le vert gazon de la prairie 
courir, voler d'un pas précipité. Suis-je en effet sortie 
de mon obséur cachot? Ce triste tombeau ne me 
tient-il plus renfermée. Laisse-moi m'abreuver à 
longs traits dans la libre atmosphère des cieux. 

KEKNEDI. 

ma chère maîtresse, votre prison est seulement 
un peu moins resserrée. — Vous ne voyeaj pas les 
murs qui nous renferment , parce que l'épais feuil- 
lage des arbres les cache à vos yeux. 



a68 MARIE STUART, 

MARIE. 

Eh bien ! grâces , grâces soient rendues à la ver- 
dure de ces arbres bjlenfaisans qui cachent les murs ^ 
de ma prison. Je veux rêver que je suis libre et heu- 
reuse. Pourquoi me tirer de ma douce illusion? Ne 
suis-je pas sous la vaste voûte des cieux? Les re- 
gards libres et sans obstacles s'étendent sur un espace 
sans bornes. Là^ où s'élèvent ces antiques montagnes 
nuageuses, commence la frontière de mon royaume; 
et ces nuages qui courent vers le midi , ils vont cher- 
cher l'Océan et la France. 

Nuages rapides dont le ventsemble enfler les voiles, 
ah ! qui pourrait voyager, voguer avec vous! Saluez 
pour moi la terre de ma jeunesse. Je suis prisonnière, 
je suis dans les fers, hélas! je n'ai point d'autres 
ambassadeurs; vous traversez librement les airs, 
vous n'êtes point soumis au pouvoir de cette reine. 

KENNEDI. 

Helas! ma chère maîtresse, vous êtes hors de 
vous; ce retour à la liberté, qui vous fut si long- 
temps ravie, vous égare. 

MARIE. 

Là un pêcheur conduit sa barque. Ce misérable 
esquif pourrait servir à ma délivrance , et ihe trans- 
porter rapidement dans quelque ville amie. Il sert à 
procurer Une subsistance modique à ce malheureux. 
Ah ! s'il me prenait dans son canot , je le chargerais de 
trésors. Jamais il n'aurait fait une aussi bonne jour- 
née ; il devrait à ses filets le bonheur du reste de sa vie. 

KENNEDI. 

Inutiles souhaits. Et ne voyez-vous pas que des 



ACtE III^ SCÈNE I. 269 

espions surveillent de loin tous nos pas. De sinistres 
et cruels ordres écartent de nous toute créature 
compatissante. 

MARIE. 

Non , chère Anna , crois-moi, ce n'est pas en vain 
que la porte de ma prison s'est ouverte. Cette faveur 
légère présage un bonheur plus grand. Je ne me 
trompe pas. C'est la main empressée de l'amour à 
qui j'en dois rendre grâce. Je reconnais ici la puis- 
sante protection de lord Leicester j ma captivité de- 
viendra de moins en moins étroite. Par un peu de 
liberté , on m'accoutumera à une liberté plus grande, 
jusqu'à ce qu'enfin je puisse voir celui qui doit 
rompre mes chaînas pour toujours. 

KENNEDI. 

Hélas! je ne puis m'expliquer cette contradiction. 
Hier encore on vous annonça la mort, et aujourd'hui, 
tout à coup, une telle liberté ! J'ai entendu dire qu'on 
ôtait les chaînes à ceux qui attendent l'éternelle dé^ 
livrance. 

MARIE. 

Entends-tu les sons de la trompe? Entends-tu 
retentir ces cris à travers la forêt et les campagnes? 
Que ne puis-je m'élancer sur un clieval rapide parmi 
cette troupe joyeuse! Ah! ces sons me rappellent 
des souvenirs à la fois douloureux et doux ; souvent 
ils frappèrent mon oreille, quand la chasse bruyante 
iretentissait sur les bruyères élevées des montagnes. 



^lo MARIE STUART, 

SCÈNE IL 

Les précédens; PAULET. 

PAULET. 

Hé bien ^ madame^ êtes-vous enfin contente de 
moi! Ai-je une fois mérité YOtre reconnaissance? 

MARIE. 

Quoi ^ eheTulier^ sejrait-^e t(hi9 qui m'^uriei; <^ 
tenu cette faveur? Swait-^e tous? 

PAtJLÇT, 

Pourquoi ne serait«<-ce pas moi? Je suis allé à la 
cour^ et j'ai remis votre lettre. 

MARIfi. 

Vous Favez remise? Réellement vous Fauriez fait 
liinsi? Et eette liberté dont je jouis maintenant est 
un fruit de ma lettre ? 

PAULET. 

Et ce ne sera pas le seul ; préparez-vous, à en re- 
cueillir un plus grand' 

i 

MARXE. 

U^ plus grand 9 sir Paulet! que voulez-vous diire? 

PAULET. 

Vous entendez les sons du cor. 

MARIE recule avec preMentimant *' 

Vous m'effrayez. 

PAULET. 

La Reine chasse près de ce lieu. 



ACTE III, SCÈNE II. 271 

MARIE. 

Eh bien ! 

PAULET. 

Dans peu d'instans^ elle paraîtra devant vous. 

KENNEDI courant vers Marie, qui, toute tremblante, semble prête i s^vanouir. 

iju'avez-vous , ma chère maîtresse ? Vous pâlissez. 

PAULET. 

Eh, quoi! ai-je doue eu tort? N'était-ce pas votre 
désir? il a; été satisfait plujs tôt que vous ne le pensiez. 
Yous^ dont la bouche s'exprime si facilement^ c'est 
maintenant que les discours sont de saison^ c'est 
mainten^Uft ^VU convient de parler. 

MARIE. 

Ah ! pourquoi ne m'a-t-on pas préparée! xnain- 
tenahty je sui$ mal rassurée , je ne suis point dispo- 
sée. Ce que j*ai sollicité comme une suprême faveur 
me semble maintenant effrayant et terrible. Viens, 
Aiîna, reconduis-moi que je reprenne des forces et 
de l'assurance. 

PAULET. 

' Demeurez; il faut l'attendre ici. Je conçois bien 
que vous ressentiez quelque angoisse de paraître 
ainsi devant votre juge. 



272 MARIE STUAAf, 

SCÈNE m. 



« r- 



Les précédèns; TALBOT. 

MARIE. 

Ah! ce n'est pas là ce qui m agile. Dieu! j'ai un 
tout autre souci. Hëlas! noble Schrewsbury, vous 
venez à moi comme an ange envoyé du cieL Je ne 
puis la voir, délivrez-moi, délivrez-moi de son 
odieuse vue. 

TALBOT. 

Revenez à vous , reine j rappelez votre courage > 
voici l'heure décisive. 

MARIE. 

Je l'ai attendue long-temps. Depuis bien des an- 
nées, je m'y suis préparée; je me suis dit souvent, 
et j'ai gravé dans ma pensée, comment je voulais la 
toucher et l'émouvoir. Tout est oublié, tout est effacé 
soudainement , et en ce moment je ne retrouve en 
moi d'autre sentiment que le souvenir cuisant de ce 
que j'ai souffert. Tout mon cœur se soulève d'une 
haine sanglante contre lelle. Toutes mes bonnes pen- 
sées m'échappent , et il semble que les sinistres fu- 
ries m'entourent en secouant leurs serpens. 

TALBOT. 

Commandez à cet epiportement farouche et fu- 
rieux. Renfermez l'amertume de votre cœur; le 
combat de la haine contre la haine ne peut produire 
rien de bon. Quelque révolte intérieure que vous 
éprouviez , obéissez à la nécessité des circonstances ; 
elle est la plus forte. Humiliez-vous. 



ACTE III, SCÈNE III. 273 

MARIE. 

Devant elle? non , jamais. 

TA L BOT. 

Il le faut cependant. Parlez avec respect, avec 
résignation : appelez-en à sa générosité , ne la bra- 
vez pas. Il ne s'agit pas maintenant de vos droits, 
ce n'est pas le moment. 

MARIE. 

Ah ! c'est l'arrêt de ma perte que j'ai sollicité , et 
ma prière a été exaucée pour mon malheur. Nous 
n'aurions dû jamais nous voir, jamais ; rien, rien de 
bon n'en saurait advenir : le feu et l'eau s'accorderaient 
plutôt ensemble , l'agneau jouerait plutôt avec le 
tigre. Je suis trop profondément blessée; j'ai trop 
souffert par elle : jamais, jamais il n'y aura de par- 
don entre nous. 

TALBOT. 

Voyez-la seulement d'abord. J'aî aperçu quelle 
était émue par votre lettre , ses yeux ont versé des 
larmes ; non , elle n'est pas insensible : prenez une 
meilleure confiance. C'est pour cela que je me suis 
hâté au-devant d'elle pour vous donner de l'assu- 
rance et vous avertir. 

MARIE, lui prenant la main. 

Hélas ! Talbot , vous avez toujours été mon ami ; 
que ne suis-je demeurée sous votre garde bienfai- 
sante ! On m'a traitée bien durement, Schrewsbury . 

TALBOT. 

Oubliez tout en ce moment ; pensez seulement 
avec combien de soumission vous devez l'abordei . 

TOM. III. lâ 



274 MAaiE STOART, 

MAEIE. 

Burleigh mon mauvais génie est-il aussi avec elle? 

TALBOT. 

Elle n'-est*ccwnpagnée que du^omie de Leicester. 
Lord Leicesterl 

TALBOT. 

Ne craignez rien de lui , il ne veut point votre 
perte; et si la Reine a consenti à cette entrevue, 
<;'est son ouvrage. 

MARIE. 

Ah ! je le savais bien. 
Que dites-vous ? 

PAULET. 

Voici la Reine ! 

(Tous se retirent. Marie demeure seule appuyée sur Kennedi.) 

SCÈNE IV. 

Les précédens; ELISABETH, le comte de LEI- 

CESTER. Suite. 

ELISABETH, iLeicesUr. 

Comment se nomme ce lieu? 



LEICESTEK. 



Le château de Fotheringay. 

ELISABETH, A TaUwt. 

Que ma suite parte ^ et me devance à Londres. Le 
peuple se porte avec trop d'empressement. sur ma 



ACTE III, SCÈNE IV. 175 

route, cherchons le repos dans ce parc solitaire. 
( Talhotfait éloigner la suite; elle adresse la parvle 
àPaulet, et pendant ce temps-là ellejixe les jeux 
sur Marie. ) L amour de mon bon peuple est trop 
TÎf ; il témoigne sa joie d une manière démesurée et 
idolâtre : c'est ainsi qu'on honore Dieu et non pas 
les hommes. 

MAKIE, qui pendant^ ce temps là ëtait appnyée A demi évanouie sur m nourrice, •» 
relève, et ses regards rencpotrent le regard fixe d'Elisabeth; elle tressaille ëpouvantëe, 
•t M rejette sur le sein d'Anna. 

Dieu ! l'expression de ces traits n'annonce point 
de cœur. 

ELISABETH. 

Quelle est cette dame? 

( Tout le monde garde le silence. ) 
LEICESTER. 

Vous êtes à Fotheringay, reine. 

ELISABETH se montre surprise et irritée. Elle lance un regard sinistre sar LeÀcester. 

Qui a disposé cela , lord Leicester ? 

- , LEICESTER. 

La chose est faite y reine ; et puisque le ciel a di- 
rigé ici vos pas y laissez triompher la générosité et 
la miséricorde. 

TALBOT. 

Laissez-Yous fléchir, reine; tournez vos regards 
sur cette infortunée , qui s'évanouit à votre aspect. 

(Marie rassemble ses forces ponr marcher vers Elisabeth. Elle s'arrête toute tremblante 
i moitié du chemin. L'expression de les traits laisse voir on combat TÎoIeat. ) 

ELISABETH. 

Eh qUôil milords, qui m'avait donc annoncé une 
profonde soumission? je vois uhe orgueilleuse que 
le malheur n'a nullement fléchie. 



■ 






276 MARIE STUART, 

MARIE. 

I 

Eh bien , soit ; je vais encore m'abaisser devant 
elle. Fuis, vain orgueil d'une âmefière; je veux ou- 
blier qui je suis et ce que j'ai souffert, et me pro- 
sterner devant celle qui me plonge dans cet oppro- 
bre ! ( Elle se tourne s^ers la reine. ) Le ciel a pro- 
noncé pour vous, ma sœur; votre heureuse tête a 
étë couronnée par la victoire : j'adore la Divinité 
qui fait votre grandeur; ( Elle met le genou en terre 
devant la mné;) Cependant, soyez maintenant géné- 
reuse , ma sœur : ne me laissez pas dans l'humilia- 
tion ^ tendez-moi votre main , et montrez-vous reine 
en me relevant de cette chu|;e profonde. 

ELISABETH s« retirant. 

Vous êtes à votre place, lady Marie; et je remer- 
cie la bonté de Dieu , qui n'a pas voulu que je fusse 
contrainte d'être à vos pieds comme maintenant 
vous êtes aux miens. 

MARIE, aTec une émotion croissante. 

Songez à la vicissitude des choses humaines. Il y a 
un Dieu qui punit l'arrogance; honorez-le, redou- 
tez-le, ce Dieu qui me précipite à vos pieds, devant ces 
témoins qui nous entourent : honorez-vous vous- 
même en moi; ne profanez pas, n'outragez pas le 
. sang des Tudor, qui coule dans mes veines comme 
dans les vôtres. Dieu du ciel ! ne soyez pas ainsi 
âpre et inaccessible , telle que ces roches escarpées 
que le malheureux naufragé s'efforce vâjineistent de 
saisir et d'embrasser! Tout mon être, ma vie, mon 
sçrt dépend en ce moment du pouvoir de mes pa- 



ACTE III, SCÈNE IV. 277 

rôles y de ,me&, larmes;, soulagez mon cœur^ ^^ j^ 
puisse , toucher le vôtre : tant que vous jetterez sur 
moi ce regard glacé , mon cœur sera tremblant et 
resserré, mes larmes. ne pourront . couler, et une 
froide horreur tiendra mes supplications enchaînées 

dans mon sein. 

« 

ELISABETH, arec froideur et s^vëritë. 

Qu'avez-vous à me dire, lady Stuart?'vous avez 
voulu me parler ? J'oublie que je suis reine, que je 
suis cruellement offensée , pour remplir le pieux 
devoir d'une sœur, et vous accorder la consolation 
de me voir : je cède aux inspirations de la généro- 
sité, et je m'expose à un juste blâme pour m'être 
tant abaissée... car vous savez qu'il n'a pas dépendu 
de vous que je périsse. 

MARIE. 

Par oii dois-je com^mencer, et comment pourrairje 
parler avec assez de prudence pour vous toucher le 
cœur et ne point vous offenser? mon Dieu, donne 
de la force à mon discours , émousse tous les traits 
qui pourraient blesser. Je ne puis dépendant parler 
pour moi sans me plaindre amèrement de vous., et 
c'est ce que je ne voudrais point faire. Vous en avez 
agi injustement envers moi ; je suis reine comme 
vous, et vous m'avez retenue prisonnière ; je suis ve- 
nue à vous comme une suppliante; et vous, mépri- 
saut en moi les saintes lois de l'hospitalité et les droits 
sacrés des nations, vous m'avez enfermée dans tés 
murs d'un cachot ;. mes amis, mes serviteurs ont été 
cruellement; séparés; de moi ; j'ai été laissée en proie à 
un indigne denùment. On m'a traduite devant un 



I 
/ 



â^S MAEÏE STUART, 

injurieux tribunal... N'en parlons plu& j qné oe que 
j'ai souffert soit plongé dans un éternel oubli : 
voyeai , je veux tout attribuer à la destinée. Vous 
n'ê^s pas coupable , je ne suis poiaft coupable non 
plus : un mauvais esprit sorti de l'abîme est venu al- 
lumer cette haine qui nous a divisées dè^notre tendre 
jeunesse ; elle a crû avec nous } des hommes me- 
chans ont attisé et soufflé cette malheureuse ttamme ; 
des enthousiastes insensés ont armé du glaive et du 

5)oignard des mains dont on n'avait pas invoque 
e secours. Tel est le déplorable sort des rois; dès 
qu'ils sont divisés , leur hai w p^J^ts^e 1? nionde , et 
toutes les furies de la discorde sont déchaînées- 
liïaintenant il n'y a plus entre nous auCuu tiers 
étranger. ( Elle se rapproche (Telle avec cor^nce , 
et parle d'un ton caressant.) Nous sommes près l'une 
de l'autre; maintenant parlez, ma sœur; dites-moi 
mes torts , je veux vous donneb' une pleine satlsfac- 
tfem» Hâas ! que ne m'avez-vous plus tôt accordé de 
m!eiitendre, quand je demandais si instamment à 
paraître devant vous j les choses ne seraient pas allées 
si loin , et maintenant nous n'aurtons pas cette triste 
ffitrevue dans ce lieu cruel et déplorable. 

ÉlUSABETH. 

Ma bonne.éloile m'a préservée de réchauffer un 
serpent da«^ mon* sein ; n'accusex pas la destinée, 
rnai^ la noirceur 4^ votre âme et l'ambition féroce 
de votre maisoa. Rien d'hostile n'avait encore 
éclaté entre nous, quand vota^ ondle^ ce prêtre or-* 
gueiUeux et avide de domination , qui , d'une mai» 
audacieuse, attente à toutes les couroiioa^K™*^^^ 



ACTE ni, SCÈlïE IV. «79 

d^ra inimftiié , et iroug pefr^Uadà foUeni^m de prei^ 
dre tnes ai^méi» ^ de Totis^ »ltrilmeF mon titre royal , 
et d'engager avec moi un e^mfiat à la vie et k là 
mort ; que n'a-t-il pad etcité CMiftre moi? La langne^ 
des prêtres , les glaives des peuples^ et les redouta- 
bles armes des pieux insensés ; ici même y au milieu 
du séjour paisible de mon royaume > il a souf&ë le 
feu de la sédition. Cependan^t Dieu est pour moi ,. et 
cet orgueilleux prêtre n^a pas eu la idctoire : ma 
tête fut menacée du coup fatal ^ et c'est la vôtre qui 
tombe. 

M A AIE.. 

Je sais dans la mam de Dieu f vous n'abuserez pas 
de votre {Puissance avec tant de cruauté. ^ 

ELISABETH. 

Qui peut m'en empêcher ? Votre oncle a enseigné 
par son . exemple à tous les rois de la terre quelle 
paix ils doivent faire avec leurs ennemïs. Que la 
Saint-Barthélemi me serve de leçon I Que me- sont 
les liens du sang, les droits des peuples? l'église ne^ 
rompt-elle pas le lien de tous les devoirs ^ ne con- 
sacre-t-elle pas le parjure > le ré^cide? Je pratique 
seulement ce que vos prêtres enseignent. Dites,, 
quel gage pourrait m'assurer contre vous^ si ma 
générosité détachait vos fers ? quels liens pourraient 
me garantir votre sincérité ,, s il n'en est point que 
lés clefs de saint Pierre ne puissent délier ? la vio- 
lence seule fait ma sûreté : point d'alliance avec une 
race de serpens. 

MABIE. 

que ces soupçons sont cruels et sinistres ! Vous 
m'avez toujours regardée comme une ennemie et 



28o MARIE STUART, 

une étrangère. Si vaus m'aviez déclarée votre héri- 
tière , suivant le$ droits de ma' naissaoce> vous 
auriez eu de moi reconnaissance et amour , et vous 
auriez trouvé une fidèle amie et une sœur. 

ELISABETH. 

Lady Stuart , vos amis sont des étrangers ; votre 
famille ce sont les papistes ; vos frères ce sont les 
prêtres. Vous déclarer mon héritière, vous! Piège 
perfide ! Afin que dès mon vivant vous égariez mon 
peuple, afin qu'artificieuse Armide vous enlaciez 
adroitement dans vos filets séducteurs la noble jeu- 
nesse de mon royaume , afin que tous les regards se 
tournent vers l'aurore d'un nouveau règne et que 
moi... 

MARIE. 

Gouvernez en paix ; j'abjure toute prétention à 
ce royaume. Hélas ! l'essor de mon âme est abattu , 
la grandeur ne m'attire plus ; vous avez réussi , je 
ne suis plus que l'ombre de Marie ; la fierté de mon 
courage a été brisée par les longs outrages de la 
captivité , vous m'avez réduite aux dernières extré- 
mités , vous m'avez flétrie dans ma fleur : mainte- 
nant, finissez, ma sœur, prononcez cette parole 
pour laquelle vous êtes ici, car je ne puis croire que 
vous soyez venue pour insulter cruellenient yotre 
victime. Prononcez cette parole ; dites-moi : h Soyez 
» libre , Marie , vous avez éprouvé ma puissance , 
» maintenant apprenez à honorer ma générosité. « 
Dites cela et je recevrai ma liberté, ma vie, comme 
un présent de votre main ; un mot efiacera tout le 
passé, je l'attends. Ah ! ne me le laissez pas trop long-* 



ACTE III, SCÈNE IV,. 281 

temps attendre ; malheur à vous si vous ne finissez 
point par cette parole ! car si yous ne vous séparez 
pas de moi comme une divinité souveraine et bien- 
faisante j, ma sœur ,' je ne voudrais pas pour tout 
ce riche royaume , pour tous les pays gu environne 
la mer , paraître à vos yeux telle que vous paraissez 
aux miens. 

ELISABETH. 

Vous reconnaissez-voiis enfin vaincue? êtes-vous 
à bout de vos complots ? n'y a-t-il plus aucun meur- 
trier en route? n'est-il aucun aventurier qui ose 
encore se faire votre malheureux chevalier? C'en 
est fait, lady Marie, vous n'en abuserez plus aucun ; 
le monde a d'autre^ soins. Aucun ne cherchera plus 
à devenir votre... quatrième mari, car vous donnez 
la mort à vos amans comme,à.vQS époux. 

MARIE, «eocmtenant. 

Ma soeur , ma sœur ! mon Dieu , mçn Dieu ! 
donne-mot de la modération. 

ELISABETH la regarde long-temps avec un orgueilleux dédain. 

Lord Léicester , ce sont donc là les attraits qu'au- 
cun homme ne regarda jamais impunément , dont 
aucune femme n'osa braver la comparaison? Certes 
cette renommée fut acquise à bon marché. Il est 
facile de paraître belle aux yeux de tous , quand on 
veut bien appartenir à tous. 

MARIE. 

C'en est trop. 

, ELISABETH, souriant avec raillerie. y 

Maintenant vous montrez votre véritable visage ; 
jusqu'ici nous n'avions vu que le masque. 



zSa MARIE STUàRT, 

MARIE, «èflaiilmëé de colère , mois c^jpeûêttA atf^e uim'ftbtle dignité. 

«Tai pu faire des fautes ; la jeunesse y la fragilité 
humaine^ la puissance^ ont pu m'égarer; mais je ne 
me sui^ pdint cachée dans Fombre; j^al dédaigné 
avec une flcsrté ï*«yale dés âpjparcnces hypocrites; 
mes plus grandes fautes^ le monde ne les ignore 
pas^ et je puis me dire meilleure que ma renommée. 
Malheur à vous i si on vient à arracher ce manteau 
de l'honneur^ cjuq votre dissimulation a jeté sur 
l'ardeur effrénée de vos désordres secrets ; vous avez 
dû hériter des vertus de votre mère ; on sait assez 
pour ç|[uelle cause Anne de Bouîen monta sur Técha- 
faud. 

TA L BOT s'avance entre lès deux reines. 

Dieu du eîeH cela devait-îl erï venir là? Est-ce- 
là de rhumilité, dé la'^modératrôn , lady Marte? 

De la modéi*ation ! Jar supporte tout ce <juî peut 
être humainement supporté. Loin de m6î cette rési- 
gnation au ccBttr d'agneau j reprends ton vol vers le 
ciely. douljfmreuse pfttienee ; que la colère loiig-4emps 
retenue rompe en&i sesilienë et sorte de sa retraite; 
et toi qui donnas au basilier irrité un regard mort^, 
fais que mes paroles làneéntb dea tr^^tfi emfMSowaés^ 

TAL»OT. 

. Oh ! elle est hors d'elte-ttïéîné , pàtàont^ëÈ k sàtt 
emportement; elle a été cruellement excitée. 

( Elisabeth , muette de colère , lance des regards filrîeùx i Marié. ) 
LEIGESTER, dans uûé agitation extrême, ttclie f éloigner Elisabeth. 

N'écouf ez point ses fureurs j qtiittei , qtiittei ce 
déplorable lieu. 



ACTE III, SCÈNE V. !i83 

*AKlfe. •- 

Le trône d'Angleterre est prôfanl^ pkt le fruit de 
l'adultère ; le noble peuple de l'Angleterre est abusé 
par une artificieuse hypocrite. Si le sort eût suivi la 
justice^ vous sériée maintenant dans la poussière 
devant moi, car je suis votre reine. 

(ElÎMbeth s'âoi^ne rafidtHifi^; 1«>1#^4M*^ suiwtaBti «toMiilrfnt li||us grand trouMe.) 

■ SCÈHÉ V. 

MÂRŒ, KENNEDL 

9 

KENJ7EDI. 

Ah ! qu'avez^voi^ fait? Elle part furie«bs^ i Dftfan^ 
^n^nt c'en est fait^ toute espérance a'éy,a^ov^t 4 

• Elle part furieux , el ehiporle lé trait fnoHi&l é^hi 
s&ntœav.'(Sê jetant dnns lès brti$ iffuéhnà.) Ah\ 
qudi]^ doiicemr^ Annal Ënfki) enfin^ àpi^slaM d'â^"- 
nées d'abaissement et de souffrance , un instant de 
vengeance et. d^ trîonaphe ! De qwl énor^ie p^ids 
moa cœur h été soula|;jé<! J'aipor,té 1? pi^îgP^vd 4wA 
le sein de mon ennemie. 

KENNEDI. 

Ah! malheureuse^ quel transpoiit Vpijs égarfi^ 
Vous avez blessé Fimplacable; elle tient la .foudtf;eji 
elle est reine. Vous Tavez outragée aux yeux de son 
amant. 

* ' • . . ■ ■ ' 

Je l'ai hwailm d;evant Leice»tan Jq Ite Vêjfalâ ^ sqA 



a84 MARIE STUART, 

maintien attestait mon triomphe. Quand j'abaissais 
l'orgueilleuse , il était là , sa présence me donnait 
des forces. 

SCÈNE VL 

Les précédens , MORTIMER. 

KEIÏNEDI. 

Ah ! sir Mortimer , quel dénomment ! 

MORTIMER. 

JTai tout entendu. ( Il fait signe à la nourrice de 
se placer en sentinelle et il s^ approche ; toute sa con- 
tenance exprime une disposition çiolente et passion- 
née. ) Vous avez vaincu j vous l'avez foulée dans la 
poussière. C'était vous qui étiez la reine, et elle la 
coupable. Votre courage m'a transporté d'admira- 
tion. Je vous adore comme une divinité » et vous 
me paraissez grande et souveraine en cet instant. 

Marie. 
Avez-vous parlé à Leicester ? lui avez-vous remis 
ma lettre et mon portrait V Parlez, sir Moi^timer. 

MORTIMER, la regardant d'un œil eoflâmmtf. 

Ah ! de quel éclat vous embellissait cette royale 
indignation ! Que vos attraits brillaient à mes yeux ! 
Nulle femme sur la terre n'est aussi belle. 

MARIE. 

Je vous en conjure, calmez mon impatience. Qua 
dit milord? Ah ! dites, que puis-je espérer ? 



ACTE III, SCÈNE YI. a85 

MORTIMER. 

Qui , lui? C'est un lâche , un misérable.^espérez 
rien de lui, méprisez-le, oubliez-le. 

MARIE. 

Que dites-vous? 

MORTIMER. 

Lui , vous délivrer et vous posséder I Lui , qu'il 
Fose seulement ! lui, il faudrait qu'il combattit avec 
moi à la vie ou à la mort. 

MARIE. 

N^auriez-vous point remis ma lettre ? Ah ! c'en 
est donc fait ! 

MORTIMER. 

Le lâche aime la vie. Celui qui veut vous délivrer 
et vous obtenir , celui-là doit sans hésiter se dévouer 
à la mort. 

MARIE. 

Il ne veut rien faire pour moi. 

MORTIMER. 

Ne parlons plus de lui. Que peut-il faire? Qu'a-t- 
on besoin de lui? Je vous délivrerai moi seul. 

MARIE. 

Hélas ! que pouvez-vous ? 

MORTIMER. 

Ne vous abusez plus , comme hier encore vous le 
faisiez. De la manière dont la Reine vous a quittée , 
et dont cette entrevue s'est terminée , tout est perdu ; 
il ne reste aucun moyen de grâce. Maintenant il 
faut agir, et l'audace doit en décider. Il faut ris- 
quer tout , pour tout obtenir ; il faut que vous soyez 
libre demain avant que le jour paraisse. 



2B6 MARIE 8TUART» 

MAKIE. 

Que dites-vous? Celte nuit! Comment serait-il 
possible ? 

MOKTIMER. 

Écoutez ce qui est résolu» Xai rassemblé mes 
compagnons dans une secrète chapelle. Un prêtre 
a entendu notre isonfessionj il nous a absous de 
toutes les fautes que nous avons commises , et nous 
a donné aussi labsolution de toutes celles que nous 

Sourrions encore commettre. Nous avons reçu les 
erniers sacremens , et nous sommes prêts pour le 
dernier, pour l'éternel voyage. 

MARIE. 

> Ab ! queU terribles apprêts! 

MORTIMER. 

Nous pénétrerons cette nuit dans le diâteau } les 
clefs sont en mon pouvoir ; nous tuerons les gar- 
diens, et nous vous arracherons de votre prison. Et, 
pour qu'il ne reste person^e qui puisse avertir de 
cet enlèvement , nous n'épargnerons pas une créa- 
ture vivante. Tous périront d'une mort violente. 

MARIE. 

. Mais Drury , mais Paulet , mes gardiens ? Us ve]> 
seront plutôt la dernière goutte de leur sang. 

MORTIMER. 

Ils tomberont les premiers sous mes coups. 

MARIB. 

Quoi ! votre oncle , votre second père ? 



ACTE m, SCÈNE VI. 287 

MORTIMER. 

Il périra de ma main. Je lui donnerai la mort. 

MARIE. 

crime sanglant ! 

MORTIMER. 

Je suis absous de tous mes crimes futurs;^ je puis 
en venir à tout, et je le veux ainsi. 

MAIliE. 

Ô terreur , terreur ! 

MORTIMER. 

Et du8së-je frapper la Reine elle-même y je l'ai 
jure sur l'hostie. 

MARIE. 

Non y M ertiiner y plutôt que de voir pour moi 
couler tan t de sang. . • ^ 

MORTIMER. 

Et que m'importe la vie de tous les hommes et la 
mienne auprès de la vôtre et de mon amour? puis- 
sent se rompre tous les ressorts qui meuvent l'uni- 
vers, puisse un second déluge engloutir dans ses 
flots tout ce qui respire , je ne respecte plus rien ; 
plutôt que je renonce à toi, puisse le monde s'a- 
néantir. 

MARIE, reculant. 

Dieu! quels discours, sir Mortimer! quels re-^ 
gards! ils me troublent, ils m'épouvantent. 

MORTIMER, «TCGun r«gar^4g<rë, et rimpresiioi» d'uni dâirt cdme. 

La vie n'est qiji'un instant , la mort non plus n'est 
qu'un instant. Qu'on m'entraîne à Tyburn , qu'on 
m'arrache chaque membre avec des tenailles brû-^ 
lantes ! ( // s'approche d'elle avec un mouvement pas^ 



288 MARIE STUART, 

sionné pour la saisir dans ses bras. ) Mais que je te 

tienne dans mtô bras , toi que j'idolâtre. 

MARIE, M retirait. 

Arrêtez, insensé. 

MORTIMER. 

Que je te presse sur mon sein , sur ma bouche qui 
respire l'amour. 



MARIE. 



Au nom de Dieli , sir Mortimer , laissez*moi m ë- 
loigner. 

MORTIMER. 

Ne serait-il pas bien insensé , celui qui ne retien- 
drait pas par un lien indissoluble le bonheur queDieu 
place sous sa main ? Je te délirrerai , m'en coùta-t-il 
mille morts ; je te déliTrerai , je le veux ; mais 
aussi vrai que Dieu nous entend , je le jure , je veui 
aussi te posséder. 

MARIE. 

Aucun Dieu, aucun ange ne viendra-t-il me se- 
courir ? Redoutable destinée , tu me précipites cruel- 
lement d'une terreur dans une autre. Ne suis-je 
donc née que pour inspirer la fureur? La haine et 
l'amour sont conjurés pour me glacer d'effiroi. 

MORTIMER. 

Oui, je t'aime comme ils te haïssent! Us veulent 
trancher cette tête charmante; ils veulent que la 
haché partage ce cou d'une éblouissante blancheur. 
Ah ! consacre au dieu du plaisir et de la vie ce qu'il 
te faudrait sacrifier en offrande sanglante à la haine. 
Que tes attraits, qui appartiendraient au trépas, 
enivrent ton heureux amant. Que cette chevelure 
ondoyante , que ces boucles si belles , qui déjà sont 



ACTE III, SCÈNE VI. 2S9 

ëthues au sombre empire de la mort, servent à en- 
chaîner ton esclave pour toujours. 

&ARIE. 

Ah ! quels discours me faut-il entendre! Sir Mor- 
timer , si le front d'une reine ne vous inspire pas le 
respect, mes malheurs et mes souffrances devraient 
vous être sacres. 

MORTIMER. 

Ta couronne est tombée; tu n'as plus rien, de ta 
puissance royale. En vain tu voudrais commander; 
j)as un ami, pas un libérateur ne viendrait à ton 
commandement. Il ne te reste plus rien que ta 
beauté i*avissante, que la puissance divine de tes 
attraits. C'est elfe Ijui me fait tout hasarder et tout 
faire^ c'est elle qui m'a fait braver la hache des 
bourreaux. 

MARIE. 

Ah ! qui me délivrera de sa rage ? 

MORTIMER. 

Celui qui rend un service audacieux a le droit 
d'exigôr'une récompense audacieuse. Et pourquoi ^ le 
brate répandrait-il son sang? car. la vie est le plus 
piréçieuiL des biens. Il est insensé, celui qui la pro-. 
digue sans motif. Je veux auparavant m'enivrer de 
ce qu'elle offre de plus doux. 

( Il la presse dans ses bras. ) 
MARIE. 

Ah! faut-il donc que je demande du secours contre 
qui veut me délivrer? 

MORTIMER. 

Tu n'es point insensible; le monde ne t'accuse 
ToM. III. 19 



ago MARIE STUART, 

point d'une froide austérité. Les ardentes instances 
de Famour peuvent te toucher. Le chanteur Bkcio 
t'a dû le bonheur , et Bothwell a su t'entraîner* 

MARIE. 

Votre audace«.«. 

MORTIMER. 

Il était ton tyran ; tu tremblais devant lui lorsque 
tu Faimais. Si la terreur seule peut te vaincre , eh 
bien, par' losi divinités infernales. ... 

MARIE. 

Laissez-moi .... la fureur vous égare. 

MORTIMER. 

Non, tremble devant moi. 

KENNEDY, vrmiit prëcipitamBievt. 

On approche^ on vient, le jardin est rem^ i» 
gens armés. 

MORTIMER transporte, et saisiMantsonëpëe. 

Je te secourrai. 

MARIE. 

Ok! kaaui, délKvre^moi de ses mains. Ah! mal- 
heureuse^ ok tMuv^rais-je un asile? A quelle àWi- 
nité auraî-je recours? Ici est la violence , Ik est la 
mort. 

( EUe fuit vert lechâtoiiu Aum la rait. ) 






ACTE III, SCÈNE VIL 29s 

SCÈNE VIL 

MORTIMER; PAULET et DRURY arrhent avec 
précipitation. Leur suit# s'empresse sur la scène. 

PAULBT. 

. FeroKz les portes.. é. Levez le poat. 

HfORTIMEB. 

Qu est-ce? 

Où est la coupable ? Qu'on la renferme dans un 
sombre cachot. 

MORTIMER. 

Qu'y a-t-il? Qu'est-il arrivé? 

La Reine... • Une main furieuse^ une audace^ in-* 
fernale. 

MORTIMER. 

La Reine.... Quelle reine? 

PAULET. 

La Reine d'Angleterre^ elle a^té assassinée sur la 
route de Londres. 

( n jentre ta cbàteau avec hftte. > 



agi MARIE STUART, 



SCÈNE VIII. 



MQRTIMER , un instant après OKELLY. 



• 
MORTIMER. 



Suîs-je dans le délire? Quelqu'un ne vient-il pas 
de s'écrier : « La Reine est assassinée? » Non, non, 
c'est une vision. Mon égarement me fait voir comme 
réel ce qui occupe mes sombres pensées. Qui vient? 
c'est Okelly . . . . Pourquoi si épouvanté ? 

O KELLY, accourant avec précipitation. 

Fuyez, Mortimer; fuyez, tout est perdu. 

MOBTIMEH. 

Quoi, perdu? 

OKELLY. 

N'en demandez pas plus. Songez à Une prompte 
fuite. 

MORTIMER. 

Qu'y a-t-il donc ? 

OKELLY. 

Souvage a fait le coup , le frénétique ! 

MORTIMER. 

Ainsi il est vrai... ? 

OKELLY. 

Vrai, vrai. Sauvez-vous. 

MORTIMER. 

Elle a péri, et Marie va monter sur le trône d'^An- 
gleterre. 

OKELLY. 

Elle a péri ! cpii dit cela ? 



ACTE III, SCÈNE VlII. agS 

MORTIWER. 

Vous-même.. 

OKELLY. 

Elle vît, et vous et moi nous sommes tous en 
proie à la mort. 

Elle vit! ^ ... 

OKELLY. . 

Le coup a pprtë à faux, a percé son manteau, et 
Talbot a désarmé l'assassin . 

MORTIMER. 

Elle vit! 

OKELLY. 

Oui, pour nous perdre tous; venez, le parc est 
déjà entouré. , 

MORTIMER. 

Et qui a fait ce coup insensé ? 

OKELLY. 

C'est ce barnabite de Toulon que vous avez vu 
assis dans la chapelle et qui semblait si profondé- 
ment pensif, quand le prêtre a parlé de l'anathème 
que le pape a lancé avec malédiction sur la Reine. 
Il voulait saisir l'occasion la plus prompte et la 
plus prochaine pour délivrer , par un coup auda- 
cieux, l'église du Seigneur et gagner la couronne du 
martyre ; il n'a confié son dessein qu'au prêtre, et il 
l'a exécuté sur la route de Londres. 

MORTIME R, après un moment de silence. 

Ah ! malheureuse ! un destiii cruel et impitoyable 
te poursuit. Maintenant, oui maintenant il faut 
que tu périsses. Ce qui devait faire ton salut fait ta 
perte. 



9g4 



Marie 8TUART, 



Dites ^ où dirigez-vous Totre fuite? le vtals me 
cacher dans les forêts de l'Ecosse. 

MORTIMER. 

Fuyez y Dieu protège votre retraite. Moi, je de- 
meure , j'essaierai encore de la délivrer ^ et si je ne 
le puis f je mQurrai sur son cercueil. 

(Jh ft*en Tdqt fta àevof, côtés éiSénp». ) 






FIN DU TROISIÈME ACTE. 



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ACTE lY, SCÈNE ï. igS 



m(utiytM¥¥tnf¥tnMVv»n^i»^it^¥tM^fi(^fl^iiM^n^n » n^n^mt/tn*Mt m m m %n9^»ni^m^Mwwtm%ftnMtn^ 



ACTE QUATRIEME. 



Le théâtre reprjésente rintérieur d'un appartement. 

SCÈNE PREMIÈRE. 

a f 

Le comte de L'AUBESPINE, KENT et LEICESTÊR. 

UAUBESPINE. 

Comment ya sa majesté? Milords, vous me voyez 
encore toirt trouWë lie tert-enr. Comment cela est-il 
;arrici!é ZComncnitv m« mîlvebi d^ f^ift^e éi fftiliKe. .? 

LEifcÉStER, 

tie n^ésl point de ce peuple qu'est parti le cou|> j 
le coupable est un sujet de votre roi , un Français. 

Quelque furieux asssoMiiteBt 

; /. ÇWttri; i»9tjps^ste ^ <)9mte. 



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âge MARIE STUART 

SCÈNE IL 

Les prëcédens; BURLËIGH entre "en parlant à 

DAVISQN. 

BURLEIGH. 

Qu'on rédige sur-le-champ l'ordre de l'exécution 
et qu'il soit revêtu du sceau ; quand il sera prêt, il 
sera présenté à la signature de là Reine. Allez, il n'y 
a pas de temps à perdre. 

DAYISON. 

Cela sera fait. 

l4*AnBESPINE\aIUnti]areiwontMdoBatlei|^.,,^ ' l . 

\ Milotd, je partage d'un cœur sincèreLlabjoie^ si 
juste de toute l'Angleterre ; grâces soient rendues au 
ciel qui a préservé du coup de l'assassin la tête d,e la 
Reine. . • . 

BURLEIGH. ' *"' i ^' 

Grâces lui soient rendues , pour avoir confondu 
la scélératesse de nos enneniis.> ' ::') .m^î . -> 

L*AUBESt»INE. 

Puisse Dieu maudire les auteul*s de cet érecràble 
attentat. 

BURLEIGH. 

Leurs auteurs et leurs indignes instigateurs. 

UAUBESPINE, ^Kent. 

Quand il plaira a votre seigneurie , milord maré- 
chal, de m'introduire che:^ sa majesté, je mettrai à 



ACTE IV, SCÈNE III. «99 

Je pan , j'^abaiyâonne pe rfffMtme, «^ù le ^droît ^"es 
gens est foulé aux pieds^ QàTon se joue des traités. 
Cependant^ .mon jpsi^tre len tir^a ujue ^^nglfiiite 
vengeance. 

BURtEISH. 

Quil vienne la demander. 

( Kent et T Aubespiae sortent. ) 

* • 

SCÈINE III. 

LFJGESTER, ©MLEfGffl. 

LEICESTER. 

Ainsi vous-même 'brisez TalHance que vous 
aviez conclue sans nécessité avec tant d'empresse- 
ment. L'Angleterre voi^s a peu d'obligation , et vous 
auriez pu vcmis épargner dç \^ pçine. 

Mon dessein était bon. Dieu en a ordonntéiMitm»- 
ment. Heureux ceux qui' n'otit pas de plus grands 
reproches à se faire ! 

Qn fi*€9CC(n^^t C^ç^l ^ sqh mum^a ^lé«ék2leu.\ 
quand U «st h U pouips^ta 4e cpicâqfftiB txikm 
d'éUt. *- MaiA^^nti if^i^o^r^^ vçidi ttn imifni|x 
jQounBent jpojp* «fous^; un i^and e»ime ^^wat À'pthtat tt 
ses 'auteuijis soi^t eiç^cpre ^^lj9]ppé$ ^Mns le^ i^jistèvb. 
J(Jn tiibunal d'inquisit^i:^ v^s'j^>ii^ri|*^^fsiMqri09<tt 
Iqs ï)reig4M?4^ liFpHt êjtpe pf)$^&.d4t¥^ h hiàixAe^^ hs 
pensë^i elleftHménies seront «onmises au jugement. 



3o» MARIE STUARf, 

Vous yoici tout-puissant dans Tétat ^ l'Atlas de FAn- 

|^terre> tous soutenez^ tout le poids du royaume. 

BURI.BIGH. 

♦ ■■ 

Je vous reconnais pour mon maître , milord; 
votre éloquence a remporte une victoire telle que 
je n'en ai jamais obtenu. 

LEICESTER. 

Que voulez-vous dire, milord? 

BURLEIG-H. 

N'est-ce pas vous qui, à mon insu, avez attiré Ift 
Reine au château de Fotheringay? 

LEICESTER. 

A votre insu! quand ai-je été contraint de vous 

cacher mes actions ?.. 

burleigh: 

Comment, vous avez conduit la Reine à Fotherin- 
gay ? Mais non, vous n'y avez pas conduit la Reine; 
c'est la Reine qui a eu la complaisance de vous y 

amener. '••:•.. ■ 

L^ÏCESTER. 

Qu'entendez-vous par-là, miloixl? 

BURLEIGH. 

Lé noble personnage que vous ave* fait là jouer 
à la Reine ! quel triomphe éclatant vous avez su lui 
préparer, à elle, qui se confiait à vous sans méfiance! 
Pauvre princesse, comme oiti fr'èsteflrohtément joué 
de toi , comme on t'a livrée sans T>itié ! -Voilà donc 
pourquoi vous avez soudainement tant parlé de 
magnanimité, de clémence. dans le bbnseil d'état; 
voilà pourquoi Marie était une entiètaîe^^ ftfîble et 



ACTE IV, SCÈWE Vf. 3oi 

si méprisable, que ce n'était pas la peine dé se 
souiller*^ de son sang. Un plan habile , adroitement 
conçu ! mais le trait était si finement aiguisé, que la 
pointe $'est brisée. 

LEIGESTER. 

Misérable! suivez-moi sur-le-champ; venez au 
pied du trône , devant la Reine , me rendre raison 
de ceci. 

BURLBIGH. ' 

Vous m'y trouverez; et tâchez , milord, à ne point 
manquer d'éloquence , quand vous y paraîtrez, 

(Il sort.) 

« 

SCÈNE IV. 

LEICESTER seul, puis MORTIMER. 

LEICESTEB. 

Je suis découvert, on m'a pénétré! Comment ce 
malheureux a-t-il découvert ma trace ? Malheur à 
moi s'il a des preuves ! Si la Reine apprend qu'il 
existait des intelligences entre Marie et moi. Dieu! 
combien je lui paraîtrais coupable, combien sembla 
raient artificieux et perfides mes conseils et mes 
efforts pour la conduire à Fotheringay ! elle se verrait 
cruellement jouée par moi et trahie pour une 
odieuse ennemie. Oh ! jamais, jamais elle ne pour- 
rait me le pardonner; tout lui paraîtrait concerté 
d'avance, et la tournure amère qu'a prise l'entrevue 
et le triomphe de sa rivale , et ses outrages orgueil- 
leux. . . Etméme ce terrible et affreux asssfôsinat qu'un 
destin sanglant et inattendu a mêlé dans tout ceci> 



302 MARIE STUART, 

e'est moi qui l'aïu^i -pto^tHfSÊé. H ne vois pas de 

saliit f je n'en vois au^uâ*. M ai& qui yient iei ? 

MO R TIME R arriT« uwee une rive ÎDquitftade et regarda «vtccninfce autour de lui. 

Comte Leicester ^ est«^e tous? sommes-nous san$ 
témoins? 

LEIGES7ER. 

Malheureux; reàrez-yous! que cherchez-vous ici? 

MORTIMBB:. 

O^ est sur nos traces, sur les vôtres aussi. Songez 
à vous. 

LEICESTER. 

Retirez- vous ! retirez-vous ! 

MORTIMER. 

On sait que le mystérieux rassemblement a eu 
lieu chez le comte de TAubespine. 

LEICESTER. 

Que n'importe? 

Que le meurtrier s'y est tro^iié* 

LEtCESTER. 

Cest votre affaire. Malheureux, comment ose^* 
vous me mêler à votre sanglant attentat? Tâchez 
vous-même de vous tirer de votre mauvaise si- 
tuation. 

MORTIMER. 

Êcoutez-moi seulement. 

■ 

L£IG ESTER d^ol u*. Vi£ tcanfpuit. 

Fuyeit aux 6Afei?si!i f eiirqim rois» attoelieai-voiis^ à 
m;es ptB^ comniie un mauvais esprit? Je ne vous gou* 



ACTE IV, SCÈNE IV. 3^î 

naia p<nnt ; je n'ai rien de commun avec des as« 
sassins. 

MORTIMER. 

Vous ne voulei point m'entendre? J'étais venu 
TOUS avertir que vos démarches sont aussi décou* 
vertes. 

LEIGESTER. 

Ahî 

MORTIMER. 

Le grand trésorier est allé à Fotheringay aussitôt 
après cette malheureuse tentativer La chambre, de 
la reine a été sévèrement fouillée , et l'on v a 
trouvé.... , 

LElfCESTER. 

Quoi? 

MORTIMER. 

Une lettre commencée de la reine à vous. 

LEIGESTER. 

L'infortunée ! 

MORTIMER. 

' Où elle vous demande de tenir votre parole , vouS; 
renouvelle la promesse de sa main^ rappelle ie don 
du portrait. 

LEIGESTER. 

Mort et damnation ! 

MORTIMER. 

Lord Burleigh a la lettre. 

LEIGESTER. 

Je suis perdu I 

(n M promène ça et U tvec d^espoit, pendant que Mpritmcr lui parle.) ^ 

M0RTIMBR. 

Saisissez le moment ^ prévenez le coup; sauvez- 



3o4 MARIE STOART, 

TOtts^ sauvez-la; dites - vous iniioceiit, jureas qae 
TOUS l'êtes , détournez le plus grand danger. Moi- 
même je ne puis plus rien faire; mes compagnons 
sont disperse's de tous côtes', notre conjuration est 
dissoute ; je cours en Ecosse pour y rassembler de 
nouveaux amis. Pour vous, maintenant, essayez ce 
cpie pourra faire votre crédit, Fassurance de votre 
maintien. 

XEICESTERs^arrête, puis ftvce une inspiration soudaine. 

'C'est ce que je veux faire. (// s^a à la porte ^ Vou^^re 
et crie, ) Holà, gardes \ {A im officier qui entre avec 
des gens armes.) Assurez-vous de ce criminel d'état , 
et gardez-le bien. Le plus infâme complot vient 
d'être découvert, et je vais moi-même en porter la 
nouvelle à la Reine. 

MORTf MER, demeure d'abord immobile dVtonnement; bientôt il se remet et lance 

à Leicesler un regard du plus profond mépris. 

Ah , infâme ! Mais je le mérite : qui a pu faire que 
je me confiasse à ce misérable? Il m'écrase , me foule 
aux pieds , et fait de ma ruine l'instrument de son 
salut! Va, sauve-toi, ma bouche restera fermée: 
je ne veux pas t'entraîner dans ma perte. Même 
dans la mort , je ne veux rien avoir de commun 
avec toi ; garde la vie , c'est l'unique bien des mé- 
chans. ( A F officier qui s' aisance pour le saisir. ) Que 
veux-tu, lâche esclave de la tyrannie? je te mé- 
prise; je suis libre. 

( Il tire un «poignard. ) 
L'OFFICIER. 

Il est armé; arrachez-lui spn poignard. 

(Lessoldits rentottrcBt ; il m dégage àe leurs mains.) 



ACTE IV, SCÈNE Y. 3o5 

MORTIMER. 

Dans ce dernier moment je veux ouvrir mon 
cœur et parler sans contrainte. Ruine et male'dic- 
tion sur vous, qui avez trahi Dieu et votre véri- 
table reine; qui avez trahi Marie, de même que 
vous aviez abandonne sa céleste patronne, qui vous 
êtes vendus à une reine illégitime ! 

L'OFFICIER. 

Entendez-'vous ses blasphèmes ? Saisissez-le. 

HORJIMER. 

Reine adorée, si je n'ai pu te délivrer, du moins je 
Vais te donner un exemple de courage! Mèje de 
Dieu, céleste Marie, prie pour moi., et appelle- 
moi à toi dans les cieu^L ! 

(Il se frappe de son poignard, et tottiLe dans' les bras des gardés. ) 

SCÈNE V. 

Le théâtre représente l'appartement de la Reine. 

ELISABETH une lettre à la main, BURLEIGH. 

ELISABETH. 

Me conduire là ! m exposer à un tel affront ! Le 
traitre ! m amener en triomphe devant son amante I 
Burleîgh , jamais une femme ne fut ain^i trahie ! 

BURLÉTGH. 

Je ne puis concevoir par quel charme , par quel 
pouvoir il a su tellement égarer la prudence de ma 
souveraine. 

TOM. III. 9.0 



3o6 MARIfi STUART, 

ELISABETH. 

J'en meurs de honte. Combien il devait se railler 
de ma faiblesse ! Je croyais qu elle serait humiliée i 
et c'est moi qui ai été l'objet de ses outrages. 

BURLEIGH. 

Vous Toyez maintenant combien mes conseils 
étaient sincères. 

ELISABETH. 

Ah ! je suis dm^ement punie de m'être écartée de 
vos sages ayis. Et comment ne l'auraifr-je pas cru? 
Pouvais-je soupçonner un piège dans les sermens du 
plus fidèle amour? A qui puis-je me fier s'il m'a tra- 
hie? lui que j'ai fait grand, parmi les grands de 
ma cour! lui qui toujours a été le plus près de mon 
cœur! lui que j'ai comme autorisé à agir dans ce 
palais en maître , en roi ! 

BURLEIGH. 

Et dans le même temps il vous trahissait' pour 
cette perfide reine d'Ecosse. 

ELISABETH. 

Oh ! elle le payera de son sang ! Dites , la sentence 
est-elle rédigée? 

BURLEIGH. 

Elle est prête ainsi que vous l'avez ordonné. 

ELISABETH. 

Qu'elle meure ! qu'il la voie périr et périsse après 
elle. Je l'ai chassé de mon cœur. Je ne sens plus 
d'amour et ne j'espire que la vengeance. Que .sa 
chute soit aussi honteuse et aussi profonde que son 
élévation avait été grande. Qu'il soit un monument 



ACTE IV, SCÈNE V. 307 

de ma seTérité , comme il a ëtë un exemple de ma 
faiblesse. Qu'on le conduise à la Tpur , je vais dési- 
gner des pairs pour le juger ; qu il soit livré à toute 
la rigueur des lois. 

BURLEIGH. 

Il s'introduira près de vous, il se justifiera. 

ELISABETH. 

Comment peut-il se justifier ? La lettre ne le con- 
vaincra-t-elle pas ? Ah ! son crime est plus clair que 
le jour. 

•' BURLEIGH. 

Mais vous avez tant de douceur et d'indulgence ; 
son aspect, le pouvoir de sa présence.... 

* ELISABETH. 

Je ne veux pas le voir. Jamais, jamais. Avez-vous 
donné l'ordre de ne le point recevoir , s'il vient. 

BURLEIGH. 

Cela est ainsi ordonné. 

UN PAGE entre. 

Milord Leicester. 

ELISABETH. 

Le traître.... Je ne veux pas le voir ; dites que je 
ne veux pas le voir. 

* LE PAGE. 

Je n'oserai point dire cela à milord ; il ne voudrait 
pas me croire. 

* ELISABETH. 

Ainsi je l'ai élevé si haut que mes serviteurs trem- 
blent plus devant lui que devant moi. 

BURLEIGH, au page. 

La Reine lui défend d'approcher. 

( Le Page sort ea montrapt de Thàitaition.) 



s 



3o8 MARIE STUARÏ, 

ELIS A3 E TH , après un instant de sâence; 

Si cependant il ëlait possiUe.... S'il |>ouTait se 
justifier.... Dites ne pourrait-ce pas être un piëge 
que me tend Marie paur me priver de mon plus 
fidèle ami ; elle a tant de ruse et de perversité. Si 
elle n'avait écrit cette lettre que pour répandre dans 
mon cœur un soupçon empoisonné , et pour précipi- 
ter dans le malheur Leicester qu'elle hait. 

BURLEIGH. 

MaiS; madame^ songez...» 

SCÈNE VI. 

Les prëcëden^ ; LEICESTER. 

LEiGESTER ouvre la porte avec Tioleace, et entre d'un air audacieux. 

Je veux voir l'insolent qui m'i&terdît l'apparte- 
ment de la Reine. 

ELISABETH. 

Téméraire ! . . . 

LEIGÊSTEB. 

N'être point reçu ! Quand elle est visible pour un 
Burleigh > elle l'est aussi pour moi, 

BURLEIGH. 

Vous êtes bien audacieux, milord, d'entrer de 
fo^c^ ;ip4 faa^ré la défense. 

L£IC£S7£K, 

£t vous y bien hardi de prendre la parole ici. La 
défense ! £h quoii est-^l quelqu'un dans ^ette cour 
de la bouche duquel le'comtexle. Leicester ait à re- 



ACTE IV, SCÈNE VI. 5og. 

eetàiv weê6 permiBsèoni om une d^Ws6. (i/ s'apfinoçhe 
humblement d/Éiisab^h.) Se ymtx reeevo&r da k 
proptre boucha de ma sf atsinnie. . . . 

ÉLTS'À'BÉTir, sans le r<^rdel^ 

Fuyez dé mes yeux, indigne! 

LEICESTER. 

■ # 

G& n'est pas- mon aimable SDuveraine , mais ce 
lord , mon ennemi , que je reconnais dans ces dures 
paroles..... Je m'adresse à ma reine chérie. Vous 
avez prêté l'oreille à ses discours ;, je réclamé le 
même droit. 

ÉllSABETri. 

Parlez, infâme Ajoutez encore a vôtre cnme, 

niez-le. 

LBrCROTBH. 

F 

Éloigîtez tfâbof dcet îrtïp6rttm . . . . Sfertte, miibpd : 
ce dont je veux entreteifr'fe rein« doit étl»e SftttWs-ttf*- 
moin , allez. 

ELISABETH, iBurleigh. 

Demeure* , je votw Fordotine. 

LEÏCÉSTBB. 

Doit-il y avoir un tiers entre vous et moi.... J'ai 
à m'entretenir avec ma sott'^€itiine adorée Jfe ré- 
clame les droits de ma place, cé sont des droits sa- 
crés, et >,éxige encore qjie milord.s'élpigpie, 

Él»IS>A«£a7H^ 

Il VOUS sied bien de tenir cet orgueilleux langage! 

LEIGEJSI^EK. 

Chxi , ee langage sied àr Fkeureux mortel à- qui vous 
âvez donné lé sublime privilège de votre faiT^eur, 



3io MARIE STUAKT, 

que vous avez élevé au-dessus de ce lord , et au-dessus 
de tous. Votre cœur m'a conféré ce rang illustre ; et 
ce que votre amour m'a donné , je jure que je saurai 
le conserver aux dépens de la vie,... Qu'il sorte, et 
il ne sera besoin que de deux instans pour que je me 
fasse entendre de vous. 

ELISABETH. 

Vous espérez en vain me séduire par votre adresse. 

LEICESTER. ' 

Cet orateur aura pu vous séduire, mais moi je ne 
veux parler qu'à votre cœur. Et ce que j'ai osé, me 
confiant en votre faveur, je ne veux le justifier que 
devant votre cœur — Je ne reconnais d'autre tri- 
bunal pour me juger, que votre sentiment. 

ELISABETH. 

Indigne ! et c'est ce sentiment même qui vous rend 
plus coupable.... Montrez-lui la lettre, milord. 

BURLEIGH. 

Là voici. 

LEIC ESTER parcourt la lettre sans dianger de maintian. 

C'est l'écriture de lady Stuart. 

ELISABETH. 

Lisez, et soyez confondu. 

LEICESTER tranquillement, après aroir Lu. 

L'apparence est contre moi: J'ose espérer toute- 
fois que je ne serai pas jugé d'après l'apparence. 

- ^ ELISABETH. , 

Pouvez-vous nier que vous ayez eu un commerce i 
seci'et avec lady Stuart , que vous ayez reçu son por- i 
trait, que vous ayez travaillé à la délivrer ? . 



y 



ACTE IV, SCÈNE YI. 3ii 

LEIGESTER. 

' Il me serait facile ^ si je me sentais coupable de 
récuser le témoignage d'une ennemie ; mais comme 
je n'ai rien à me reprocher, je confesse quelle n'a 
rien écrit que de vrai. 

ELISABETH. 

Ainsi donc, malheureux.... 

BURLEIGH. 

Sa propre bouche le condamne. 

ELISABETH. 

Sortez de ma vue, traître.... Qu'on le conduise à 
la Tour. » 

LEIGESTER. 

Je ne suis point un traître. J'ai eu tort de vous 
faire un secret de mes démarches ; mais mon des- 
sein était pur. Je voulais pénétrer votre ennemie et 
la perdre. 

« ELISABETH. 

Misérable défaite ! 

BURLEIGH. 

Quoi , milord , vous croyez. . . . 

LEIGESTER. 

J'ai joué un jeu hasardeux, je le sais ; et le comte 
de Leicester pouvait seul dans cette cour risquer 
une telle chose : la haine que je porte à lady Stuart 
est assez connue. Le rang dont je suis revêtu, la 
confiance dont m'honore la Reine ne pouvaient lais- 
ser aucun doute sur la fidélité de mes sentimens; 
l'homme que dans votre faveur vous avez distingué 
de tous , pouvait bien s'acquitter de son devoir d'une 
manière plus particulière et plus audacieuse. 



■iMaftâa^iaMAMi 



3l2 



ÀfARIE STUART, 



Mai» ^ TOtre desseia étatt boQ f poiiripim gardliffl- 
Toua le sîlfiiee? 

LEICSSTER. 

Milord , vous avez coutume de pérouer avant A'a- 
gir : vous êtes la trompette de vos actions , c'est là 
votre méthode; la mienne est d agir avant de parler. 

BURLEIGH. 

Vous ne parlez maintenant que parce qpue vous y 
êtes contraint. 

LEICEST'ER le lOMure d'un regard orgueilleux et mëprkant. 

Et vous, vantez -vous d'avoir merveilleusement 
conduit une si grande affaire , d'avoir sauve la reine, 
d'avoir démasqué la trahison ! Rien n'échappe à vo- 
tr« œil pénétrant y croyezrvous? Quelle pauvre va- 
nité ! En dépst de voire sagacité , Marie é^it cepen- 
dant libre aujourd'hui , si je ne l'eusse empêché. 

BURLElGn. 

Vous auriez.... 

LEJCESTER. 

Oui, milord, la Reine ô'est confiée à Mortimerj 
elle lui a ouvert son âme; elle est allée jusqu'à lui 
donner dieg ordres sanglons contre Marie , après que 
Paulet eut refusé avec horreur de se charger d'une 
telle commission. Dites, cela n'est-'il pas ainsi? 

( La reine ef Burleigh se regardent avec surprise. ) 
BDRLEIGH. 

Comment cela est-il venu à votre connaiss^ance? 
Cela n'est;- il pas ainri? BH. bifôa^ milosdv où 



ACTE IV, SCÈNE VI. 3i3 

étaient donc vos regards pénëtransy pour n'avoir 
pas vu que ce Mortimec \pus trahiss£^it? qu'il était 
un papiste fanatique^ un instrument des Guises^ 
une créature de lady Stuart , un enthousiaste au- 
daci<E^3^ venu, pour la délivrer et assassiner la Reine? 

• * , 

ELISABETH, avec un extrême étonnement. 

Quoi! Mortimer? 

EÈFCES^EK. 

C'est par lui ^lie Marie entretenait commerce 
avec moi, et c'est ainsi que j'ai appris à le con- 
naître. Elle devait être aujourd'hui arrachée de sa 
prison ; c'est ce que je viens d'apprendre à l'instant 
dje la bouche de Mortimer. Je Fai fait sur-le-champ 
arrêter ; et dans le désespoir de voiir son entreprise 
inutile et d'être démaâ<^é> il s'est donné la mort. 

ELISABETH. 

Ah ! j'ai été indignement trompée. Ce IVfortimer... 

BCRLEIG». 

Et cela vient d'arrivèn maîntletiatit, depuis^quier je 
vous ai quitté ? 

LEICESTER. 

Il est fâcheux po^ir moi q^'it ait aiasi terminé son 
sprtj; s'il vivait,, son témoignage- me justifierait plei- 
nement, et dissip'ferait tous les doutes. Je Tauraisr 
livré à la main de la justice, et un jugement rendu, 
dans toute la rigueur des formes aurait attesté et 
$cejlé mon inno.cei^ee aux yeux.de toiitr le. monde. 

BURLEIGH. 

Il s'est tué, dites-vous, kii-ifaême ; et ce n'est pas 



3i4 MARIE STUART, 

LEIGESTER. 

Inf4me soupçon ! On peut entendre les gardes à 
qui je l'avais remis. (Il ça à la porte et appelle; 
V officier des gardes entre. ) Rendez compte à sa ma- 
jesté de ce qui vient de se passer au sujet de Mor- 
timer. 

LOFFICIER. 

J'étais à mon poste dans la salle des gardes y lors- 
que milord a ouvert tout à coup la porte , et m'a o^ 
donné de m'assurer du chevalier Mortimer comme 
d'un criminel d'état. Nous l'avons vu sur-le-champ 
entrer en fureur ; et , se répandant en imprécations 
contre la Reine, tirer un poignard, et, sans que 
nous ayons pu l'arrêter, se percer le cœur. 

. LEIGESTER. 

C'est assez. Vous pouvez vous retirer, la Reine est 

satisfaite. 

< 

( L*oi&cier sort. ) 
ELISABETH. 

Ah ! quel abîme d'horreur ! 

LEIGESTER. 

Maintenant, Reioe, qui vous a sauvée? est-ce 
milord . Burleigh ? Connaissait - il les dangers qui 
vous environnaient? est-ce lui qui les a écartés. 
Votre fidèle Leicester veillait sur vous comme votre 
bon génie. 

BURLEIGH. 

Comte , ce Mortimer est mort bien à propos pour 
vous. 

. . ELISABETH. 

JTignore ce que je dois penser j je crois vos dis- 



\ 



ACTE IV, SCÈNE VI. 3i5 

cours , puis je ne les crois plus ; je pense que vous 
êtes innocent, puis j'en doute. Ah ! odieuse, qui me 
cause tous ces tourmens ! 

LEICESTER. 

Il faut qu'elle périsse ; moi-même maintenant 
j'opine pour sa mort. Je vous avais conseillé de 
laisser la sentence sans exécution , jusqu'au moment 
où un nouveau bras se lèverait pour sa défense. 
Cela est ainsi arrivé, et j'insiste pour que la sentence 
soit accomplie sans délai. 

BURLEIGH. « 

Vous le conseillez ainsi , vous ? 

^EICESTER. ' ' 

Bien qu'il m'en codte d'en venir à de telles 
extrémités, je vois maintenant et je pense que le 
salut de la Reine exige ce sanglant sacrifice. Ainsi je 
propose que l'ordre de l'exécution soit donné sur-le- 
champ. 

BURLEiGH, à la reine. 

Puisque milord montre une opinion si ferme et 
si fidèle , je propose que l'exécution de la sentence 
soit confiée à ses soins« 

LEICESTER. 

A moi? 

BURLEIGH. 

A VOUS. Vous n'avez pas de plus sûr moyen de 
dissiper les soupçons qui pèsent encore sur vous; 
vous avez été accusé d'aimer Marie , vous présiderez 
à son supplice. 



3i6 MARIE STUART, 

I^SfS^BE/râ, r^pv^Huié (tzMaé*t tHiitestér. 

Le conseil est sage; qu'il en soi(? akisMi ceta est 



arrêté. 



LEICESTER. 

Bien que i'ëlëvation de mon rang dût m'affranchir 
de cette cruelle commîssioh ^ qui de toute façon con- 
viendrait mieux à un Bùrtéigh ; Lien que celui qui 
a Favantage tfêtre placé si près de ïa Reine -ne îàt 
pas être un instrument de rigueur; cependant, pour 
marquer mon zèle et satisfaire ftf Reine, je dérogerai 
aux privilèges de ma dignité, et j'accepterai cet 
odieux devoir. 

ELISABETH. 

LordBurleigh lepartageraavec vous. (A Burleigh.) 
Prenez soin que Tordre soit prêt sur-le-champ. 

( BUrléigh ^rt On etitend'dVi ttuntol^aa dlbltoa. ) 

SCÈFÉ VIT. 
ELISABETH, LEICESTER et KENT. 

ELISABETH. 

Qu'eatt-ce, myWd Ken4b,.qiiel mowvameitt troubler 
la ville? qu'y a-t-il ? 

KENT. 

Reine, c'est le peuple qui entoure le palais et 
demande instamment à vous voir. 

ELISABETH. 

Que veut mon peuple? 

X£NX. 

La terreur est répandue dans Londve^Q oa cyNaiîl; 



ACTE IV, SCÈNE VIII. "Si? 

votre vie nenaGée>^ on dit 4}ue des meurtriers ^en- 
voyés ipar le pafNe /^ont re^Màxidus ^partout., que les 
catholiipies aoot «conjures pour arraclier^ à fçrce 
ouvenley lady Stuart de sa prifiou et la proclamer 
reine. Le (peuple «croit ^es bruits et se souJLè^ ; et 
l'on ne pourrait le calmer qu'en faisant tomber 
aujourd'hui la tête de lady Stuart. 

ELISABETH. 

Quoi ! l'on Toodrait due contraindre ? 

KENT. 

Ils sont résolus à ne point se retirer que vous 
n'ayez ^ignë la sentence. 

SCÈNE vm. 

Les précédens; BURLEIGH, DAVISON un papier 

à la main. 

ELISABETH. 

Qu ajgportez-T^uB , Dayison ? 
Heine; ce que tous aTee demandé. 

ELISABETH. 

Qu'est-ce? (Elle \^eut prendre le papier, tressaille 
et recule. ) Bien ! 

<BI7KLEIGH. 

Obéissez à la voix du peuple , c'«st la voix de Dieu. 

ELISABETH, inréMioe et combattue. 

Ak ! milords , qui me dira si j'entends en effet 
la voix ée tout mon peuf^e^ la voix de l'univers? 



3i8' Marie stuart, 

Hélas ! si j'obéis maintenant au désir de cette popu* 
lace y je crains que bientôt elle ne fasse entendre 
un tout autre langage, et que ceux-mêmes qui me 
poussent avec violence à cette résolution, ne me 
blâment sévèrement dès qu'elle sera accomplie. 

SCÈNE IX. 

Les précédens; TALBOT. 

TALBOT entre avec agitation. 

On veut vous contraindre, reine; soyez ferme, 
soyez inébranlable. {Il aperçoit Das^ison qui tient la 
sentence.) Ou bien en est-ce fait ? Cela est-il réel ? 
J'aperçois dans cette main un écrit funeste qui ne 
devrait pas en ce moment être mis sous les yeux de 
la Reine . 

ELISABETH. 

Noble Schrewsbury, on me contraint. 

TALBOT. 

Et qui peut vous contraindre? Vous êtes souve- 
raine; c'fest ici le moment de montrer votre puis- 
sance. Imposez silence à ces voix séditieuses qui 
osent vous prescrire une opinion et commander à 
votre volonté royale. La terreur, une rage aveugle 
agitent ce peuple; vous-même êtes hors de vous, 
cruellement offensée, en proie aux faiblesses de 
l'humanité, vous ne pouvez maintenant porter un 
jugement. 

^ BURLEIGH. 

Tout est jugé depuis long-temps. Il ne s'agit pas 
de prononcer une sentence, mais del'eiécuter. 



> 1 



ACTE IV, SCÈNE IX. Sig 

K£ N T , qui s'était ëioignë lorsque Talbot «st entré , revient. 

La sédition s'accroit : on ne pourra plus long- 
temps contenir le peuple. 

ELISABETH, 4 Talbot. 

Vous voyez si l'on me presse. 



TALBOT. 



Je VOUS demande seulement un délai. Ce trait 
de plume privera votre vie de la paix et du bon- 
heur. Vous y avez réfléchi pendant de longues 
années; voulez-vous donc vous décider en un in- 
stant^ au milieu de l'orage. Seulement un court dé- 
lai : rappelez vos esprits^ attendez un moment plus 
calme. 

BURLEIGH, vivement 

Attendez, hésitez, différez jusqu'à ce que le 
royaume soit embrasé, jusqu'à ce que votre enne- 
mie ait enfin réussi à accomplir ses desseins homi- 
cides ! Trois fois Dieu a éloigné de vous le poignard : 
aujourd'hui encore, il s'est approché de votre seinj 
espérer encore un miracle, c'est vouloir tenter la 
Providence. 

TALBOT. 

LeDieu qui quatre fois de sa main miraculeuse vous 
a préservée 9 qui aujourd'hui a donné au bras débile 
d'un vieillard la force d'arrêter un furieux , ce Dieu 
mérite qu'on mette sa confiance en lui. Ce n'est pas 
la voix de la justice que je veux faire entendre, ce 
n'est pas le moment ; au milieu de ce trouble elle 
ne serait point écoutée. Je vous dirai une seule 
chose. Vous craignez maintenant Marie pendante 
qu'elle est vivante : ce n'est pas vivante que vous 



320 MARIE STUART, 

avez à la redouter ; trembles devant -elle quand elle 
ne sera plus^ ?qiiand sa tête sera tombée. Elle se re- 
lèvera de son tombeau conme une d^sse de dis- 
corde , elle parcourra vôtre royaume comme le fan- 
tôme de la vengeance , et elle détournera de vous le 
cœur de vos peuples. Maintenant l'Anglais la craint 
et la déteste : il voudra la venger quand elle aura 
péri; il ne verra plus dans celle qu'il pleurera Ven- 
i^mie de la religion , mais la fille de ses rois^ mais 
la victime de la haine et de Tenvie. Bientôt tous 
pourrez éprouver ce changement. Après cette san- 
glante exécution traversez Londres , montrez-vous 
î ce peuple , qui jadis se pressait avec allégresse au- 
tour de vous, vous verrez alors un autre peuple, 
une autre Angleterre. Vous ne n^archerez plus en- 
vironnée de la divine justice qui vous avait en- 
chaîné tous les coeurs ; la terreur, seule compagne 
de la tyrannie , marchera devant vous., et rendra 
déserts les chemins où vous passerez; car vous aurez 
fait le dernier, le plus terrible pas , et nulle tête ne 
sera en sûreté, quand cette tête sacrée sera tombée. 



ELISABETH. 



Hélas, Schrewsbury! vous m'avez aujourd'hui 
sauvé la vie ; vous avçz détourné de moi le poignard 
de l'assassin. Pourqupi avez-vous arrêté le coup? 
toute incertitude serait finie, il n'y aurait plus de 
combats à livrer ; et, pure de tout reproche, je repo- 
serais tranquillement dans le tombeau. Ah ! certes, 
je suis lasse de la vie et de la royauté ; et s'il faut 
qu'une des deux reines succombe pour que l'autre 
vive , et je sais bien que cela ne peut être autrement, 



y 



ACTE IV, SCÈNE IX. Sat 

ne puis-je donc être celle qui cède la place ? Mon peu- 
ple peut choisir, je lui remets sa souveraineté. Dieu 
m'est témoin que ce n'est pas pour moi, mais pour 
le bien de mon peuple que j'ai vécu. S'il espère de«^ 
voir à cette séduisante Marie des jours heureux et 
prolongés, car elle est la' plus jeune, je descendrai 
volontiers du trône ; j'irai retrouver cette tranquille 
solitude de Woodstock, où j'ai passé mon inno- 
cente jeunesse; où, loin des frivoles grandeurs de la s 
terre , je trouvais en mon âme toute ma grandeur. 
Je ne suis point née pour être souveraine : le souve- 
rain doit avoir une âme ferme , et mon cœur est 
faible. J'ai gouverné heureusement cette ile pendant 
long-temps , parce que je n'avais que des bienfaits 
à répandre. Pour la première fois il faut que je rem- 
plisse un devoir de rigueur , et je sens toute ma 
faiblesse. > 

BDRLEIGH. 

' * Au nom du ciel ! quand il me faut entendre des 
paroles si peu royales scftl^r de la bouche de la Reine, 
je trahiraiis mon devoir, je trahirais ma patrie, si je 
gardais plus long-temps le silence. Vous dites que 
vous aimez votre peuple plus que vous-même ; c'est 
maintenant qu'il faut le prouver. Vous ne devez 
pas chercher le repos pour vous en livrant le 
royaume aux tempêtes; songez à la religion. Faut-il 
voir revenir avec Marie l'antique superstition? Les 
moines doivent-ils encore revenir régner ici ? Un lé- 
gat , parti de Rome , doit-il encore fermer nos églises^ 
détrôner nos rois? Je vous rends comptable du sa- 
lut de vos sujets; d'après ce que vous déciderez 
maintenant, ils sont ou sauvés ou perdus. Ce n'est 

TOM. III. 21 



323 MARIE STUA&T, 

pas ici le moment de montrer une pitié de femme ; 
le bien du peuple est votre suprême devoir. Schrews- 
bury a sauvé votre vie; moi, je veux faire plus ^ je 
veux sauver rAngleterre* 

ELISABETH. 

Qu on me laisse à moi*même. Dans cette grande 
affaire il ne peut me venir des hommes ni conseils, 
ni consolations. J'en réfère au suprême juge; ce 
qu'il m'inspirera, je le ferai. Éloignez-vous, milords. 
(^A Davison. ) Vous , Davîson , demeurez près d'ici. 

( Les lords se retirent. Tal]>ot seul demeure un instant de plus dfrmnt la Reine , et la re- 
garde d*m «ir «xprtisif ; pni» il l'éloicpe lentement «i laiesant voir une praftadi 
affliction. ) 

SCÈNE X. 

ELISABETH seule. 

Ah! tyrannie des volontés du peuple, honteux 
esclavage! Combien jb suis lasse de flatter cette 
idole, que dans mon cœur je méprise ! Quand pour' 
rai-*je librement régner sur ce trône? il me faut 
respecter l'opinion, courtiser l'estime du vulgaire; 
il me faut agir au gré de cette populace qui se paie de 
vaines comédies. Ah ! ce n'est pas être roi qu'être 
forcé de complaire au monde entier; celui-là seul 
règne qui n'est point obligé d'obtenir le suffrage des 
hommes. 

Farce que j'ai pratiqué la justice , parce que j'ai 
toute ma vie détesté l'arbitraire, je me suis lié les 
mains , et je ne puis en venir à une première 
et inévitable violence; l'exemple que moi-même 
j'ai donné me condamne. Si j'avais régné tyrannie* 



ACTE IV, SCÈNE X. SaS 

quement comme Fespagnole Marie , qui lii' a précé* 
dée sur le trône ^ je pourrais aujourd'hui verser un 
sang royal sans encourir de blâme. Cependant est- 
ce de mon propre choix que j'ai toujours ainsi res- 
pecté la justice? La «nécessité toute-puissante qui 
dompte les libres volontés des rois , la nécessité m'a 
prescrit la vertu. 

La seule faveur du peuple me maintient sur un 
trône contesté et de toutes parts entouré d'ennemis ; 
toutes les puissances du continent s'efforcent de 
m'anéantir. Le pape implacable lance de Rome 
l'anathème sur ma tête; la France veut me trahir 
sous des apparences de fraternité et d'alliance ; les 
Espagnols plus ouvertement se préparent à me faire 
avec fureur une guerre d'extermination. Ainsi j'ai à 
combattre contre tout l'univers, moi, faible femme; 
il faut que par une vertu sublime je cache la fai« 
blesse de mes droits , et la tache dont mon propre 
père a flétri ma naissance. Mais mes efforts sont 
vains ; la haine de mes ennemis en réveille sans cesse 
le souvenir, et me présente cette Marie comme un 
fantôme éternellement menaçant. 

Oui I il faut que cette crainte finisse ; il faut que 
sa tête tombe. Je veux obtenir la paix. Elle est la 
furie qui trouble ma vie; c'est un esprit que le 
destin a déchaîné contre moi pour m'pbséder. Je ne 
forme pas une espérance , je ne promets pâs une 
joie que ce serpent infernal ne se présente sur mon 
passage. Elle m'enlève mon amant, elle ipe fait 
perdre mon époux; tous les malheurs ^i m'ont 
frappée portent le nom de Marie. Qu'elle soft re- 
tranchée du nombre des vivans , alors je suis libre 



324 MARIE STUARÏ, 

comme l'air sur la montagne. (Elle se tait unmo^ 
ment. ) Âyec quel dédain elle m'a regardée ; il sem- 
blait que son regard dût me terrasser. Impuissante ! 
j ai de plus fortes armes ; elles portent la mort y et 
c'en est fait de toi. (Elle marche dùn pas rapide 
vers la table et prend la plume. ) Je suis le fruit de 
l'adultère; malheureuse, je ne le suis que parce 
que tu yis , que parce que tu respires ; dès que je 
t'aurai anéantie , tous les doutes sur ma royale nais- 
sance seront anéantis ; dès que l'Angleterre n'aura 
plus un autre choix à. faire, alors je suis la fille 
légitime du lit de l'hyménée. 

(£Ue signe avec un mouTement rapide et ferme, pois elle laisse tomlier la plume et n- 
cule comme épouTanUe. Après un instant , eUe sonne. ) 

SCÈNE XL 

ELISABETH, D A VISON. 

ELISABETH. 

Où sont les autres lords ? 

DAVISON. 

Us sont allés calmer le peuple déchaîne) le tu- 
multe s'est en un instant apaisé dès que le comte 
Schrewsbury s'est montré : « C'est lui, se sont écriées 
D cent voix, c'est lui qui a sauvé la Reine^ écoutons- 
» le, il est le plus digne homme de l'Angleterre. » 
Alors le noble Talbot a commencé à reprocher au 
peuple^ par de douces paroles, sa conduite séditieuse; 
et il a parlé avec tant de force et de persuasion , que 
tout s'est calmé et que la foule s'est tranquillement 
dispersée. 



ACTE IV, SCÈNE XL SaS 

ELISABETH. 

AK ! pe^uple yariable que le moindre yent fait 
changer ! Malheur à celui qui s'appuie sur ce roseauji 
C'est assez , sir Dav ison ^ tous pouvez maintenant 
vous retirer (il se retire vers la porte) ; et cet écrit, 
reprenez-le , je le mets entre vos mains. 

DAVIS ON jette un regard sur le papier, et semUe eflfiraytf. 

Reine , vous avez signe votre nom? 

ELISABETH. 

Je devais signer; je l'ai fait. Cela ne décide point 
encore. Une signature n'est pas la mort. 

DAVISON. 

Votre nom y Reine , au bas de cet écrit y décide 
tout. C'est le coup mortel. C'est un trait de la fou- 
dre , un trait inévitable. Cet écrit ordonne aux 
commissaires et au shérif de se transporter sur-le- 
champ au château de Fodieringay, auprès de la 
reine d'Ecosse y de lui annoncer sa mort , et de la 
faire exécuter demain avant la pointe du jour. Il n'y 
a aucun délai, et si cet ordre sort de mes mains, 
elle a vécu. 

ELISABETH. 

Il est vrai , sir Davison , Dieu remet en vos fai- 
bles mains une grande et importante décision. Sup- 
pliez-le de vous éclairer de sa sagesse. Je vous 
laisse ; acquittez-vous de votre devoir. 

( Elle veut sortir. ) 
DAVISON se place devant elle. . 

Non, Reine, vous ne me laisserez pas avant d'avoir 
manifesté votre volonté; il ne me faut point ici 



326 MARIE STUART, 

d'autre sagesse que de suivre littéralement yos com- 
mandemens. Vous laisses cet ordre entre mes 
mains; est^e pour que j'en procure la prompte 
exécution? 

ELISABETH. 

Je m'en remets à Totre prudence. 

DATISON, avec frajenr et emprMcemant. 

Non pas à ma prudence; Dieu m'en préserve. 
Obéir est toute ma prudence. Rien en ceci ne doit 
demeurer à la décision de votre serviteur ; la moin- 
dre erreur serait un régicide , amènerait un mal- 
heur horrible, irréparable. Permettez que, dans 
cette grande affaire , je sois seulement votre instru- 
ment aveugle et sans volonté. Exprimez clairement 
votre volonté ; que doit-on faire de cet ordre san- 
glant ? 

ELISABETH. 

Il s'explique asâez de lui-même. 

DAvrsoiï. 

Ainsi , vous voulez qu'il soit exécuté sur-l^ 
champ ? 

ELISABETH. 

Je ne dis point cela , et je tremble à le penser. 

DAVISOIï. 

Ou bien , dois-je encore le tenir secret? 

ELISABETH, précipitamment. 

A vos risques et périls ? Vous répondez des suites. 

DATISON. 

Moi, grand Dieu! Parlez, Reine, que Toulez- 
vous? 



ACTE IV, SCÈNE XI. ii^j 

ELISABETH, avec impatience. 

Je veux qu'il ne soit plus question de cette mal- 
heureuse affaire; je yeux enfin qu'elle ne trouble 
plus mon repos. 

DAVIBON. 

U ne vous coûtera qu'un seul mot. Ah ! parlez, 
ordonnez , que faut-il faire de cet ordre ? 

, ÉLiSABBTH. 

Je vous l'ai dit. Ne me persécutez pas davantage. 

DAVISON. 

Vous, me Savoir ditî Non, vous ne m'avez rien dit. 
Je supplie votre majesté de vouloir bien songer.... 

ELISABETH, fra)ppaDt du pied. 

Quelle contrainte ! 

DAVI80N. 

Ayez quelque indulgence pour moi. J'occupe de* 
puis peu de mois cette charge; je ne connais pas le 
langage de la cour et des rois. J'ai vécu dans des 
moeurs simples et franches. Supporter patiemment 
votre serviteur ; daignez lui dire une parole qui l'é- 
claircisse , qui lui apprenne son devoir. ( // s'appro- 
che (Telle d'un air suppliant; elle lui tourne le dos; 
il laisse voir son désespoir , puis parlant dun ion plus 
ferme : ) Reprenez cet écrit. Reprenez-le , il me sem- 
ble que je porte dans mes mains un feu dévorant. 
Ne me choisissez pas pour vous servir dans cette cir^ 
constance terrible. 

ELISABETH. 

Faites le devoir de votre charge. 



1 



338 MARIE STIXART, 

V 

SCÈNE XII. 

' DAVISON seul; puis BURLEIGH. 

DAYlSOir. 

Elle sort. Elle me laisse sans dëcision , hésitant 
sur cet ordre cruel. Que ferai-je? Dois-je le garder? 
Dois-je en user? ( A Burleigh qui entre. ) Âh! heu- 
reusemeuty heureusement yous arrivez^ milord.Cest 
TOUS qui m'avez placé dans la charge que j'occupe , 
délivrez-m'en . J'y renonce , j'en ignore les devoirs. 
Laissez-moi retourner dans l'obscurité dont tous 
m'avez tiré : je ne conviens pas à cette place. 

BURLEIGH. 

Qu'est-ce donc^ sir Da vison ? remettez-vous ! ouest 
la sentence? La Reine vous a fait appeler. 

DAVISOW. 

Elle vient de me laisser. Elle était fort irritée. Ab! 
conseillez-moi ^ venez à mon secours ; arrachez-moi 
à ce doute infernal.... Voici la sentence. 

B URL £ IG H emprené. 

Vous l'avez^ donnez-la moi. ...Donnez. 

DAVISON. 

Je n'ose point. 

BURLEIGH. 

Pourquoi? 

DAVISON. 

Elle ne m'a point positivement expliqué sa vo- 
lonté. 



ACTE IV, SCÈNE XII. 329 

BURLEIGH. 

Quoi , positiTement? Elle a signé. • . . Donnez. 

DAYISOIT. 

Dois-je la faire exécuter? Ne le doi&'je pas ? Grand 
Dieu! sais-je quel est mon devoir? 

BURLEIGH, le pressant. 

Vous devez sur-le-champ^ à l'instant , la faire 
exécuter ••.. Donnez.... Vous êtes perdu ^ si vous dif-* 
ferez. 

DAVISON. 

Je suis perdu ^ si je hâte l'exécution. 

BURLEIGH. 

Vous êtes insensé.... Vous êtes hors devons.... 
Donnez. 

( U lui arraclie la sentence , et Ven Ta en remportant. ) 
DAVISON le suivant. 

Que faites-vous? Arrêtez.... Ah! vous me préci- 
pitez dans ma ruine. 



FIN DU QUATRIÈME ACTE. 



33« HAIIIE STUART, 



mivw*mm mmm itm/9n^m9m0mitt/tmmnnmt it imn0*0mitmytmtmmitt^wtmv w /^mtm^MmmyiM%wt0^ni^^ 



ACTE CINQUIÈME. 



Le théâtre représente la prison , comme au premier acte. 

SCÈNE PREMIÈRE. 

ANNA KENNEDI, vêtue en grand deuil, les yeui 
humides de larmes, et accablée d'une douleur pro- 
fonde, mais calme; elle est occupée à cacheter des 
papiers et des lettres. Souvent sa douleur la force 
à s'interrompre , et elle se met à prier. PAULET 
et DRURY, vêtus aussi en noir. Ils sont Suivis de 
plusieurs dome^iques qui portent des vases d'or 
et d'argent, des tableaux et autres objets précieux, 
dont ils remplissent le fond du théâtre. Paulet 
remet à la nourrice un écrin avec un papier , et 
lui fait signe que c'est la liste de ce qu'il contient. 
La vue de toutes ces richesses renouvelle le cha- 
grin de la nourrice , elle retombe dans un profond 
désespoir; pendant ce temps, chacun se retire 
en silence. MELVIL entre. 

KEIIN EDI s'écrie dés qu'elle raperçoit. 

Melvil.... C'est vous !.. • Je vous revois. 

MELVILLE. 

Oui , chère Anna , nous nous revoyons. 



ACTE V, SCÈNE I. 33i 

KENNBDI. 

Après une longue , longue et douloureuse sépara- 
tion ! 

IfStVIL. 

Quelle malheureuse et déplorable réunion ! 

KENNEDI. 

Dieu! . . . Vous venez. ... 

MELYIL. 

Recevoir de ma souveraine le dernier^ l'éternel 
adieu. 

KEIfNEDI. 

Enfin aujourd'hui 9 le jour de sa mort, on lui ac- 
corde là présence long-temps interdite de tous ses 
serviteurs. Ah! cher Melvil^ je ne vous demande 
pas quel a été votre sort ,. je ne vous raconte pas les 
souffrances que nous avons endurées depuis qu'on 
vous arracha d'auprès de nous. Hélas ! il viendra un 
moment pour en parler.... Ah! Melvil! Melvil!.... 
nous fallait-il vivre pour voir l'aurore de ce jour? 

MELVIL. 

Ne nous attendrissons pas Tun l'autre.... Je pleu- 
rerai tant que durera ma vie ; jamais un sourire ne 
sera sur mes lèvres , jamais je ne quitterai ces som- 
bres vêtemens. Toujours ma douleur durera; mais 
aujourd'hui , je veux avoir de la fermeté. Promettez- 
moi de modérer aussi votre douleur , et quand tous 
les autres s'abandonneront sans contrainte à leur 
désespoir , nous , d'une contenance ferme et mâle , 
nous la, précéderons , et dans le chemin de la mort 
nous lui servirons d'appui. 



33a Marie STU ART, 

KENNEDI. 

Melvil; TOUS êtes dans l'erreur^ si tous penses 
que pour marcher à la mort aTec fermeté, la tem 
a besoin de notre secours. Elle-même nous donnera 
l'exemple d'une noble assurance , soyez sans crainte. 
Marie Stuart mourra en reine et en héros. 

MELYIL. 

A-t-elle appris aTec fermeté la nouTcUe de sa 
mort? On dit qu'elle n'y était pas préparée. 

KENNEDI. 

Non, elle ne l'était point. Une toute autre crainte 
agitait ma chère maîtresse ; ce n'était pas la mort 
qui l'épouTantait , c'étaient ses propres libérateurs. 
Notre déliTrance nous était promise. Mortimer avait 
assuré que cette nuit même il nous tirerait d'ici; 
et flottant entre la crainte et l'espérance , incertaine 
si elle confierait son honneur et sa royale personne 
à cet audacieux jeune homme , la reine a ainsi at- 
tendu jusqu'au matin A ce moment ^ nous avons 

entendu du tumulte dans le château , et le bruit de 
plusieurs coups de marteau a frappé notre oreille. 
Nous pensions que c'étaient nos libérateurs ; l'espé- 
rance entrait dans notre cœur, l'amour invincible 
et involontaire de la Tie s'emparait doucement de 
pous..,. La porte s'est alors ouTcrte. C'était sir Pau- 
let.... Il nous annonce que des ouTriers construi- 
j^aient l'échafaud au-dessous de nos pas. 

( Elle se détourne saisie d'une vive douleur. ) 
MELVIL. 

Juste Dieu! ... Ah ! dites*moi. . . . Et comment Marie 
a-t-elle supporté cette terrible réTolution ? 



ACTE V, SCÈNE I. 333 

KENl^EBI , après un instant de silence, où elle a tâché de reprendre quelque force. 

On ne se détache pas peu à peu de la vie. C'est un 
coup subit f un instant rapide qui fait passer sur-le- 
champ des choses terrestres aux choses éternelles ^ 
et Dieu a fait la grâce à ma chère maîtresse qu'elle 
a pu en ce moment rejeter d'une âme ferme toute 
espérance humaine^ ^et s'attacher au ciel ayec une 
foi ardente; aucun symptôme de terreur, aucune 
pâleur ; aucune plainte n'a abaissé notre reine.... 
Quand ensuite elle a appris l'infâme trahison de 
lord Leicester, et le sort déplorable de ce courageux 
jeune homme qui s'est sacrifié pour elle ; quand elle 
à vu la profonde douleur de ce vieux chevalier , à 
qui elle coûte le dernier espoir de sa famille, alors 
ses larmes ont coulé. Ce n'était pas son propre sort, 
mais la douleur d'autrui qui les lui arrachait. 

MELVIL. 

Où est-elle maintenant ? Pôuvez-vous me conduire 
vers elle? 

KEIïIïEDI. 

Elle a passé le reste de la nuit en prières. Elle a 
dit adieu par des lettres à ses plus chers amis. Elle 
a écrit son testament de sa propre main. Mainte- 
nant elle prend un instant de repos , et ranime ses ^ 
forces par un dernier sommeil. 

MELVIL. 

Qui est auprès d'elle ? 

KENNEDI. 

Le docteur Burgoyn et ses femmes. 



334 MARIE STUART, 

SCÈNE II. 

Les précédeos; MARGUERITE KURL. 
£h bien! madame^ la reine est-elle éveillée? 

MARGUSRITB, MiqFant sm lantct. 

EUe est déjà habillée.... Elle vous demande. 

KENNEDI. 

J'y vais. {A Melvil qui veut la suivre). Ne me 
suives pas f je veux préparer ma maîtresse à vous 
revoir. 

(Elle estre ches U Reiae.) 
MARGUERITE. 

Melvil , le vieux gouverneur de sa maison! 

MEtVIL. 

Oui , c'est moi. 

MARGUERITE. 

Hélas I eette maison n'a plus besoin de gouyei- 
neui\,.. Melvili vous venez de Londres : ne pourrez- 
voud m'apprendre des nouvelles de mon mari ? 

MELVIL. 

Il sera mis en liberté^ dit-on^ aussitôt que... 

MARGUERITE. 

Aussitôt que la Reine ne sera plus!.. Oh! l'indigne! 
Tinfàme traître ! U est le meurtrier de notre chère 
maîtresse; c'est sur son témoignage ^ ditron, qu'elle 
a été condamnée. 



ACTE V, SCÈNE III. 335 

MELTIL. 

Il est y rai. 

MARO01SRIX6. 

Ah ! qae son âme en soit punie aux enfer$ ! il a 
fait un faux témoignage. 

MELYIL. 

Milady Kurl , songez à ce que vous dites. 

Oui 9 j'en jurerais derant un tribunal^ je le rëpè* 
terais en sa présence ; je veux remplir le monde de 
ce cri : Elle meurt innocente I 

MELYIL. 

Dieu le yeuille. 

SCÈNE III. 

Les prëcëdens, BURGOYN, puis KENNEIH. 

BURGOYN, «perceTUit UéMl. 

Melvil ! 

MELYIL, rembrassant, 

Burgoy û , ! 

BURGOYN, à Marguerite. 

Faites apprêter pour la Reine une coupe de yin. 
Hâtez-Yous. 

(MwgaoritsMrt.) 

MELYIL. 

£t quoi ! la Reine n'est-elle pas bien ? 

BURGOYN. 

Elle se sent de la force; son courage héroïque 
l'abuse , et elle ne croit pas avoir besoin de nourri- 
ture. Cependant elle a encore de rudes combats à 



336 MilRIE STUART, 

ëprouyer , et il ne faut pas que ses ennemis se glo- 
rifient en attribuant à la crainte de la mort une 
pâleur que l'abattement de ses forces pourrait ré- 
pandre sur son visage. 

MELVIL, k KeiuMdi, qui rentre. 

Veut-elle me voir? 

KÊNNEDI. 

Elle-même sera bientôt ici. Vous me regardez 
av^c étonnement, et votre regard me demande 
pourquoi tant de pompe dans ce séjour de la mort? 
Ahl Melvil^ nous avons été dans le dénûmeut 
pendant la vie ^ et Tabondance nous revient au jour 
de la mort. 

9 

SCÈNE IV. 

Les prëcédens , DEUX FEMMES de Marie , aussi 
vêtues de deuil ; elles éclatent en sanglots à la vue 
de Melvil. 

MELVIL. 

Quel spectacle , quelle réunion ! Gertrude , Rosa- 
monde ! 

LA SECONDE FEMME. 

Elle nous a fait retirer; elle veut pour la dernière 
fois s'entretenir seule avec Dieu. 

( Deux autres femmes arrivent encore, habillées de même en ooir. Leur contenaocc ex- 
prime le désespoir. ) 



ACTE V, SCÊ-NÈ V. ^3- 

SCÈNE V. 

Les précëdens ; MARGUERITE KURL , elle porte 
une coupe d'or remplie de vin; elte la pose sur 
une table, et pâle et tremblante elle 3 appuie sur 
un fauteuil. 

MELVIL. 

Qu'est-ce, madame, d'où vient ce trouble? 

■ 

MARGUERITE. 

Dieu ! 

BUR60YN. 
Qu'avesE-vous ? 

MARGUERITE. 

Ah ! qu'ai-je été obligée de voir ! 

MELVIL. 

- Revenez à voué ; ditesnaous ce que c'est. 

jIArguerité. 

Comme pour apporter cette coupe ^ je montais le 
^and escalier qui descend dans la salle . d'en bas , 
la porte s'est puverlcf et j'y ai, vu... j'ai vu.., jâ^ laotï 
SieU)! 

MELVIL. 

Qu'avez-vous vu? remettez-vous. 

MARGUERrrB. 

Tous les murs sont tendus tn noir , nu |;i*and 
tî'ckafaud recouvert d'un drap iiotr/est dresbéf au 
m^ilieu un bloc Hoir, un coussiii, et ^ès dg ta ^am 
itache récemment aiguisée. La saille iest pklne dt 
^ens qui se pressent autour dé l'échafaudy êt^^pd^ 
1«6 féVL^ avides de tei^g, dtittMdeul k vifetime. ^ ^ 

ToM. III. 22 



338 MARIE STUART, 

LES FEMME S.^ 

Que Dieu accorde sa grâce à notre chère maî- 
tresse. 

MELVIL. 

4 

Remettez-vous, elle vient. 

SCÈNE VL 

Les pre'ce'dens ; MARIE. Elle est vêtue de blanc et 
parée; un agnus Dei est suspendu à son cou par 
un collier; un rosaire est attaché à sa ceinture; 
elle tient un crucifix dans sa main ; un diadème 
orne ses cheveux, et son grand voile noir est rejeté 
derrière elle. Quand elle entre, tous se rangent des 
deux cot€S de la scène , en montrant la plus Tive 
douleur ; Melvii , avec une émotion involontaire, 
tombe à genoux devant elle» 

•MARIE, «vec un« dignité, tram^uille , jette les yeax aatour d'elle. 

PoUrqiiôi gémisàez-vous? pourquoi ces pleurs? Ne 
devez-vous pas plutôt vous réjouir avec moi de ce 
que le terme de mes souffrances approche, de ce 
que mes liens sont brisés , de ce que ma prison est 
ouverte , de ce que mon âme affranchie va s'envoler 
sur les ailes des anges vers l'éternelle liberté? Quand 
j'étais en. la puissance d'une orgueilleuse ennemie; 
qaaèd j'endurais des outrages indignes de la ma- 
^esèé royale , ah ! c'était alors qu'il fallait pleurer sur 
BioiLI^ mort bienfaisante et salutaii*e vient à moi 
comnie un sévère ami , et sous l'abri de ses sombres 
ailes je^ n'ai plus d'afik^nls à redouter; l'homiBC 



ACTE V, SCÈNE VL SSg 

est eiMiobli et relevé du plus profond abattement^ 
dès qu'il ;è^uche à son dernier moment. Je sens un 
noble orgueil rentrer dans mon âme ranimée ^ et 
la couronne se replace sur mon front. (Elle aisance 
de quelques pas. ) Quoi ! Melvil ici î Levez-vous , 
chevalier; levez-vous : c'est au triomphé de vôtres 
reine ^ non à sa mort^ que vous assistez. C'est pour 
moi un bonheur^ et je ne l'avais pas espéré^ que la 
mémoire de mes derniers momens ne soit pas entiè- 
rement livrée aux mains de mes ennemis^ et d'a- 
voir pour témoin de l'heure de ma mort un ami qui 
professe la même croyance. Dites-moi , chevalier, de- 
puis qu'on vous arracha d'auprès de moi , que vous 
est-il arrivé sur cette* terre inhospitalière et enne- 
mie? Cette inquiétude sûr votre sort a souvent 
troublé mon cœur. 

MEIiVIL. 

Je n'ai senti d'autre malheur que mon af&iction 
sur vous , et l'impuissance de vous servir. 

MARIE. 

Comment se porte Didier, mon vieux serviteur ? 
Peut-être dort-il depuis long-temps de l'éternel 
sommeil , car il était avancé en âge . 

MELVIL. 

Dieu ne lui a pas fait cette grâce; il vit pour voir 
succomber votre jeunesse. 

MARIE. 

Ah! que ne puis-je ,. avant ma mort, avoir le 
bonheur de presser dans mes bras quelqu'un de 
ceux auxquels je tiens par les liens chéris du sang ! 
Mais il me faut mourir au milieu d'une terré étran* 



^^^m 



34o ^ MARIE STUAfiT, 

g^'fij et je yerrai seulement coul^ tos larmes. 
Melril , je eon&e à votre cœur fidèle mes derniers 
voçax pour les «liens. Je béui^ le roi trèsM^hretien 
mon beau-frère, et toute la maison royale de France; 
je bënis man oncle le Cardinal , et Henri de Ouise, 
mon noble cousin ; je bénis aussi notre saint i)ère; 
le ^caira de Jesus-rGhrist » qui m'a donné sa béné* 
•diietioQ , ef le roi catholique , qui s^est gënëreu- 
aem^iit «ri&rt k être mon libérateur et mon vengeur. 
Us sont tous nommés dans mon testament: ils rece- 
iVront dès dons de mon amour; et tout modiques 
que sont ces prësens, ils ne les estimeront pas 
moins. ( Se retoumar^ vers ses serviteurs.) h vous 
ai recommandés à mon frère le roi dé France; 
il prendra soin de votre sort, et vous rendra une 
nouvelle patrie. Si ma dernière volonté' vous est 
sacrée , ne demeurez point en Angleterre ; que le 
Breton ne repaisse point son cœur orgueilleux du 
spectacle de vôtre malheur , qu'il ne voie pas dans 
la poussière ceux qui ont été à mon service. Pro- 
mettez'-moi, sur cette image de Jëçus crucifié, que 
vous quitterez cette déplorable contrée dès que je 
ne serai plus. 

MELVIL', touch;)nt le crucifix. 

NoAf^ YQ^s 1p ju;rons par oç saint nom* 

MARIE. • 

Tout ce qui me reste encore à moi , misérable et dé- 
pouillée , ee dont je puis encore librem^al disposer, 
je l'ai parta^^entrè vous, et Ion respectera, j'espère, 
lues dernières volontés. Ce que je porte en mar- 
<3hant a la; mort voua appartient aussi; ;- accordez- 



ACTE V, SCÈNE VI. 34i 

moi de m'orner encore une fois des parures de la terre, 
quand je vais entrer au ciel. ( A ses femmes. ) Ma 
chère Alix y Gertrtide , Rosamondé , je tous ai des- 
tiné mes perles et mes vêtemens : votre jeunesse se 
plaît encore à la parure. Toî , Marguerite , tu as de 
plus grands droits à ma générosité , car c'est toi que 
je la'isse la plu^ mallteureuâe ; mon fefelament fera 
voir que je ne veux pas venger ^to toi te crime d'un 
épêcil. Pour toi , mon Anna , tii attaehds peu de 
ipcïjk à Vor^ à l'éclat de» pierrevie^ ,i et mon souvenir 
fait ton plus précieux trésor ; prends ce induckoir , 
je l'ai de mes propres màin^ brodé pour toi pendant 
\» hé«ii^9 de ma donaleterf t\ a été trempé' (te= mes 
larmes : tu me banderas les yeuï àV^c ce* «Mouchoir, 
quand le moment sera venu; ce dernier service, je 
veius l6 recevoir de mon Anna. 



î. 



Ah ! Melviè,. je ne pui$ ett tant snippoipter 

MAlllE. 

VeAéaS totis , venez et ^eceve:^ Wiôti dernier afefiéu. 
ÇÊtiëleut tèndld main et ckcwwi à sdfï Wiir é& jette 
à ^s pieds et lui bahe Itt nfUiin eti scthglotant. ) 
Adieu, Margueritte^; Alix*, ttêàtvt. Je Vous rem^iHiie 
de vos fidèles soins, Burgoyn. Ta bouche est brû- 
lante, Gei^trude; j'ai été bien haie, m«is aus^' bi^n 
aiftiée. I^iisse u« noble époux rendref heur^Uee* wm: 
Gerfrude, car son cœur passionné a besoin d'aHM>ur« 
Bertbe^ tU as pris la meilleure part, tu seras la dinste 
épouse du ciel ; hâte-toi d'accomplir ton vœu j les 
biens de ce monde sont trompeurs , ta reine peut te 
l'apprendre. C'est assez; adieu,adieu> éternel adieu. 

(Elle s'élôigp'e'ireux'. Tons se rètîrehf , hormis Melvîl.) 



34» MARIE STUART, 

i 

•» 

SCÈNE VII. 

/ 

MARIE, MELVIL. 

MARIE. 

J 

Maintenant j'ai réglé tous mes intérêts terrestres, 
et j'espère sortir de ce inonde quitte envers les 
hommes. Il ne me reste plus qu'une chose, Mehil, 
qui empêche nlon âme oppressée de s'élever avec 
joie et liberté. 

MELVlIi. 

Dites-la moi , soulagez votre cœur , confiez vos 
soucis à un fidèle ami. 

MARIE. 

Me voici sur le bord de l'éternité , bientôt je vais 
comparaître devant le souverain juge , et je n'ai pu 
encore me réconcilier avec le saint des saints. Od 
me refuse un prêtre de mon église; je rejette la 
céleste nourriture du divin sacrement offerte par 
les mains d'un faux prêti'e. Je veux mourir dans la 
croyance de mon église , car elle est la seule qui 
puisse conduire au bonheur éternel. 

MELVIL. 

Calmez votre cœur ; le désir pieux et ardent est 
compté au ciel comme s'il était accompli. La puis- 
saince des tyrans ne peut enchaîner que les mainS) 
mais la dévotion du cœur s'élève toujours librement 
vers Dieu; la lettre tue et la foi vivifie. 

MARIE. 

Hélas! Melvil^ le cœur ne se suffit pas à lui* 



ACTE V, SCÈNE VIÎ. 343 

inéme; la foi a besoin d'un gage terrestre afin de 
s'approprier les choses célestes et sublimes. Cest 
ainsi que J)ïe\\ s'est fait. homme et a mystérieuse** 
ment renfermé les attributs célestes et invisibles 
sous une forme visible. C'est l'église , l'église sainte 
et sublime qui forme l'échelle entre nous et le ciel; 
elle se nomme universelle , catholique, parce que la 
croyance de tous fortifie la croyance de chacun. 
Lorsque des milliers de fidèles sont assemblés pour la 
prière et l'adoration, alors la flamme s'élève du bra- 
sier et l'âme sur des ailes de feu s'élance vers le ciel. 
Ah ! heureux ceux qui, réunis dans la maison du Sei- 
gneur, peuvent prier dans une douce communauté. 
L'autel est préparé, les flambeaux allumés, la cloche 
se fait entendre , l'encens est répandu , le prélat est 
revêtu de ses habillemens pontificaux , il prend le 
calice , il le bénit, il annonce le miracle sublime du 
changement de substance , et le peuple plein de foi 
et de persuasion se prosterne devant un Dieu pré- 
sent. Hélas ! je suis seule, renfermée, la bénédiction 
du ciel ne pénètre pas dans ma prison. 



MELVIL. 



Elle pénètre jusqu'à vous, elle s'approche de 
vous; confiez-vous au Tout-Puissant. La verge des- 
séchée peut pousser des rameaux entre les mains de 
celui qui a la foi , et celui qui fit jaillir la source du 
rocher peut élever ici un autel, peut tout à coup, 
pour vous, changer le breuvage terrestre de ce 
calice en un céleste breuvage. 

( U prend la coupe qui est sliir la tablo. ) 



344 MARIE SXUART, 

MJIBIS. 

MelvîJ , TOUS ai'-je comfMris ? Oui , je tous entends. 
Ici il n'est point de prêtre, point d'ëglise, point de 
sainte table. Cependant le SauTeur n a-t-il pas dit : 
(c Quand d^ux personnes seront assemblées en mon 
nom y je serai au milieu d'elles? » Qu^est-ce qui 
fait du prêtre l'oi^ene du Seigneur? c'est un cœur 
pur, une Tertu san5' tache. Ainsi, soyez pour moi, 
encore que tous ne soyez pas consacre, soyez comme 
un prêtre , le messager de Dieu pour m'apporter la 
paix; je Teux tous faire ma dernière confession et 
reccToir de TOtre bouche Fassurance du salut. 

MELVIL. 

Puisque Totre cœur est anime d'une telle feryeur, 
sachez, reine, que Dieu peut opérer un miracle 
pour TOtite consolation. Il n'est point ici de prêtre, 
dites-Tous, point d'église , point d'hostie l Vous vous 
trompez ;. ici est un prêtre , ici est le corps de Jésus- 
Christ, (y^ ces mots il découvre sa tête , et lui montre 
une hostie dans un vase dor.) Je suis un prêtre, 
j'entendrai Totre dernière confession, je tous annon- 
cerai la paix sur le chemin de la mort. *Ma tête a 
reçu les saintes onctions , et je tous apporte cette 
hostie que le saint père a consacrée pour tous. 

MABIE. 

Ainsi, sur le seuil même de la mort, un bonheur 
céleste m'était réserTé. Telle une créature immor- 
telle descend d'un nuage d'or: tel l'ange délivra 
jadis l'apôtre des chaînes et de la prison ; sans 
qu'aucun Tcrrou , sans que le glaiTC des gardiens 
pût l'arrêter , U s'aTança sans obstacle à traTcrs les 



acte: t, scène vtd. 345 

portes épaisses , et parutr ra.dÂeux au milieu du ca- 
chot; tel ji9 n^i^agj^r du. ciel arrive iai inott.tendii ^ 
tandis que tous les terrestres libérateurs m avaient 
abusée. Vous ^. autrefois mon serviteur^ vous, êtes 
maintenant te serviteur du Dieu tout-puissaat et 
son saint organe; autrefois yaus courbiez le genou 
devant môî, aujourd'hui je me prosterne à vos pieds 
dans là poussière, 

CBtlcr SE n>i6t'à genoux.) 
MELTIL fuit sur elle té signe de la croix. 

Au nom du Pèi'è et du Fife et an Saint-Esprit , . 
Marie , reine, àvea-vous interroge Votre cœur, jurez- 
vous et promettez-vous de confesser la vérité au 
Dieu de vérité. ? 

MARIE; 

Mon cœoiv'est d<tt»ert devant lui etdis«mn>t vc^m. * 

MBLVIL. 

Farles^ quek péehés- Tans rdprecire votre* con- 
science , depuis la dernière fois que vous: toiis^ étes^ 
réconciliée avec Dieu ? 

Mion cœur fut renrpli de haine et d'envie , et des; 
pensers de v^Bgeance- s'agitèrent dans, mon^ seiou... 
Moi, péeheiresse, j'espérais le pardon de Bîiea, et je 
ne pouvais pardonner à nlon e&nomie* 

MEIJVIL. 

Vous repentez-vous de votre fiante , et sentez-vous 
la ferme résolution de quitter ce mondie èans res- 
sentiment? 

MARIB. 

• Que Dieu me retire son pardun , si- je n-- y suis sin- 
cèrement: résoluev 



346 MARIE STiJ ART, 

MELTIL. 

De quel autre péché vous accuse vôtre ecteur? 

MAKIE. 

Hélas ! Ce n'est pas par la haine seule que j'ai of- 
fensé la divine bonté de Dieu. J'ai péché plus encore 
pap un amour coupable; la vanité de mon cœur 
fut séduite par un homme qui m'a infidèlemeut 
abandonnée et trahie. 

MELVIL. 

Vous repentez-vous de votre erreur? et votre cœur 
a-t-il quitté la vaine idole pour retourner vers 
Dieu ? 

MARIE. 

Ce fut un dur combat que j^eus à livrer ; mais, 
enfin , le dernier lien terrestre est rompu. 

MELVIL. 

Quelle autre faute encore vous reproche votre 
conscience ? 

MARIE. 

Hélas ! une sanglante faute , confessée depuis long- 
temps , revient me frapper d'une nouvelle terreur, 
au moment de ce dernier examen , et semble se pla- 
cer comme un ange sinistre entre les portes du. ciel 
et moi ; j'ai laissé frapper le roi mon épouï , j'ai ac- 
cordé mon cœur et ma main à son meurtrier. J'ai 
expié ce crime par les plus rigom*euses punitions de 
l'église , cependant le serpent qui dévore mon cœur 
n'a pu s'apaiser. 

MELVIL. 

Et votre cœiu* ne vous accuse d'aucune autre 
faute ^ que vous n'ayez ni confessée > ni expiée? 



ACTE V, SCÈNE VII. 347 

MARIE. 

Maintenant vous savez tout^ j'ai soulagé mon 
cceur. 

MELVIL. 

Vous allez paraître devant celui qui sait tout, 
songez-y , songez aux peines dont la sainte église 
menace une confession imparfaite. C'est une faute 
qui mérite la mort éternelle , car c'est pécher contre 
le Saint-Esprit. 

MAKIE* f, 

Si je vous ai rien tu de ce que je savais , puisse 
l'éternelle bonté ne pas m'accorder la victoire dans 
ce dernier combat. 

MELVIL. 

Eh quoi ! cachez-vous à votre Dieu le crime pour 
lequel les hommes vous punissent? Vous ne me dites 
rien de votre sanglante participation aux complots 
de Parry et de Babington? Vous perdez, pour cette"^ 
action, la vie terrestre : voulez-vous quelle vous 
coûté'encore la vie éternelle? 

MARIE. 

Je. suis prête à entrer dans l'éternité.... Encore 
une minute, .et je paraîtrai devant le tronc de mon 
juge; cependant je le répète, je n'ai rien omis dans 
ma confession. 

MELVIL. 

Songez-y bien? Le cœur à ses détours. Peut-être 
par un double sens adroit avez-vous évité de pro- 
noncer les paroles qui vous auraient rendue cou- 
^pable. Mais la volonté suffit pour qu'on soit cri- 
minel Sachez qu'aucun subterfuge he peut 



»^ 



343 MARIE STUART, 

échapper au regard de feu cjui lit au fond de notre 



âme. 



IttARIE. - 

JTai imploré tous les princes pour qu'ils m'affran- 
chissent d'indignes liens. Mais jamais^ ni d'eifet^ ni 
de pensée, je n'ai attenté à ïa vie de mon ennçinie. 

HELVIt. 

Alasi, le! téfinoignage de vesr secrétaidres esA {ani? 

MARIE. 

Je vous ai dit la vérité.... Que Dieu jime leur té- 
moignage. 

Ainsi vous montez sur réchafâûd", àsisurée de 
votre innocence? 

IKiea me fait la gnâice d'expierv pRa* uw ttépftà hOÉ 
mérité, les^ sanglaiMes fautes de ma jeunesse^. 

MTÉLt^'It U bétoit. 

Allez, et que îa mort vous serve d^xpiation. Vic- 
time obéissante, marchez à Fautel. La peine du 
sang efface le crime du sang. Vous ne fûtes coupable 
(^oepafi une fragilité de femwe,. et le^ esprits bi«B- 
hreu«reu3^ sa dépQuiUeni dansdeiu' gloire de' toutes le» 
fiEMJ»lessi69( do rhufmanité. ie \on» aniMniice donc, en 
vertu du pouvoir qui m'a été donné, de li«t et de 
délier, la rémission de tous vos péchés. Allez, et 
q^'il vous soit Êiit ainsi que^ vous< avez- eruw ( // 
prend le.calice qui est sur la^ table, le ConMore, et 
r adore en silence, puis le présente à la reine. EUe 
hésite à le prendre , et le repousse^ de la main. ) Pre- 
ne^M ce si^ng qui 9^ été répaudui poui? vous , prénes;^ 



ACTE V, SCÈITE VIII. 349 

le , le pape vous accorde cette faveur. Vous pouvez 
en mourant jouir de ce sublime privilège et des rois 
et des pontifes. ( Elle prend le calice. ) Et de même 
qu'au milieu des terrestres douleurs vous vous êtes 
mystérieusement unie avec votre Dieu, de même 
dans son royaume de félicité, où Ton ne voit plus ni 
larmes, ni péchés, vous serez comme un ange de 
lumière unie pour toujours à la divinité. ( // pose 
le calice. On entend du bruit; il couvre sa tête , et va 
vers la porte. Marie demeure à genoux dans un saint 
recueillement. ) Il vous reste encore un rude combat 
à soutenir.' Vous sentez-vous assez forte pour triom- 
pher de tout sentiment de haine et d'amertume? 

MARIE. 

Je ne crains plu? de rechute. J'ai immolé à Dieu 
ma haine et mon amour. 

MÇLVIL. 

Apprêtez-vous donc à recevoir les lords Leicester 
et Burleigh ; ils sont ici. 

SCÈNE VIIL 

Les précédens; LEICESTER, BURLEIGH et PAU- 
LET. Leicester reste tout-à-fait dans Féloigne-^ 
ment sans lever les yeux. Burleigh , qui observe 
sa contenance, s'avance entre la reine et lui. 

BURLEIGH. 

Lady Stuart , je viens recevoir vos derniers com^- 
mandemens. 

HARIS. 

Je vous remercie , miiord. 



.^iMm 



35d 



MARIE STUART, 



BURLEIGH. 

La Tolonté de ma Reine est qu'on ne vous refuse 
rien de ce qui est juste* 

MARIE. 

Mon testament contient mes dernières volontés. 
Je l'ai mis entre les mains du chevalier Paulet^ et je 
demande qu'il soit fidèlement exécute. 



V 



PAULBT. 

Soyez en repos sur ce point. 

MABIE. 

Je demande qu'on laisse mes serviteurs, sans 
qu'il leur soit fait aucun mal, se rendre soit en 
Ecosse , soit en France , là oii ils désireront et de- 
manderont d'aller. 

BURLEIGH. 

Cela sera fait ainsi que vous le souhaitez. 

MARIE. 

Et puisque mon corps ne pourra reposer en 
terre sainte , je souhaite qu'on permette à ce fidèle 
serviteur de porter mon cœur à mes parens en 
France. Hélas ! il y a toujours été. 

BURLEIGH. 

Cela sera fait. N'avez-vous rien de plus? 

MARIE. 

Portez à la Reine d'Angleterre mes adieux 
fraternels. Dites-lui que , de tout mon cœur, je lui 
pardonne ma mort; je me reproche avec repentir 
mon emportement d'hier. Que Dieu la conserve et 
lui accorde un règne heureux. 



I 



ACTE V, SCÈNE a. 35i 

BURLEIGH. 

Dites. étes-Tous revenue à une meHleure résolu- 
tion ? Rejetez-Yous encore l'assistance du doyen? 

MARIE. 

Je suis réconciliée avec mon Dieu. Sir Paulet, je 
vous ai contre mon gré fait beaucoup de mal, je 
vous ai ravi l'appui de votre vieillesse. Ah ! laissez- 
moi espérer que vous ne garderez pas de moi un 
souvenir de haine. 

PAULET lui prend la main. 

Dieu soit avec vous ! Allez en paix. 

SCÈNE ik. 

Les précédens ; ANNA KENNEDI et les autres 
femmes de la reine entrent , et laissent voir tous 
les signes^ de la terreur. Le shérif les suit, une 
baguette blanche à la main ; derrière lui, on voit, 
par la porte qui reste ouverte, plusieurs hommes 
armés. 

MARIE. 

Qu'est-ce , Anna ? Oui , voici le moment; le shé- 
rif vient ici pour nous conduire à la mort , il faut se 
séparer; adieu, adieu. (S es femmes s^ attachent à elle 
avec désespoir; elle s^ adresse à MehiL ) Vous , mon 
digne ami , et ma fidèle Anna, vous m'accompagne- 
rez dans ce dernier moment. Milord, TQus ne me 
refuserez pas cette faveur. 

BURLEIGH. 

Gela n'est pas en mon pouvoir. 



352 MARIE STDURT, 

MAKIï!. 

lEii quoi ! me re&x^etez-^ons une si petite grâce? 
Qui pourrait me reiidare ies derniers services ? Ja- 
mais la volonté de ma sœur n'a pu être qu'on n'eût 
point d'égard à mon sexe , et que 1^ mains gros- 
sières des hommes m'approchassent. 

BURLEIGH. 

Aucune femme ne doit entrer avec vous dans la 
salle de lechafaud ; leurs gémissemens, leui*s cris... 

MABIE. 

Elle ne fera point entendi^e de gémissemens ; je 
réponds de la fermeté d'âme de mon Anna. Soyez 
bon , milord ; ne me séparez pas , quand je vais 
mourir, de ma fidèle nourrice , de celle qui a pris 
soin de moi ; elle me reçut danfi ses bras quand je 
vins à la vie , et sa douce main me soutiendra aa 
moment de la mort. 

Consentez-y. 

BURLEIGH. 

Eh bien , soit. 

MARIE. 

Maintenant je n'ai plus rien à démêler avec le 
monde. ( Elle prend le crucifia: et le baise. ) Mon 
Sauveur, mon libérateur, de même que tu as étendu 
tes bras sur la croix , étends-les vers moi pour me 
recevoir. ( Elle se retourne pour partir. En ce mo- 
ment elle aperçoit le comte de Leicester, qui , invo- 
lontairement a été troublé par ce départ , et qui ajei^ 
les jeux sur elle. A cet aspect^ Marie déviera trem- 
blante; ses genoux fléchissent f elle est prête à tom- 



ACTE V, SCÈNE IX. 35Î 

ber; alors le Comte de Leicester la saisit et la soutient 
dans ses bras. Elle regarde un moment as^ec gras^ité 
et en silence; il ne peut soutenir son regard; enfin elle 
parle. ) Vous me tenez parole , comte de Leicester ; 
vous m'aviez promis votre bras pour sortir de cette 
prison , et en effet vous me le prêtez aujourd'hui. 
(// demeure comme ariéanti. Elle continue dune voix 
plus douce.) Oui , Leicester; et ce n'était pas seule- 
ment la liberté que votre main devait me donner; 
vous deviez encore me rendre plus douce cette 
liberté. Heureuse du don de votre main , heureuse 
de votre amour, j'aurais joui de la félicité d'une 
nouvelle existence. Maintenant que je suis sur le 
chemin qui conduit hors de ce monde , et prête à 
devenir un esprit céleste, qu'aucun terrestre désir 
ne pourra plus séduire ; maintenant , Leicester , 
j'ose sans honte et sans rougeur vous avouer ma fai- 
blesse et votre victoire. Adieu, et, si vous le pouvez, 
soyez heureux. Vous avez osé prétendre à la main 
de deux reines ; vous avez rejeté un cœur aimant et 
tendre , vous l'avez trahi afin d'obtenir un cœur or- 
gueilleux ; allez aux pieds d'Elisabeth , et puissiez- 
vous ne pas trouver votre punition dans la récom- 
pense même que vous attendez! Adieu, je n'ai plus 
maintenant aucun intérêt sur la terre. 

( Elle marche, le shérif devant elle , Melvil et la nourrice k ses cÂtés ; Burleigh et Paur 
let la suivent; les autres personnages la suivent des yeux, avec desespoir, «t, «{uand 
Wle a disparu, ils se retirent par les autres portes. ) 



ToM. m. 23^ 



354 MAllIE STUART, 

SCÈNE X. 

LEICESTER demeure seul. 

Je \is encore, je supporte encore de vivre !ces 
voûtes ne m'ont pas encore écrasé de leur poids! un 
abîme nes'ouvre pas pour engloutir le plus misérable 
des hommes ! Ah ! qu ai-je perdu ! cjuel trésor j'ai re- 
jeté ! quel bonheur céleste j'ai repoitôsé loin de 
moi ! Elle part, telle déjà qu'un ange de lumière^et 
me laisse en proie aux tourmens des damnés. Quest 
devenue cette résolution que j'avais apportée ici, d'é- 
touffer le sentiment et la voix du cœur , de voir 
tomber sa tête avec un regard assuré ? Son aspect 
a-t-il réveillé en moi la conscience de mon opprobre; 
et, mourante , doit-elle exercer sur moi tout le pou- 
voir de l'amour ? Ah ! réprouvé, il ne te convient plus 
de t'abandonner à une pitié de femme ; il n'y a plus 
pour toi: de bonheur d'amour : arme ton cœur de la 
dureté du fer, que ton front soit d'airain. Si tune 
veux pas perdre le salaire de ta honte , persiste , 
va jusqu'au bout ; que la pitié soit muette , que 
mon œil soit de pierre; je veux la voir tomber, je 
veux être témoin ... (// marche d-un pas ferme vers /fl 
porte par ou Marie est sortie ; il s'arrête ffu milieu 
du chemin. ) C'est en vain , c'est en vain ! une hor- 
reur infernale me saisit ! Je ne puis , je ne puis con- 
templer ce terrible spectacle, je ne puis la voir mou- 
rir! Écoutons... Qu'est-ce ?... . ils sont en bas !... sous 
mes pas s'apprête l'horrible exécution !... j'entends 
des voix ! Sortons, sortons hors de ce séjour de l'ef- 



ACTE V, SpÈKE XI. 355 

froi et de la mort. ( // veut sortir par une des portes 
de côté; il la trouve fermée , et revient. ) Quoi ! un 
Dieu m'enchaîne-t-il en ce lieu ? faut-il que j'en- 
tende cegque j'ai horreur de voir ?..• C'est la voix du 
doyen !.. il l'exhorte; . . . elle l'interrompt ; écoutons. . . 
Elle prie d'une voix haute et assurée ; . . . on se tait ;^ je 
n'entends plua rien ; ... je ne distingue que des san- 
glots : les femmes pleurent;... on écarte son vête- 
ment... on retire le siège... elle se met à genoux sur 
le coussin • • . elle pose la tête. . . 

( Il prononce les derniers mots arec une angoisse toujours croissante. Il s'arrête un mo- 
ment; on le Toit tout & coup , en proie à une émotion déchirante, tomber sans mou- 
vement. Alors on entend le bruit sourd de voix éloignées, qui retentit long-temps. ) - 

SCÈNE XL 

Le théâtre représente la second appartement du quatpiëme acte. 

ELISABETH entre par une porte de côté. Sa dé- 
marche et ses gestes expriment une vive inquié- 
tude. 

Encore personne ici. . . . Aucune nouvelle edcore. . . . 
La fin du jour n'arrivera point. Le soleil a-t-il donc 
suspendu sa course céleste?.... Je ne puis supporter 
plus long-temps cette attente , cette angoiss&w C'en 
est-il fait? ou bi^n au contraire? Je frissonni^ égà-** 
lement de ces deux idées ^ et jç. n'ose interroger perW 
3onne. Le comte Leicester et Fnrleigh, que j'ai 
choisis pour l'exécution de la sentence, ne se mon-- 
trent ni l'un ni l'autre.... Sont-il& partis de Londres? 
S'il en est ainsi, la flèche est lancée; elle vole au 
but y elle a frappé, et au prix de tout mon royaume, 
je ne pourrais plus l'arrêter. Qui vient ici? 



356 MARIE STUART, 

SCÈNE XIL 

ELISABETH , UN PAGE. 

ELISABETH. 

Tu viens seul.... Oîi sont les lords? 

LE PAGE. 

Mxlord Leicester et le grand trésorier,... 

ELISABETH, avec la plus vive impatiance. 

Où sont-ils? 

LE PAGE. 

Us ne sont pas à Londres. 

ELISABETH. 

i 

Us n'y sont pas.... Où donc sont-ils? 

LE PAGE. 

I 

I 

Personne n'a pu me l'apprendre. Vers la pointe 
du jonr^ les deux lords ont secrètement , et en toute 
hâte ; quitté la ville. 

ELISABETH, avec une vive explotion. 

Je suis Reine d'Angleterre!... (Se promenant ça 
et là avec une extjrêfne agitation. ) Va ! . . . appelle ! . . . . 
Non!.... demeure !.... Elle est morte.... Maintenant 
enfin y je suis au large sur la terre.... Pourquoi 
trembler? D'où peuvent venir ces angoisses? Le tom- 
beau a renfermé toutes mes craintes y et qui oserait 
dire que c'est moi qui suis coupable ?. . . Je ne man- 
querai pas de larmes pour pleurer celle qui a suc- 
combé. {Au Page.) Encore ici? Que Da vison, mon 



ACTE V, SCÈNE XIII. 357 

secrétaire d'ëtat^ se rende sur-le-champ près de 
moi.... Qu'on avertisse le comte de Schrewsbury.... 
Ah ! le voici lui-même. 

( Le page sort. ) - 

SCÈNE XIIL 

ELISABETH, TALBOT, 

ELISABETH. 

Soyez le bienvenu, milord. Quel motif vous 
amène? C'est assurément quelque soin important 
qui conduit ici vos pas à une heure si tardive. 

TALBOT. 

> Grande Reine , entraîné par un cœur soucieux et 
inquiet pour votre gloire , je suis allé aujourd'hui à 
la tour, où sont renfermés Nau et Kurl , les secré- 
taires de Marie; je voulais encore une fois éprouver 
la vérité de leurs ténioignages ; interdit, embarrassé, 
le lieutenant de la tour se refuse à me montrer les 
prisonniers ; mes menaces seules me font obtenir 
l'entrée.... Dieu! quel spectacle s'offre à ma vue! 
La chevelure en désordre, l'œil égaré, tel qu'un 
homme tourmenté par les furies, l'Écossais Kurl 
gisait sur son lit.... A peine le malheureux me re- 
connaît, qu'il se précipite à mes pieds, il presse 
mes genoux , il se roule avec désespoir, il s'écrie et 
me supplie , me conjure de lui apprendre le sort de 

sa reine Et le bruit qu'elle était condamnée à 

mort avait pénétré jusque dans les murs de la pri- 
son. Quand je lui eus dit la vérité, ajoutant que 
c'était son témoignage qui la faisait mourir iilfrs 



358 MARIE STUART, 

il s'est élance avec rage , s^est précipite sur son cam- 

pagnon , l'a terrassé avec la force prodigieuse d'un 

frénétique, et s'efforçait de l'étouffer A peine 

avons-nous pu arracher le malheureux de ses mains 
fui^ieuses. Alors il a tourné sa rage contre lui-même, il 
s'est frappé la poitrine à coups redoublés , blasphé- 
mant et maudissant et lui et son compagnon..... 11 a 
fait un faux témoignage ; les malheureuses lettres 
écrites à Bajbington, dont il avait juré la vérité, sont 
supposées. Il a écrit d'autres paroles *4|ue celles qui 
lui étaient dictées par la reine. Le misérable Nau 
l'y avait incité.... Puis il a couru vers la fenêtre: 
d'un bras furieux il l'a ouverte et a crié dans la rue^ 
devant tout le peuple assemblé , qu'il était le secré- 
taire de Marie, un scélérat qui l'avait faussement 
accusée, un misérable réprouvé, un faux témoin. 

ELISABETH. 

Vous-même dites qu'il était hors de sens : les pa- 
roles d'un furieux, d'un insensé ne prouvant rien. 

TALBOT. 

Son égarement est la plus forte preuve. Reine! 
je vous en conjure, ne précipitez rien.... Ordonnez 
qu'on fasse de nouvelles recherches. 

ELISABETH. 

J'y consens.... puisque vous le désirez, comte; 
car pour moi je ne puis croire que les pairs de la 
Grande-Bretagne aient prononcé légèrement dan^ 
cette affaire.... Mais, pour mettre votre âme en 
repos, on recommencera les recherches.*.. Heureu- 
sement, il en est temps encore.... Aussi-bien, l'ton- 



ACTE V, SCÈNE XIV. SSg 

neur de mon trôae ne permet pas qu'on laisse sul>> 
sister Fombre d'un doute. 

SCÈNE XIV. 

Les prëcédens; DAYISON. 

ÉLISÂB£tH. 

La sentence, Dayison, que j'ai remise entre vos 
mains • où est-elle ? 

DAYISON, avec un extrême ^tonnement. 

La sentence ! 

ELISABETH. 

Hier je tous la donnai en garde. 

DAVISON. 

En garde! 

ELISABETH. 

Le peuple ameuté exigeait que je signasse..^. J'ai 
dû céder à sa yplonté.... Xai signé; mais j'ai signé 
par contrainte. J'ai remis la sentence entre vos 
mains ; je voulais gagner du temps.... Vous savez ce 
que je vous ai dit.... Maintenant, remettez-la-moi. 

TALBOT. 

Remettez-la, sir Davison, les choses ont changé' 
de face.... On va de nouveau examiner l'affaire. 

ELISABETH. 

Pourquoi réfléchir si long-tempe? où est la $€»^ 
tence ? 

DAVISON, aiidâei^ir. 

Je suis perdu, je suis mort. 



36c MARIE STUART, 

ELISABETH viTement. 

J'espère, sir Dayison , que vous n avez pas.. «4 

OAVISON. 

Je suis perdu , je n'ai plus la sentence* 

ELISABETH. 

Comment! Eh quoi?... 

TALBaT. 

Ah ! juste Dieu! 

D AVI SDK. 

Elle est entre les mains de Burleigh.... déjà depuis 
hier. 

ELISABETH. 

Malheureux!.... est-ce ainsi que vous m'avez 
obéi?... Je vous avais sévèrement commandé de la 
garder. 

* DAVIS05. 

Vous ne me l'avez point ordonné ^ Reine. 

ELISABETH. 

Oses-tu bien me démentir, misérable? Quand 
vous ai-je ordonné de remettre la sentence à Bur- 
leigh? 

DAVISON, 

Non point en termes exprès et clairs — Mais.... 

ELISABETH. 

Scélérat!... Tu as osé interpréter mes paroles.... 
Tqii propre sang m'en répondra..,. Malheur à toi 
s'il est advenu quelque malheur de ce que tu as 
fait de ton propre mouvement ; tu le paieras de ta 
vie.*..* Comte de Schrewsbury, vous voyez c(xaiM 
on a abusé de mon nom. 



-/ 



ACTE V, SCÈNE XV. 36i 

TALBOT. 

Oui^ je Vois.... Ah ! mon Dieu! 

ELISABETH. 

Que dites-vous? 

TALBOT. 

Si Davison a pris ce parti de son chef, et a mé- 
connu son devoir ; s'il a agi sans votre aveu , il doit 
être traduit devant le tribunal des pairs , pour 
avoir livré votre nom à Fhorreur des siècles. 



SCÈNE XV. 

Les précëdens; BURLEIGH, puis KENT. 

BURLEI6H, courbant le genou devant la Reine. 

Dieu conserve long-temps les jours de ma souve- 
raine , et puissent tous les ennemis de cette île finir 
comme Marie. 

( TaHwt se cache le visage. Davison se tord les mains avec désespoir. ) 

ELISABETH. 

Répondez , milord ; est-ce de moi que vous avez 
reçu Tordre de l'exécution? 

BURLEIGH. 

Non, Reine j je l'ai reçu de Davison. 

ELISABETH. 

Est-ce en mon nom que Davison vous Fa remis ? 

BURLEIGH. 

Non, ce n'est pas en votre nom. 



36a . MARIE STUART, 

ELISABETH. 

Et TOUS vous êtes empressé de 1 accomplir, sans 
TOUS informer d'abord de ma volonté ! La sentence 
était juste, ainsi le monde ne peut nous blâmer; 
mais vous appartenait-il de prévoir la clémence de 
mon cœur? Vous êtes banni de ma présence. {JDa- 
vison. ) Une sévère justice vous attend , vous qui 
avez si criminellement excédé vos pouvoirs , qui 
avez abusé du dépôt sacré de ma confiance. Qu on le 
mène à la Tour ; ma volonté est qu'il soit poursuivi 
pour crime capital. Mon noble Talbot, parmi mes 
conseillers , il n'y a que vous que j'ai trouvé juste; 
soyez désormais mon guide, mon ami. 

TALBOT. 

Ne bannissez point vos fidèles amis, ne jetez point 
en prison ceux qui n'ont agi que pour vous , et qui 
maintenant se taisent pour vous. Mais, pour moi, 
grande Reine, permettez que je remette entre tos 
mains les sceaux qui me furent confiés par vous 
pendant douze années. 

ELISABETH interdite. 

Non , Schrewsbury ; vous ne m'abaadonnerez pas 
maintenant, aujourd'hui... 

TALBOT. 

Pardonnez, je suis trop vieux; et cette main gla- 
cée par l'âge ne pourrait sceller vos nouveaux actes. 

ELISABETH. 

Quoi ! l'homme qui m'a sauvée , qui a préserve 
ma vie , voudrait m'abandonner ? 



ACTE V, SCÈNE XV. 363 

TALBOT. 

Ce que j'ai fait est peu de chose. Je n'ai pu pré-* 
server la plus noble part dé vous-même. Vivez , ré- 
gnez heureuse ; votre rivale n'est plus, vous n'avez 
maintenant plus rien à craindre, vous n'avez plus 
besoin de rien respecter. 

(Dsort.) 
ÉLIS A BETH , au comte de Kent qui entre. 

Que le comte de Leicester vienne ici. 

KENT. 

Excusez, madame, le comte vient de s'embar- 
quer pour la France. 

( EUe se contient, et montre une contenance affermie. La toile tombe. ) 



FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE. 



SÉMÉLÉ, 



EN DEUX SCENES. 



"*" * ■^^*^*'*^^^^^^^^*********""*''"*""*'n^"*^~*'i'>il'^Tiri-|itriri(irninTinn i ViT>rtrifiiim.^m i ^wi'inrn 



PERSONNAGES. 



JUNON. 

SÉMÉLÉ, princesse de Thy>es. 

JUPITER. 

IfERCURE. 



L'action le poste dont le paUU* de Cadmus , à Tlièbes. 



SÉMÉLÉ. 



SCÈNE PREMIÈRE. 

JUNON. Elle descend de son char environne d'un 

nuage. 

r\ETouRNEz sur les sommets nuageux du Cithéron^ 
oiseaux de Junon qui traînez son char aile. (Le char 
et les nuages disparaissent. ) Je te salue y palais que 
déteste ma colère ; je tous salue de ma haine, voûtes 
odieuses y murs abhorrés ! C'est donc ici le lieu où 
Jupiter 9 en présence de la chaste lumière du jour, 
outrage les lois nuptiales. C'est ici qu'une femme , 
une mortelle, une créature formée de poussière, ose 
ravir à mes bras le maître du tonnerre et le retenir 
sur son cœur. Junon, Junon, tu demeures seule , tu 
demeures abandonnée sur le trône du ciel. En vain 
fument tes autels , en vain se prosternent les hu- 
mains : que sont les honneurs sans l'amour? qu'est le 
ciel lui-même sans l'amour ? Malheureuse l déjà, pour 
humilier ta fierté , Vénus ne s'est-elle pas élevée de 
l'écume de la mer , et n'a-t-elle pas séduit les 
dieux et les hommes de son regard enchanteur? 
malheureuse ! et pour accroître tes ennuis , il a fallu 
qu'Hermione devînt féconde , et que sa fille anéantît 
ton bonheur ! 

Ne suis^je pas la reine des dieux ^ la sœur du dieu 



■■ 



368 SËMÉLÉ, 

tonnant, 1* épouse du dieu tout-puisâant? Les cietil 
ne roulent-ils pas sur leur axe à mon commande- 
ment? ma tête n'est-elle pas ornée du diadème de 
rOlympe? 

Ah ! je le sens, dans mon immortel cœur bouillonne 
le royal sang de Saturne. Vengeance! vengeance! 
]Mraura-t-elle impunément bravée ? aura-t-elle im- 
punément je^é le trouble parmi les dieux immortels, 
et appelé la discorde dans les bienheureuses de^ 
meures du ciel? Femme imprudente et vaine, meurs, 
et que les eaux du Styx t'enseignent la différence de 
la divinité à la poussière mortelle ! Tu seras écrasée 
sous ton audacieuse entreprise; ton ambition impie 
te précipitera. 

Le cœur enduixi parla vengeance, je descends du 
haut Olympe ; je veux avec des paroles douces, flatteu- 
ses, insidieuses^ introduire ici le désespoir et la mort. 

J'entends ses pas; elle approche, elle approche de 
sa perte certaine, elle approche du précipice... 
Cachons notre divinité sous une apparence mortelle. 

( Elle sort. > 

9 9 9 

, SEMBLE arrive sur la scène. 

Le soleil baisse déjà. Accourez, jeunes filles, par' 
fumez cette salle avec les doux parfums de l'amhre, 
répandez-y les roses et les narcisses; n'oubliez point 
les tapis couverts de broderies dorées.— Il ne vient 
pas encore ! l^e soleil baisse déjà. 

J^UNON , tous la forme d'une femme âgée. 

Loués soient les dieux, ma fille ! 

SEMÊLE. 

Eh quoi ! serait-ce un songe ? Dieux ! Béroé ! 



i 



SCÈNE I. ' 369 

JUNON. 

Auriez-vous , Sémélé , oublié Totre vieille nour- 
rice ? 

Beroë ! dieux tout-puissans... laisse-moi te presser 
sur mon cœur. . • C'est ta fille ! tu vis ! qui t^a conduite 
yers moi , du séjour d'Épidaure ? tu yis ! n'es-^tu pas 
encore^ n'es-tu pas toujours ma mère? 

JUNON. 

Oui, ta mère... autrefois tu me nommais ainsi, 

S£nEIiEta 

Oui, tu Tes encore. Tu demeureras près de moi 
jusqu'à ce que tu descendes aux rires du Lëthé* 

JUNON. 

Bientôt Béroë ira boire l'oubli dans les flots du 
Léthé ; mais la fille de Cadmus ne boira jamais les 
eaux du Léthé. 

S£M£Xi£« 

Que dis-tu, amie? jadis tes discours n'étaient pas 
ainsi obseurs et mystérieux. L'esprit prophétique 
des cheveux blancs t'inspire-t-il ? Je ne boirai ja- 
mais, dis-tu, dans les eaux du Léthé? 

JUNON. 

Oui, je le dis ainsi. Tu railles mes cheveux 
blancs. Ils n'ont pas , il est vrai , enchaîné un dieu 
comme a fait ta blonde chevelure. 

S£]tt£Ii£* 

Pardonne à des paroles légères; Comment raille- 

rais-j e les cheveux blancs ? les miens flotteront-ils ton- 
Tw. IIL 24 



370 SÊMÉLÊ, 

jours sur mes épaules en anneaux dores? Mais que 

'murmurais-tu entre tes dents? Un dieu? 

JUNON. 

Ai-je dit... un dieu ? les dieux ne sont-ils point pr- 
tout? il convient aux faibles humains de les adorer: 
les dieux sont ok tu es , Sëmélë. Que me deman- 
des-tu ? 

SÊMKLÉ. 

Esprit malicieux ! mais parle , quel motif ta 
conduite d'Epidaure ici? Ce n'est pas uniquement 
parce que les dieux habitent près de Séméië? 

JUNOF. 

Par Jupiter! c*est mon seul motif...*. Quelle mi 
geur subite a colore ton visage, lorsque j'ai prononce 
le nom de Jupit^^? Non , ma -fille , nul autre motif. 
La contagion lait à Épidaure de terribles ravages; 
chaque souffle est un mortel poison, chaque créature 
exhale la mort; la mère ensevelit son fils, et Fépui 
sa fiancée; la flamme des bûchers éclaire les nuitsà 
l'égal du jour; des gémissemens sans fin retentissent 
dans l'air; le malheur est sans bornes. Le souve- 
rain des dieux regarde notre malheureux peuple 
d'un œil irrité; en vain coule le sang des victimes, 
en vain le prêtre se traîne à genoux vers son autel, 
son oreille est sourde à nos plaintes. Cest pourquoi 
ma patrie désolée m'envoie vers U fille de Cadmos, 
pour obtenir d'elle ki fin tie nos maux. Béroê, 
ont-ils dit , a un grand pouvoir sur Sémélé sa fiU^* 
Sémélé a un grand pouvoir sur Jupiter. Je ne sais 
rien de plus ^ «t ne puis comprendre ce qu'ils ont 



j 



SCÈNE I. 371 

voulu dire en parlant du grand pouvoir de Sëmélé 
sur Jupiter, 



SÉMÉL^, Tivement et sans rtffleûoD. 

Demain la contagion cessera.... Dis au peuple que 
je suis aimée de Jupiter.... Pi^-luji que la contagion 
doit cesser dès aujourd'hui. 

J U fif O N , en |no^tra^t d« IVloanemeot. 

Ah ! il est donc vrai ? Ce que répète la renommée 
aux cents voix depuis Flda jusqu'à l'Hémus^ est donc 
vrai? Jupiter t'aime? Jupiter vient à toi avec tout 
cet éclat qu'il déploie aux yeux de r01ym|)e étonné^ 
lorsqu'il presse dans ses nras, la fille de Saturne.... 
Grands dieux ! vous pouvez maintenant faire des- 
cendre ma vieillesse aux enfers J'ai assez vécu 

Le sublime fils de Satm^ne descend dan^ sa diyine 
gloire , vers celle que mon sein a autrefois Qourri^ 9 ' 
vers celle.... 

SÉMëLE. 

Béroë ! Il vint sous la forme d'un beau jeune 
homme ^ plus charmant que Tithon ^'échappant des 
bras de l'Aurore ; plu« célesta et plus pur qu Hesr- 
perus f lorsque baigné des flots de l'Êther il exhale 
un doux parfum ; sa démarche était grave et ma- 
jestueuse, comme celle d'Apollon , quand s^s flèches , 
son arc et son carquois résonnent sur ses épaules ; 
une draperie éclatante de lumière flottait derrière 
lui y telle que les vagîmes d'argent déroulées par le 
zéphyr sur la surface de l'Océan . 8a vo^x était cpçime 
le murmure argentin d'un clair ruisseau, et plus 
ravissante que les sons de la lyjriQ d'Orphéç. 



372 SÉMÉLÉ, 

JDNON. 

Ah ! ma fille I . . . . L'inspiration de ton cœur te 
donne la verve poétique. Ah ! quel bonheur ce doit 
être que de l'entendre ! Que son aspect doit être di- 
vin y si un souvenir passager suffit pour te jeter dans 
le ravissement de la Pythie. Mais quoi ! tu me tais ce 
qui est le plus sublime. Ne veui-tu rien me dire de 
la céleste pompe du fils de Saturne , de l'éclatante 
majesté de sa foudre , qui brille à travers les nuages 
déchirés? Deucalion ou Prométhée ont su aussi créer 
des charmes séduisans.... Jupiter seul peut lancer 
le tonnerre ; la foudre qu'il dépose à tes pieds , la 
foudre , c'est là ce qui atteste que tu es devenue la 
souveraine de l'univers. 

- Comment! que dis-tu? Pourquoi parler ici delà 
foudre? 

JUNON, souriant. 

Sémélé ! tu sais railler avec grâce. 

Ah I Jupiter ; tel que je l'ai vu, est trop divin pour 
ressembler à un fils de Deucalion.... Mais je ne sais 
rien de la foudre. 

JUNON. 

Tu es jalouse de ton bonheur. 
Non , Béroë ! par Jupiter. 

JUNOH. 

Tu me le jures ? 

Oui , par Jupiter I par Jupiter adoré I 



SCÈNE. I. 373 

JUNON, vivement. 

Tu me le jures ^ malheureuse ! 

s É MÊLÉ, inquiète. 

Que dis-tu, Béroë? 

JUNON. 

Répète encore une fois cette parole ! elle fait de 
toi la plus malheureuse créature de ce vaste univers ! 
Ce n'est point Jupiter. Tu es perdue. 

9 9 9 

Ce n'est point Jupiter? Ah ! quel effroi! 

JUNON. 

C'est quelque imposteur de l'Âttique , qui , sous 
une divine apparence ^ t'a dérobé l'honneur , Tinno- 
cence et la pudeur. (^Semélé s^ évanouit). Oui, tombe ! 
tombe pour ne te relever jamais ; qu'une nuit éter- 
nelle voile tes yeux ! puisses-tu vivre dans un éter- 
nel silence , et rester immobile ici comme un ro- 
cher. honte! honte! la chaste lumière du jour 
recule épouvantée vers le sombre royaume d'Hécate? 
Dieux ! ô dieux ! Béroë devaitnelle donc , après seize 
années d'une triste séparation, retrouver ainsi la 
fille de Cadmus ?. . . . J'étais venue joyeuse d'Épidaure , 
dois-je retourner humiliée à Épidaure ? Y rapporter 
le désespoir ? O douleur ! ô ma patrie ! la contagion 
peut exercer paisiblement ses ravages jusqu'à un 
second déluge ; elle peut entasser les cadavres aussi 
haut que les sommets de l'OEta ; toute la Grèce peut 
se changer en un vaste tombeau , avant que Sémélé 
puisse apaiser la colère du dieu. Toi , la Grèce, 
moi , tous , nous avons, été abusés ! 



374 SËMÉLÉ, 

s É MÊLÉ M reUre tremblante et lui tend les hn». 

Ah ! chère Béroë ! 

JUNON. 

Ranime-toi , mon enfant ! peut-être est-ce Jupi- 
ter? Cela n'est pas vraisemblable; mais cependant, 
c'est peut-être Jupiter. Nous devons nous en assu- 
rer. Il faut qu'il se dévoile à toi^ ou tu fuiras pour 
toujours sa rencontre, et tu livreras son forfait à 
la vengeance sanglante des The'bains Regarde- 
moi , chère fille , regardé ta chère Béroë , lis dans 
ses yeux toute ^a tendt*esiie.... Ne veux-tu pas cher- 
cher à le connaître ? 

Nort , ce n'est pas lui que je verrais. 

Serais-tu donc moins malheureuse, en restant 
dans le supplice du doute? Et si cependant il était 
vrai que Jupiter.... 

SSME L É , cachant sod visage dans le seîn de Judod. 

Hélâs ! ce n'est pas lui. 

JUHOlï. 

Si , avec tout l'êclàt dont il brille dans FOlympe, 
il siè montrait devant toi? Alors, Se'mélé, te repcn- 
tîrais-lu d'avoir tenté cette ëpreuve ? 

s É MELE, avec chalear. 

Ah ! s'il se dévoilait ! 

JUJNÔN, vtvem«bt. 

Avant de te presser dans ses brafe , ii Faut qu'il se 
dévoile.... Écoute, ma chère fiUe, le conseil sincèit 



SCÈNE L 375 

de ta fidèle nourrice. L'amour Tient de m'inspir^r 
ce que Tamour doit accomplir.... Parle > dois-tu U 
revoir bientôt? 

SéMÉLÉ. 

Il m'a promis de me revoir avant qu'ÂpoUon 
descende chez Téthys. 

JUNON, vivement, tt onMiantipnd^uiseinent. 

Ah ! il Fa promis ? cela est*il vrai ? il doit v^uir 
aujourd'hui? {Elle se re/n^^. ) Laisse-le venir, et lors- 
que , dans l'ivresse de son amour il voudra te serrer 
dans ses bras, alors , écoute-moi bien : tu te retire- 
ras promptement et avec effroi. Combien ii sera 
surpris ! Ne lui laisse pas le temps, ma fille, de re-> 
venir de sa surprise , et ordonne-lui , avec un oeil 
glacé, de se retirer. Agité, furieux, il te pressera : 
les refus d'une belle, ne sont qu'une digue opposée au 
torrent de la passion, qui n'en devient que plus im- 
pétueux... Tu fondras en pleurs. Il peut résister aux 
géans , il peut d'un œil tranquille, regarder Typhée 
aux cent bras entassant dans sa fureur Ossa sur 
Olympe pour reconqu^ir le trône paternel; maifi Ju- 
piter cède aux larp^es deia beauté. Tii souris. Ah ! fé- 
colière en «ait plus sur cela que sa maîtresse. Alor» tu 
supplies le dieu de t'accorder une faveur toute légère, 
toute innocente , qui signalera et son amour et sa 
divinité : il faut qu'il en jure par le Styx ; le Styx 
est attesté, il ne peut se délier -de son serment. 
Alors tu diras : <c Je ne puis rien Raccorder jusqu'au 
M moment, oà avec le même éclat dont tu es eAvi<* 
j) Tooné en embrafisant la fille 4e Saturne 1 tu te 
n présenteras à la &le de Cadmug. n Ne te UkM 



376 SÉHÉLÉ, 

point effrtLyer, Sëmëlé, lorsque, pour te faire renon- 
cer à ton souhait, il te présentera, comme ëpouTan- 
tail, la majesté terrible de sa présence, les flammes 
qui éclatent autour de lui , les tonnerres qui reten- 
tissent k son commandement. Ce sont .de yaines 
frayeurs, Sémélé, que les dieux avares de leur 
splendeur excitent parmi les hommes. Demeure 
invariable dans ta demande , et Junon elle-même 
te verra d'un œil d'envie. 

Odieuse déesse aux yeux de génisse ! il a souvent 
dans ses momens de tendresse gémi près de moi de 
ce qu'elle lui faisait souffrir par. ses sombres empor* 
temens. 

JtJNON, à part, avec chagrin et colère* 

Ah I misérable ! la mort pour cet outrage ! 
Quoi, chère Béroë^ que murmures-tu? 

JUNON, irritée. 

Rien , chère fille , et moi aussi je suis d'une som^ 
bre humeur. Un regard sévère et pénétrant est 
souvent traité par les amans de sombre emporte- 
ment; et des yeux de génisse peuvent ne pas être 
sans quelque charme. 

S£M£L£. 

Ah ! Béroë, en est-il qui puissent davantage en- 
laidir une femme ? et ce visage pâlissant et jauni, 
coloré par le venin de l'envie? Jupiter se plaignait 
à moi que son amour importun et jaloux ne lui 
laissait pas une nuit de repos , et que le tourment 



SCÈNE I. 377 

de ses caprices avait transporté dans l'Olympe là roue 
dlzion. 

JUNON troublée, et ne pouvant contenir sa eolire. 

C'en est assez ! ^ 

s Cl H ïïià L £• 

Quoi , Beroë ! pourquoi tant d'amertume ? en ai- 
je dit plus que la yërité , plus que la prudence ne 
permettent ? 

JUNON. 

Tu en as dit plus que la vérité , plus que la pru- 
dence le permettent ; jeune fille , estime*toi heureuse 
si le doux éclat de tes yeux bleus ne te conduit pas 
bientôt dans la barque infernale. La fille de Saturne 
a aussi des temples et des autels; elle descend aussi 
cKez les mortels. La déesse se venge Surtout d'un 

insolent dédain. 

» » » ■ 

Sï)M£IjE«« 

Qu'elle descende ici et soit témoin de mon dédain^ 
que m'importe? Mon Jupiter adoré me protège, et Ju- 
non pourrait-elle ôter un cheveu de ma tête ? Mais 
n'en parlons plus , Béroë ; Jupiter paraîtra devant 
moi aujourd'hui dans toute sa splendeur, et quand la 
fille de Saturne en devrait de dépit prendre le che- 
min des enfers. . . 

JUNON, à part. 

Ce chemin une autre le trouvera avant elle , si 
le tonnerre du maître des dieux vient à l'atteindre... 
(^A Sémélé. ) Oui , Sémélé , elle pourra bien sécher 
d'envie, lorsque la fille de Cadmus, aux yeux de 
toute la Grèce, s'élèvera en triomphe vers l'Olympe. 

SEMELE, avec un léger sourire. 

Toute la Grèce parlera de la fiille de Cadmus ! Y 
penses-tu? 



1 



S78 SÉMÉLÉ, 

JUNON. 

Comme si , depuis Sidon jusqu'à Athènes , on par- 
lait déjà d'autre chose ? Semélé , les dieux , les dieni 
mêmes descendront du ciel , les dieux s'inclineront 
devant toi ; les mortels dans un respectueux silence 
se prosterneront devant la fiancée du vainqueur des 
geans , et , se tenant dans un timide éloignement... 

s ÉM ÉLÉ, transportée de joie , Teaibrasse. 

Béroë! 

JUNON. 

Et l'immortalité ! Un marbre éclatant annoncen 
à Van tique univers: « Ici est adorée Séraélé ; Semélé 
la plus belle des femmes, qui par ses caresses attira 
de rOlympe le maître du tonnerre et sut Tenchainer 
sur la terre. » La renommée dans son vol bruyant 
fera mille fois retentir la mer et les montagnes... 

SEMÉLÉ, hors d'elle-même. 

La Pythie ! Apollon ! et dès qu'il aura seulement 
paru? 

JUNON. 

Et sur les autels fumans tu seras honorée par les 
mortels comme une divinité* 

SÉMÉLÉ, transportée. 

Et je pourrai les exaucer ! J'apaiserai san cour* 
roux par mes prières; j'éteindrai sa foudre avec 
mes pleurs , je leur rendrai le bonheur. 

JUNON,i|»art. 

Pauvre insensée , cela ne sera jamais. (Elle ré' 

Jlechit. ) Serais-je attendrie ? Non , elle a parlé de 

ma laideur; non^ sans pitié! auxenfeis. {ji Sémâé) 

Hâte-toi^ hâte-toi seulement , ma fille, que Jupiter 



SCÈNE I. 379 

ne sache rien de ceci. Fais-le long-temps attendre , 

pour accroître son ardeur. 

» f / 

SEMELjE. 

I 

Béroë , le ciel a parlé par ta bouche. bonheur ! 
Les dieux descendent de l'Olympe et s'inclinent 
devant moi, et leà mortels dans un iTSpectueux 
silence. . . Âh ! laisse*moiy laissse-moi^ je Vais te quitter. 

( Ell« sort. ) 
JUNON , la suivant des jeux d^nn air de triomphe. 

Faible et orgueilleuse femme , si facilement abu- 
sée! le feu dévorant de ses yeiix t'embrasera; ses 
caresses te réduiront en poudre , ses embrassemens 
t'envelopperont comme la tempête ! La forme mor- 
telle ne peut soutenir la présence de celui qui lance 
le tonnerre. Ah ! (dans un transport de fureur ) 
lorsque son faible corps, pressé dans les bras du 
dieu y st fondra comme la cire devant la flamme, ou 
la neige devant les rayons du soleil ; lorsque le par- 
jure, au lieu de sa douce éi délicate maîtresse, 
n'embrassera que la mort causée par son terrible as- 
pect , combien , du sommet du Cythéron, mes yeux se 
repaîtront de ce spectacle ! je lui crierai: Fils de Sa- 
turne, tes embrai^semens sont cruels! et la foudre 
tremblera dans sa main ! 

( tu» tort.) 



38o SEMÉ LÉ, 

SCÈNE II. 

ta 

Une salle du palais : tout à coup une vive clarté se répand. 

JUPITER^ sous la forme d'un jeune homnoie; MER- 
CURE dans rëloignement. 

JUPITER. 

FilsdeMaïal 

MERCURE , i^indinaat tt Vtittant h Ut». 

Jupiter I 

. JUPITER. 

Allons , hâte-toi ; vole à tire d'ailes sur le rivage 
du Scamandre. Là, un berger pleure sur le tombeau 
de sa bergère : nul ne doit pleurer quand le Sis de 
Saturne est amoureux. Rappelle la bergère à la yie. 



MERCURE fertile. 



Un signe de ton divin regard me le commande, 
j'y vole en un instant, en un instant je reviens. 

JUPITER. 

Attends : en passant au-dessus d'Argos , les nuages 
de fumée d'un sacrifice se sont élevés de mon temple 
jusqu'à moi ; je suis satisfait des hommages que me 
rend mon peuple. Élève ton vol jusqu'à Cérès^ ma 
sœur; tu lui diras : Jupiter ordonne que, durant 
cinquante années, les moissons des Argiens leur 
rendent mille fois la semence. 

MERCURE. 

Père du monde ! c'est avec un zèle tremblant que 



SCÈNE IL 38i 

j^aecomplis les ordres de ta colère ; c'est avec joie 
que j'obëis aux ordres de ta bonté ! Rendre les hom- 
mes heureux, c'est le plaisir des dieux; leur cha- 
grin , c'est de les punir. Mais , où te rapporterai-je 
leurs actions de grâce? sera-ce là-haut, dans le sé- 
jour des dieux , ou ici-bas sur la terre ? 



JUPITER. 



Ce sera ici, ici est le séjour des dieux, dans le pa- 
lais de ma chère Sémélé. Va. ( Mercure sort. ) Elle 
ne vient pas , comme autrefois, au-devant de moi; 
elle ne vient pas, le cœur rempli de volupté, 
recevoir le roi de l'Olynape. Pourquoi, ma chère 
Sémélé ne vient-elle pas à ma rencontre? Un silence 
triste , horrible , mortel règne autour de ce palais 
solitaire , qui retentissait jadis du cri des bacchantes ; 
pas un souffle ne se fait entendre. Junon , d'un air 
de triomphe, s'est posée sur le sommet du Cythéron, 
€t Sémélé ne vient pas au-devant de son cher Ju- 
piter? (// continue après un moment de silence.) 
Ah! l'audacieuse, se serait-elle hasardée à péné- 
trer dans le sanctuaire de mon amour? La fille de 
Saturne.... sur le Cythéron !... Son air de triom- 
phe.... Quel pressentiment .... désespoir. ... Sé- 
mélé !... Rassurons-nous, rassurons-nous. Ne suis-je 
pas ton dieu? Quel téméraire oserait s'attaquer à 
celle que Jupiter appelle son amante? Je méprise 
toutes les ruses.... Sémélé, où es-tu? Il me tarde de 
reposer sui^ ton sein ma tête chargée du soin de 
l'univers , de calmer mon esprit fatigué du gouver- 
nement orageux du monde , de déposer le sceptre , 
le gouvernail, les balances, et de jouir de ma féli* 



38a SÉUÉLÉ, 

citél ivresse du bonheur! doux enchantement des 
dieux eux - mêmes I bienheureux délire! Quétes- 
YOUS9 race d'Uranua? Qu'ètea-v ous , nectar et am- 
broisie ^ trône deTOlympe^ sceptre doré des cieux? 
Qu'étes*Tous, toutes-puissance, éternité, vie immor- 
telle! Divinité, qu'étes-vous, sans l'amour? Le ber- 
ger qui , au murmure du ruisseau , oublie sur le 
sein de sa maîtresse le soin de ses agneaux , ne porte 
aucune envie à mon tonnerre.... Elle approche! elle 
vient ! O femme ! chef-d'œuvre de ma création ! Il 
doit être adoré, celui qui t'a créée! C'est moi qui 
t'ai créée , et je me rends hommage ; Jupiter adore 
Jupiter, parce qu'il t'a formée ! Qui , dans tout Fem- 
pire des êtres , pourrait me blâmer? Ah ! combien 
tous mes mondes sont peu de chose ! combien sont 
indignes d'attention mes étoiles étincelantes, et tout 
ce système du mouvement de l'univers et cette har- 
monie des sphères ! combien tout cela mérite peu le 
nom d'Être ! combien tout cela est la mort , en com- 
paraison d'une âme ! ( Sémélé s'approche sans le re- 
garder. ) Ma gloire, mon trône , ne sont rien! Ah! 
Sémélé ! (Ilsjas^ance wrs elle; elle i^eutfuir.) Tu fuis? 
tu gardes le sience? Ah ! Sémélé , îu me fuis ? 



• » • 



S£M£L£ le repoussant. 

LaîssezHthoi ! 

JUPITM, «prèï upm^mcnt i» surprise et àe ^»mce. 

Est-ce un rêve ; la nature est-elle ébranlée sur ses 
fondemens ? Sémélé me parler ainsi ! . . . Quoi ! au- 
cune réponse ? Tu fuis mes bras amoureux ! Jamais 
la fille d' Agénor n'a fait ainsi batti^e mon cœur ; ja- 
mais je ne fus ainsi agité sur le sein de Léda; jaioais 



SCÈNE II. 383 

le!s baisers de la captive Danaë n'ont ainsi embrasé 
mes lèvres ! 

SÊMEIiE» 

Tais-toi , perfide î 

JUPITER, ayec une téodrasM involontaire. 

Sëmélë ! 

SËM£L£. 

FuisI 

JU PITER, d'un ton de majesté. 

Je suis Jupiter ! 

SÉMÉLÉ. 

Toi, Jupiter? Tremble, nouveau Salmonée ! celui 
que tu as outragé viendra, terrible, t'arracher ton 
éclat mensonger ! Tu n es pas Jupiter ! 

JUPITER, d^un ton imposant. 

L'univers roule autour de moi dans son orbite 
et me nomme de ce nom. 

SEMELE. 

Ah! blasphème! 

JUPITER, oiv«« douceur. 

Eh quoi! ma bien-aimée, d'où vient ce langage? 
Quel serpent a détourné de moi ton cœur? 

SEMEIjE* 

Mon cœur est consacré à celui dont tu prends le 
nom. Souvent des hommes viennent sous l'apparence 

d'un dieu sufpr^:idre une femme Fuis, tu n'es 

pas Jupiter. 

JUPITER. 

. Tu doutes?... Sémélé peut-elle encore douter de 
ma divinité? 



384 SÉMÉLÉ, 

SÉMÊLÉ, a?ec douleur. 

Ah! serais-tu Jupiter?... Aucun fils des hommes, 
aucune créature d'un jour ne sera pressé dans mes 
bras. Mon cœur est consacré à Jupiter.... Ah! se- 
rait-il vrai que tu es Jupiter ? 

JUPITER. 

Tu pleures?. . . Jupiter est près de toi et tu pleures? 
(// se jette à ses genoux.) Parle, demande , et la 
nature soumise obéira en tremblant à la fille de 
Cadmus. Ordonne , et les torrens suspendront aussi- 
tôt leur cours. L'Hélicon et le Caucase , et le Cyn- 
thus et l'Athos, le Mycale, le Rhodope et lePinde 
ébranlés , par un signe tout-puissant de mes sour- 
cils , iront combler les vallons et les pâturages , et 
tomberont comme les flocons de neige dans l'air 
obscurci ! Ordonne , et du nord et de l'ouest des 
tourbillons de vent assailliront l'empire du puissant 
Neptune , et ébranleront son trône ; la mer révoltée 
s'élancera hors de ses rivages et de ses vaines digues; 
réclair brillera dans la nuit; le ciel éclatera jusqu'il 
ses pôles , le tonnerre retentira avec rage , TOcéan 
jaillira jusque vers l'Olympe , et l'ouragan célébrera, 
en ton honneur^ un chant de victoire. Ordonne, et... 

Je suis une femme , une simple mortelle; com- 
ment le potier s'inclinerait-t-il devant le vase qu'il a 
formé? Comment l'artiste se prosternerait-t-il devant 
sa statue? 

JUPITEB. 

Pygrnalion se courba devant son chef-d'oçuvw- 
Jupiter adore sa thère Sémélé. 



SCÈNE IL 385 

SÉMÉLÉ, pleunnt avec sanglots. 

Lère-toi!.... lève-toi!.... Ah! malheur à moi, 
pauvre fille ! Jupiter possède mon cœur ; je ne puis 
aimer qu'un dieu; et les dieux se rient de moi,, et 
Jupiter me méprise ! 

JUPITEK. 

Jupiter est à tes pieds. 

SÉMÉLB. 

Lève-toi.... Jupiter est assis sur son trône au mi- 
lieu des carreaux de la foudre , et^ dans les bras de 
Junou, il méprise un humble vermisseau. 

JUPITER, vivement. 

Ah ! . . . Sémélé et Junon ! ... un faible vermisseau. . . . 
CMament ?. . . 

SEMBLÉ. 
» 

quel serait FineiTable bonheur de la fille de 
Cadmus, si tu étais Jupiter! Mais tu n'es point 
Jupiter. 

JUPITER se relève. 

I 

Je le suis. (Il étend la main et un arc-en-ciel 
apparaît ; des sons mélodieux se font entendre. ) Me 
reconnais-tu ? 

SlSJMËIj£. 

Le bras de Fhomme est puissant lorsqu'il est 
protégé par les dieur; tu es sans doute chéri du fils 
de Saturne, mais je ne puis aimer qu'un dieu. 

JUPITER. 

Encore ! Quoi , tu doutes encore si ce pouvoir est 

emprunté aux dieux ou tient à la divinité? Les 

dieux, Sémélé, communiquent souvent aux hommes 

un pouvoir bienfaisant, mais jamais les dieux ne' 
ToM. Iir. 25 



386 SÉMÉLÉ/ 

communiquent leur majesté terrible ; la mort et la 
destruction sont les signes du pouvoir divin. Le 
Jupiter qui tue va se dévoiler devant toi. 

(U ëtend la main* La terra tremble avec fraoat au nâlieu des flammes et de la famée. 
Ces prodiges soot accompagnés de sons qui se font entendre -chaque fois «pie Japitcr 
manifeste son pouToir. ) 

Retire ta main. Grâce ^ grâce pour les malheureux 
mortels ! oui c'est Saturne qui t'a enfanté. 

JDPITEB. 

Ah ! imprudente. Jupiter doit-il , pour vaincre 
l'obstination d'une femme, commander au soleil de 
s'arrêter, et aux planètes de rebrousser leur cours? 
Jupiter le fera. Souvent un fils des dieux a su faire 
sortir le feu des flancs d'un rocher, mais sonpu- 
voir finit aux limites de la terre. Jupiter a plus de 
pouvoir. 

( Il ëtend la main. Le soleil sVteint ; une nuit soudaine se rëptnd. ) 
SÉMEL É «se prosterne devant lui. 

Ah! tout-puissant.... si tu savais aimer! 

(Le jour reparaît. ) 
JUPITER. 

La fille de Cadmus demande à Jupiter, si Jupiter 
peut aimer? Un mot de toi, et il renonce à sa divi- 
nité, il devient une créature àe chair et de sang, il 
se soumet à la mort pour être aimé. 

SÉMELÉ. 

Ainsi ferait Jupiter? 

^ JUPITER. 

Parle, Sémélé, que veux-tu de pins? Apolloo 
avouait lui-même qu'il avait vécu avec délices, 



SCÈNE IL 387 

homme parmi les hommes. Un signe de toi, et je 
deviendrai un mortel. 

s É M EL É , la serrant dans ses bras. 

Jupiter ! les femmes d'Épidaure se raillent de 
ta Sémëlë; comme d'une fille insensée; elles disent 
que la bien-aimée du maître du tonnerre ne peut 
rien obtenir de lui. 

JUPITER, Tivement. 

Faisons rougir les femmes d'Épidaure. Demande, 
demande seulement, et je jure par le Styx dont le 
pouvoir sans bornes soumet impérieusement les 
dieux eux-mêmes. . . Si Jupiter tarde à t'obéir, puisse 
la divinité infernale l'anéantir à l'instant même. 

SEMBLE , d'un ton joyeux et anime. 

Maintenant je reconnais mon Jupiter chéri ! tu 
l'as juré. Le Styx t'a entendu; je veux te presser en 
mes bras, brillant du même...« 

JUPITE R , avec un cri d'effroi. 

Malheureuse! arrête! 



• __ » ? 



SEMELE. 

Tel que la fille de Saturne.... 

JUPITE R veut lui fermer la bouche. 

Tais-toi ! 

SEMELE. 

....Te reçoit dans ses bras. 

. JUPITER pilit, et détourne les yeux. 

Il est trop tard.... Les paroles sont prononcées l 
le Styx ! tu as demandé la mort , Sémélé ! 



\ 



388 SÉMÉLÉ, 

Hélas. Est-ce ainsi qu'aime Jupiter? 



JUPITEB. 



Je renoncerais au ciel, pour t'avoir donne une 
moindre preuve d'amour. (// la regarde ai^ec déses- 
poir. ) Tu es perdue. 

o]!iH£]j£. 

Jupiter ! 

JUPITSB «t«c fureur, et se piirlaat à liû-m^me. 

Ah I Junon , je m'explique maintenant ton air de 
triomphe ! infernale jalousie I Cette rose Ta mou- 
rir ; hëlas ! si belle ! malheur I l'Acheron Ta 
posséder un tel trésor. 

SEMEIjK. 

Tu n'es avare que de ta majesté. 

JUPITEB. 

Maudite soit cette majesté qui t'a éblouie ! maudite 
soit ma grandeur qui te met en poudre ! malédic- 
tion, malédiction sur moi, qui avais fondé mon 
bonheur sur une poussière périssable ! 

SEMBLÉ. 

Ce sont de vaines frayeurs, Jupiter j je ne suis point 
troublée par tes menaces. 

JUPITEB. 

Enfant insensé! va, va recueillirlesdernîers adieux 
de tes compagnes. Rien, rien ne peut te sauver.- 
Sémélé, je suis ton Jupiter.... et cela aussi va 
finir... i Va. 






SCÈNE II. 389 

» 

SÊMELE. 

Tu es jaloux de ta puissance; mais tu as juré le 
Styx^ tu ne peux t'en dégager. 



(Elle sort.) 
JUPITER. 



Non ! tu ne triompheras points Junon ! Tremble... 
Ce pouvoir qui donne la mort , qui soumet la terre 
et le ciel à me servir de marchepied , saura saisir la 
perfide, et la clouçr avec des chaînes de diamant 
aux rochers escarpés de la Thrace; et ce serment... 
( Mercure parait dans Véloignement. ) Qui t'amène 
ici d'un vol rapide ? 

MERCURE. 

Je t'apporte les actions de grâce des malheureux 
consolés. 

JUPITER. 

Replonge-les dans l'infortune. 

MERCURE, étoxoié. 

Jupiter ! . . . 

JUPITER. 

Personne n^ doit être heureux ; elle va mourir. 

( La toile tombe. ) 



FIH DE SÉHÉLÉ ET DU TOME TROISIÈME. 



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V 

V 



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